Comment la durabilité fait son chemin dans le secteur du textile
La production de vêtements nuit gravement à l’environnement. À cela s’ajoutent les tonnes d’invendus jetés ou détruits en fin de saison. Quelques sociétés belges font la preuve que des alternatives sont possibles.
Avec sa société W.R. Yuma, Sebastiaan de Neubourg a lancé il y a trois ans les premières lunettes de soleil imprimées en 3D. Avant même que l’idée de la marque ne commence à germer dans sa tête, une évidence s’imposait : l’entreprise devait appliquer les principes de l’économie circulaire. “En tant qu’ingénieur, j’ai travaillé pendant cinq ans comme consultant dans le domaine de l’économie circulaire. Je suis entré en contact avec de nombreuses start-up intéressantes. L’économie circulaire représente l’avenir. L’économie linéaire, qui épuise les matières premières et génère des montagnes de déchets, constitue un modèle intenable”, déclare Sebastiaan De Neubourg. “J’ai alors ressenti l’envie d’entreprendre, en particulier dans l’univers de la mode. C’est ainsi que j’ai eu l’idée d’imprimer des lunettes de soleil en 3D. Lors de l’élaboration de mon business plan, j’ai pu compter sur le soutien très précieux de Flanders DC.”
La mode durable n’est plus réservée aux bobos-écolos et ne coûte pas forcément les yeux de la tête – Jasmien Wynants, Close The Loop
“Chez W.R. Yuma, un nom qui fait référence à l’endroit le plus ensoleillé de la planète, nous n’utilisons que des matériaux recyclés. Dans notre studio situé à Anvers, nous imprimons les verres de nos lunettes à partir de tableaux de bord d’automobiles et de réfrigérateurs de Rotterdam, de bouteilles en PET de Bruxelles et de bambou d’Allemagne. De plus, nous encourageons nos clients à nous retourner gratuitement leurs anciennes montures que nous recyclons pour imprimer de nouvelles lunettes. En échange, ils bénéficient d’une réduction sur un modèle neuf. De cette manière, nous responsabilisons le client, qui devient partie intégrante du processus.”
W.R. Yuma joue la carte de la durabilité à d’autres niveaux. “Les étuis à lunettes sont fabriqués en liège portugais et conçus de manière à pouvoir être pliés à plat et rentrer dans les boîtes aux lettres”, explique Sebastiaan de Neubourg. “Le client n’a donc pas besoin d’être à la maison au moment de la livraison. De plus, nous compensons les émissions de nos transports pour les rendre neutres en CO2 et réutilisons tous les matériaux de nos prototypes. Dans un souci de transparence, nous avons emménagé il y a quelques mois dans un studio ouvert situé dans les bâtiments de Circulair Zuid à Anvers. À terme, nous voulons étudier la manière dont nous pouvons étendre notre production en Belgique par le biais de l’emploi social des kringloopwinkels (ressourceries, NDLT). Grâce à notre campagne sur Kickstarter, nous avons d’emblée lancé nos activités dans le monde entier. Actuellement, l’Europe – avec la Belgique et le Royaume-Uni – mais aussi les États-Unis et l’Australie figurent parmi nos marchés les plus performants.”
Finis les déchets
Des modèles comme celui de W.R. Yuma font encore figure d’exception dans l’industrie textile. Au terme de chaque saison, des masses d’invendus sont détruits. Chez Burberry par exemple, cette pratique représente plus de 30 millions d’euros par an. La maison de couture britannique évite ainsi de brader ses vêtements aux premiers venus et de mettre en danger son exclusivité. Des marques moins luxueuses, comme la chaîne de mode suédoise H&M, opèrent également de cette manière. Ajoutez à cela les processus de production non respectueux de l’environnement – les énormes quantités d’eau nécessaires à la fabrication des jeans et les teintures polluantes des vêtements – et vous constaterez que le secteur de la mode nuit gravement à l’environnement.
Cependant, de plus en plus d’entreprises prennent conscience de la nécessité d’agir autrement. En Belgique aussi, le secteur de la mode durable gagne en importance. “Celui qui veut être en mesure de répondre aux besoins du consommateur de demain doit réfléchir dès aujourd’hui à la façon dont il peut introduire dans son entreprise une méthode de travail plus durable. Et ce d’autant plus que le mouvement climatique montre que ce consommateur émergera plus vite que prévu”, déclare Jasmien Wynants, responsable du projet Close The Loop à Flanders DC ou Flanders District of Creativity, l’agence flamande axée sur l’économie créative.
Le programme Close The Loop vise à encourager les entrepreneurs à appliquer les principes de l’économie circulaire et à réemployer des produits pour supprimer la notion de déchets. “Les Pays-Bas, l’Allemagne et la Scandinavie y travaillent depuis un moment déjà. La marque de vêtements suédoise Filippa K, la marque de baskets française Veja et le label allemand Hund Hund en sont de beaux exemples. Mais la Belgique s’est engagée dans un processus de rattrapage. Murielle Scherre, qui garantit la fabrication 100% locale de la lingerie de sa marque La fille d’O, peut être considérée comme l’une des pionnières. De petits acteurs comme HNST, qui produit des jeans circulaires et vient de remporter un Henry van de Velde Award, la marque de bijoux Wolk et les labels de mode Helder Antwerp et Belgian Company ne sont pas en reste.”
Nous travaillons uniquement sur commande, ce qui nous permet de limiter le stock ou la surproduction – Beau Bergmans, Café Costume
Parmi les grandes entreprises qui agissent en faveur du développement durable selon Jasmien Wynants, citons les marques de mode Bel&Bo et JBC, ainsi que le label de montres et de lunettes Komono qui mise sur les matériaux durables. “Avec Flanders DC, nous avons déjà accompagné e5 mode, Café Costume et Caroline Biss vers un système plus durable. Cette année encore, nous allons collaborer avec pas moins de huit entreprises du secteur textile dans le cadre de nos projets Close The Loop”, affirme Jasmien Wynants. “Chacune d’entre elles prouve que la mode durable n’est plus réservée aux bobos-écolos et ne coûte pas forcément les yeux de la tête. Bien que la sensibilisation des consommateurs doive encore être renforcée, des actions telles que Youth for Climate montrent que les jeunes prennent conscience des enjeux pour la planète.”
Café Costume
Café Costume, fabricant de costumes sur mesure qui a également fait appel à Close The Loop, constitue un bel exemple de la façon dont une entreprise peut intégrer la durabilité dans son processus de production. “Depuis notre création en 2007, nous travaillons uniquement sur commande, ce qui nous permet de limiter le stock ou la surproduction”, explique Beau Bergmans, chef de projet. “Par ailleurs, les clients sont très attachés aux costumes qu’ils achètent chez nous.”
“Nous essayons de limiter au maximum le gaspillage de matières et nos camions ne roulent jamais à vide. Nous avons voulu analyser l’ensemble de notre entreprise pour découvrir comment renforcer notre durabilité en avançant par petits pas. Autrefois, certains produits étaient par exemple emballés séparément et il arrivait que nous nous retrouvions avec trois cartons entourés d’un film plastique. Dorénavant, le tout est transporté dans une seule grande boîte.”
Café Costume a également trouvé une solution pour répondre à sa surproduction limitée, qui survient en cas de problème dans une commande. “Nous apportons ces chemises à Josefa, qui en fait des pyjamas et des sous-vêtements”, indique Beau Bergmans. “Nous étudions également la possibilité de fabriquer nos manches à partir d’une seule matière, d’introduire notamment le Tencel dans notre gamme de fibres et de proposer une ligne de costumes plus écologiques. Mais trouver les bonnes matières n’est pas une sinécure. Nous en sommes au stade des négociations avec nos fournisseurs.”
Traduction : virginie·dupont·sprl
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