Comment Barry Callebaut veut “durabiliser” la filière du cacao
Niveau de vie des fermiers, travail des enfants, ingrédients durables, etc. Le leader mondial du chocolat, Barry Callebaut, a décidé de mettre le pied sur l’accélérateur en matière de responsabilité sociale et environnementale. Le groupe suisse nous livre, en exclusivité pour la Belgique, les derniers résultats tangibles de son programme “Forever Chocolate”.
“Nous faisons plein de choses autour de la durabilité en Afrique depuis très longtemps, assure Antoine de Saint-Affrique, CEO du numéro un mondial du chocolat Barry Callebaut. Mais nous avons effectué un saut majeur il y a trois ans, lorsque nous avons décidé de placer la durabilité au coeur de notre business model. ” Nous sommes en 2016, un an après la prise de fonction de cet ancien président d’Unilever Foods. Barry Callebaut lance alors un programme baptisé ” Forever Chocolate “. Son ambition est énorme. Il s’agit ni plus ni moins de faire du chocolat durable la norme dans les années à venir. Le groupe définit alors quatre objectifs très clairs, ainsi que les moyens de les atteindre. Pour 2025, il entend éliminer le travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement, faire en sorte que plus de 500.000 exploitants de cacao se hissent hors de la pauvreté, enregistrer un bilan carbone et forestier positif et, enfin, utiliser 100% d’ingrédients durables dans tous ses produits. Depuis 2016 et le lancement du plan, Barry Callebaut publie chaque année les avancées concrètes pour chacun de ces objectifs. Voici, en exclusivité pour la Belgique, quelques résultats atteints par le groupe cette année.
Cette année, 37,6% des matières premières achetées l’ont été sans provoquer de déforestation.
1. Eliminer le travail des enfants de sa chaîne d’approvisionnement
Conséquence de la pauvreté des fermiers, on estime à deux millions le nombre d’enfants travaillant dans les plantations en Côte d’Ivoire et au Ghana, les deux principaux pays producteurs de cacao au monde. Les responsables de Barry Callebaut en sont persuadés : l’élimination du travail des enfants passera avant tout par l’amélioration du niveau de vie des fermiers. Mais dans l’immédiat, le groupe a développé des politiques spécifiques. ” Nous mettons en place des systèmes de surveillance et d’éradication en donnant la priorité aux communautés de producteurs de cacao les plus exposées “, explique-t-on.
A ce jour, 26% des fermes avec lesquelles la multinationale travaille se sont dotées de ces systèmes. Et des comités de pilotage sont créés au sein même des communautés de fermiers. ” Lancé en 2016 en partenariat avec l’International Cocoa Initiative, ce programme concerne par exemple plus de 5.000 fermiers de Côte d’Ivoire, explique l’entreprise. Des animateurs sur le terrain travaillent avec les communautés pour traquer le travail des enfants et l’éliminer, ainsi que pour identifier les facteurs qui y contribuent. ”
Barry Callebaut inclut par ailleurs une sensibilisation au travail des enfants dans la formation qu’il propose aux producteurs de cacao. Au cours de l’année fiscale 2018-2019, près de 90.000 fermiers ont ainsi été sensibilisés ; 3.867 cas de travail d’enfants ont été identifiés, et 2.333 résolus. ” L’accès à une éducation de qualité et la sensibilisation aux droits de l’enfant sont également des points très importants, souligne le groupe. Grâce à des partenariats avec un certain nombre de nos clients, nous soutenons la construction d’écoles dans les communautés locales. ” Pour Barry Callebaut, il est également primordial de fournir une formation et un revenu aux femmes des fermiers. ” Cela aura un impact direct sur la santé et l’éducation de leurs enfants. Nous travaillons afin d’encourager la participation des femmes dans la gestion des fermes, l’objectif étant de renforcer leurs compétences pour leur donner l’occasion d’avoir elles aussi un revenu. ”
2. Sortir 500.000 exploitants de la pauvreté
En raison des faibles rendements résultants de pratiques agricoles encore peu avancées, le revenu moyen des fermiers se situe clairement en deçà du seuil d’extrême pauvreté défini par la Banque mondiale, à savoir 1,9 dollar/jour. Un tel revenu les empêche évidemment d’investir dans leur ferme, ou d’engager du personnel pour travailler dans les plantations. ” Nous nous engageons à lutter contre la pauvreté des agriculteurs en leur donnant les moyens de gagner un meilleur revenu grâce à l’accès à la formation, à l’encadrement, au financement et au matériel de plantation “, explique le groupe.
L’an dernier, Barry Callebaut a décidé de créer des bases de données cartographiant, entre autres, la taille des exploitations, la qualité de leur sol, la productivité et la taille des ménages. L’entreprise suisse aide les fermiers à augmenter leur productivité en leur fournissant des outils plus performants ou en finançant des projets pouvant être menés entre deux récoltes. C’est ainsi que certains ont pu commencer à vendre des oeufs pour augmenter leurs revenus et surtout être moins dépendants de la seule vente des fèves de cacao. Au cours de la dernière année fiscale, le groupe a sorti près de 185.000 fermiers de la pauvreté, près de 50.000 ont bénéficié de matériel de meilleure qualité et plus de 16.000 ont pu créer un business plan agricole.
” Les différents projets pilotes lancés en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Cameroun, au Brésil et en Indonésie visent à tester l’efficacité de ces programmes de productivité, notamment celle des programmes d’engrais, mais aussi de diversification des revenus par la mise en place de programmes de cultures alternatives ou de création d’instruments financiers novateurs “, explique le groupe. C’est la Wageningen University & Research, aux Pays-Bas, qui est chargée d’évaluer l’efficacité de ces interventions.
3. Enregistrer un bilan carbone et forestier positif
La déforestation est l’une des principales causes du réchauffement climatique, et ce dernier a d’importantes répercussions sur les zones agricoles, les fermiers ne pouvant plus compter sur suffisamment de précipitations pourtant essentielles à leur production. En outre, la déforestation dégrade les sols. ” Si l’industrie ne s’engage pas à réduire son empreinte carbone et à atteindre un taux de déforestation nul dans sa chaîne d’approvisionnement, c’est tout l’écosystème qui fournit les ingrédients essentiels à la fabrication du chocolat qui s’érodera rapidement “, affirme Barry Callebaut. Le spécialiste du chocolat a donc noué un partenariat avec le cabinet de consultance Quantis afin que ce dernier l’aide à cerner la meilleure manière de réduire cette empreinte.
Cette année, le groupe a par exemple répertorié 47.182 exploitations cacaoyères de sa chaîne d’approvisionnement, situées à proximité de zones forestières protégées. Une proximité tentante pour ces exploitations, qui pourraient s’y approvisionner en matières premières. En outre, Barry Callebaut, en collaboration avec l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, a développé l’an dernier un système permettant de surveiller par satellite les changements d’affectation des sols et la déforestation. ” Cet outil est le premier du genre à chercher à mettre en oeuvre une telle approche à grande échelle. Une fois finalisé, nous mettrons sa méthodologie à disposition du grand public. Plus important encore, cela nous permettra de demander des comptes. ” L’entreprise assure effectivement réclamer aux fournisseurs de tous les ingrédients dont l’exploitation serait susceptible d’engendrer de la déforestation de mettre en oeuvre des approches équivalentes. Cette année, 37,6% des matières premières achetées l’ont été sans provoquer de déforestation.
Les chiffres de la dernière année fiscale montrent qu’à ce stade, 47% des fèves de cacao achetées par Barry Callebaut sont durables, tout comme 54% des matières premières autres que les fèves.
4. Utiliser 100% d’ingrédients durables dans ses produits
L’entreprise achète une grande variété d’ingrédients. Des produits laitiers en passant par le sucre, l’huile de palme, la lécithine de soja, les noisettes, la vanille, l’huile de noix de coco et, bien sûr, les fèves de cacao. ” Dans les années à venir, la demande croissante va créer d’importants enjeux liés à la durabilité sociale et environnementale “, explique le groupe. Les chiffres de la dernière année fiscale montrent qu’à ce stade, 47% des fèves de cacao achetées par Barry Callebaut sont durables, tout comme 54% des matières premières autres que les fèves. L’an dernier, le groupe était à 44%.
” La certification est pour nous un premier indicateur solide permettant de savoir si les ingrédients ont été obtenus de manière durable, assure-t-on au sein de l’entreprise. Cela ne nous empêche pas d’exiger des garanties supplémentaires au cas où la récolte de produits bien précis provenant de pays spécifiques risquerait de provoquer de la déforestation ou d’engendrer du travail d’enfants. ” C’est la raison pour laquelle Barry Callebaut a notamment rejoint le Palm Oil Innovation Group (POIG). S’appuyant sur les travaux de la Table ronde sur l’huile de palme durable (Roundtable On Sustainable Palm Oil, RSPO), cette coalition a introduit des critères supplémentaires concernant la production d’huile de palme, tels que l’interdiction de planter de palmiers à huile dans les zones à haute valeur de conservation ou sur les tourbières.
C’est donc sur la base de ces quatre objectifs que le leader mondial du secteur espère faire du chocolat durable la norme dans les années à venir. Mais le groupe est bien conscient qu’il ne pourra y arriver sans collaborations. ” Il faut penser et traiter la durabilité à la fois comme une problématique d’affaires, mais aussi comme une problématique que l’on ne peut embrasser seuls, affirme Antoine de Saint-Affrique. Quand vous êtes le leader d’une industrie, vous avez vocation, si vous prenez des engagements publics, chiffrés et limités dans le temps, sur lesquels vous reportez chaque année avec des audits quantifiés, à entraîner un mouvement dans votre société avec des répercussions en termes de culture de société, mais aussi à créer un mouvement d’entraînement dans toute l’industrie. “
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