Chute des actions postales: des opportunités à saisir?

L’action bpost connaît à nouveau une annus horribilis sur fond de détérioration ininterrompue de ses résultats. (Photo by JAMES ARTHUR GEKIERE / BELGA MAG / Belga via AFP) (Photo by JAMES ARTHUR GEKIERE/BELGA MAG/AFP via Getty Images) © BELGA MAG/AFP via Getty Images

L’action bpost connaît à nouveau une annus horribilis sur fond de détérioration ininterrompue de ses résultats. Pour redresser la barre, le groupe mise à nouveau sur les colis, ce qui ne réussit pas vraiment à ses concurrents.

Alors que 2024 devait être l’année de la rédemption pour bpost, notamment grâce à la reprise de l’e-commerce et au boost d’activité induit par les élections de juin et d’octobre, ce fut tout le contraire. Le groupe a dû raboter ses prévisions annuelles cet été après une succession de trimestres décevants. Parallèlement, la perte du contrat pour la distribution de journaux et le rachat de Staci ont accru son profil de risques. Ce qui s’est traduit par une chute de ses multiples de valorisation en Bourse.

Le titre vaut ainsi aujourd’hui moins de cinq fois les bénéfices prévus pour cette année, soit une décote de 65% par rapport à la moyenne européenne. Depuis son introduction en Bourse en 2013, bpost a dégringolé de 83%, une véritable déconfiture pour une action dite de bon père de famille. D’autant plus que ses débuts étaient prometteurs, le titre ayant quasiment doublé jusqu’au rachat du groupe américain Radial.

Rachat de Radial

Annoncée en 2017, l’opération à 700 millions d’euros avait été bien accueillie en raison de son potentiel stratégique. D’une part, cela devait lui permettre de développer une offre complète aux États-Unis avec sa filiale Landmark Global (expédition de colis transfrontaliers), acquise en 2012. D’autre part, bpost pourrait s’appuyer sur Radial pour développer une offre comparable de services e-commerce (gestion des stocks, des livraisons, des paiements, des fraudes) en Europe.

Hélas, le plan ne s’est absolument pas déroulé comme prévu. Quelques mois après la finalisation du rachat, bpost se fendait ainsi d’un terrible avertissement sur résultats. Le titre plongeait de 22% en une seule séance alors que Radial perdait des clients et voyait ses coûts augmenter dans un environnement marqué par une concurrence intense.

Six ans plus tard, la rentabilité demeure fébrile avec une marge opérationnelle de 3,9% pour l’ensemble des activités logistiques nord-américaines et surtout, la concurrence est plus forte que jamais, bpost étant directement confronté à la marketplace d’Amazon.

Distribution des journaux

En Europe, l’ombre d’Amazon plane également. En 2022, la décision du géant américain de lancer sa propre plateforme de livraison en Belgique a ainsi privé bpost de 6% de ses volumes de colis au niveau national.

Parallèlement, les volumes de courrier continuent de chuter : -5,9% en 2021, -6,8% en 2022, -8,4% en 2023. En termes de revenus, cette baisse est compensée par la hausse des prix, le coût d’un timbre prior ayant bondi de 42% en 3 ans. Mais cela ne suffit pas à maintenir la rentabilité dans un environnement d’inflation des coûts.

Entre 2021 et 2023, le résultat opérationnel récurrent de la division Belgique (incluant également les colis nationaux) a ainsi chuté de 28%. Cette année, il faut y ajouter l’impact de la décision du gouvernement de ne pas attribuer de nouvelle concession pour la distribution de journaux et de magazines (qui avait été initialement remportée par PPP). Bpost a ainsi signé un contrat directement avec les éditeurs, mais à des conditions nettement moins favorables puisque le groupe évoque une perte de 50 millions de revenus en 2024 (alors que les nouveaux contrats ne sont entrés pleinement en vigueur que le 1er juillet).

Cette année, bpost voit ainsi sa marge opérationnelle plafonner entre 5% et 7% en Belgique contre 10,9% en 2021, soit un recul considérable.

Le pari Staci

Dans ce contexte morose, l’opérateur belge a décidé d’accélérer sa mue en tant que spécialiste de la logistique commerciale en annonçant le rachat de Staci pour 1,3 milliard d’euros, une opération finalisée cet été. Actif aux États-Unis et en Europe occidentale, le groupe français est spécialisé dans la gestion de flux logistiques sur mesure, tant pour le réassort de points de vente que l’e-commerce ou les sites industriels. Staci est aussi très présent dans la logistique santé ou marketing (supports comme des flyers, drapeaux, etc.).

“D’un point de vue stratégique, l’acquisition de Staci fait sens, car elle renforce et élargit l’offre de bpost en matière de logistique pour tiers et accélère sa transformation en un fournisseur international de premier plan dans le domaine de l’e-logistique”, pointe Frank Claassen, analyste chez Degroof Petercam.
Mais “d’un point de vue financier, nous avons des doutes sur cette transaction”. Premièrement, l’analyste épingle notamment que le prix payé valorise Staci à 10 fois son excédent brut d’exploitation, alors que bpost s’échange elle-même à un multiple de trois. En outre, cette opération va fortement dégrader la position financière du groupe avec un endettement net qui passera de 0,7 fois son excédent brut d’exploitation à un “niveau beaucoup plus tendu de trois fois”.

En l’espace de huit ans et deux grosses acquisitions, bpost sera ainsi passé du statut d’entreprise très confortable financièrement avec une trésorerie nette de près d’un demi-milliard fin 2016 à celui de groupe très endetté. Ce qui compromet la politique de dividende.

Le Chief Financial Officer Philippe Dartienne de bpost (à gauche), le CEO Chris Peeters (au centre) et le CEO de Staci Thomas Mortier (à droite). En rachetant Staci, bpost renforce et élargit son offre en matière de logistique pour tiers et accélère sa transformation en un fournisseur international de premier plan dans le domaine de l’e-logistique (Photo by Thierry Monasse/Getty Images) © Getty Images

Quadrature du cercle

Cela illustre également toute la difficulté de la situation. Bpost ne peut rester les bras croisés sous peine de voir ses revenus progressivement fondre sous l’effet du recul du courrier et de la concurrence dans les colis.

Mais chaque choix stratégique est risqué, a fortiori dans un secteur où nombre de ses pairs se trouvent dans le même cas et arrivent inévitablement à la même conclusion : les colis et la logistique e-commerce sont le segment idéal, car il est en croissance et leur permet d’exploiter leur savoir-faire.

Toutefois, cela se reflète sur la concurrence. Selon l’observatoire de l’IBPT, les opérateurs postaux historiques trustent l’essentiel du marché des colis en Belgique : bpost, la poste néerlandaise (Post NL), la Poste française (DPD), Deutsche Post (DHL Express et Parcel) et la Royal Mail britannique (GLS). Le top 10, qui accapare plus de 95% du marché, est complété par les acteurs mondiaux traditionnels (Fedex & TNT, UPS) et Mondial Relay, issu de la réorientation stratégique de 3 Suisses.

En huit ans, bpost est passée du statut d’entreprise avec une trésorerie nette de près d’un demi-milliard à celui de groupe très endetté.

Avertissement de FedEx

Combiné à l’internalisation des envois par Amazon, cela engendre un climat concurrentiel intense, alors que la croissance ralentit comme les derniers chiffres trimestriels de FedEx viennent de le confirmer.

Le géant américain a réalisé un chiffre d’affaires de 21,6 milliards de dollars, en légère baisse par rapport à l’année précédente et en recul de 7% sur deux ans. Une tendance que FedEx explique notamment par les choix de ses clients qui préfèrent les formules économiques aux coûteux envois prioritaires.

Ce facteur combiné à l’inflation des coûts a plombé sa marge opérationnelle qui est passée de 7,3% à 5,6% en un an. Une tendance qui affecte encore bien davantage les groupes postaux traditionnels, moins actifs dans les envois express et internationaux.

Flux de trésorerie disponible

PostNL a par exemple dégagé une marge opérationnelle d’à peine 2,7% l’année dernière, tout en devant continuer à investir dans l’extension de ses activités colis. Son flux de trésorerie disponible (free cash-flow ou FCF), déterminant pour sa capacité à rémunérer ses actionnaires, a ainsi plafonné à 52 millions d’euros en 2023, forçant le groupe à raboter son dividende annuel à 0,09 euros par action, 79% de moins qu’en 2021. Et les perspectives ne sont pas au beau fixe puisque son FCF devrait être compris entre 0 et 40 millions cette année.

International Distributions Services (IDS), holding faîtière de Royal Mail et GLS, a accepté ce printemps une offre de rachat du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, alors que le groupe a dû renoncer à verser un dividende après deux années de free cash-flow négatif.

En France, le groupe La Poste, détenu par l’État, a affiché un flux de trésorerie libre de -437 millions d’euros en 2023 en raison des importants investissements de près de 1,5 milliard d’euros.

Jusqu’à présent, bpost a affiché un free cash-flow un peu plus consistant malgré une chute de 45% à 221 millions d’euros en 2023. Mais la perte du contrat de distribution de la presse, le coût financier du rachat de Staci (charge d’intérêt prévue à plus de 100 millions en 2025) et la hausse attendue des investissements assombrissent les perspectives.

Analystes prudents

Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que les analystes demeurent méfiants envers bpost malgré ses très faibles multiples de valorisation. Seul KBC Securities est à l’achat, les sept autres analystes couvrant le titre préférant rester à l’écart malgré des évaluations laissant parfois un potentiel de hausse conséquent.

Les autres acteurs postaux font face à la même prudence. PostNL accumule trois conseils de vente, cinq de conserver et seulement un d’acheter. IDS (Royal Mail) est à peu près dans le même cas avec deux avis positifs, quatre neutres et un négatif, malgré une offre de rachat en cours au prix de 370 pences par action.

S’il semble donc trop tard pour vendre, les planchers historiques atteints par bpost ou PostNL ne constituent guère des opportunités d’achat, tant le chemin vers le redressement pourrait être long.

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