Propriétaire du Château de Leignon dans le Namurois depuis 1990, la famille Karaziwan l’a fait classer et veille à sa préservation. Dans les annexes qu’elle a acquises à la sortie de la pandémie, elle met en avant l’artisanat et les métiers de bouche avec une brasserie, une chocolaterie, un restaurant gastronomique et, bientôt, un hôtel.
Construit sur des terres appartenant à l’origine à l’abbaye de Stavelot, le Château de Leignon, situé à un jet de vieilles pierres de Ciney dans le Condroz, doit sa majesté à Isidore Eggermont. À la fin du 19e siècle, le diplomate gantois, conseiller et secrétaire de Léopold II, avait en effet confié à Auguste Van Assche, un architecte tout aussi gantois, la tâche de construire un château moderne en lieu et place du bâtiment existant. Il n’a pas lésiné à la dépense et fut même l’un des premiers propriétaires de Wallonie à disposer du téléphone et d’un ascenseur. À la mort de sa veuve aux débuts des années 1950, ses quatre enfants ont procédé à la vente du château et des 400 hectares de terres et dépendances. Les biens ont transité par la SNCB avant d’être morcelés. Le château, en lui-même, et son parc de 11 hectares ont été acquis en 1990 par Albert Karaziwan et sa famille.
“Le château a longtemps été un centre de vacances de l’AEP, l’association des enfants des prisonniers de guerre, explique Aurélie Karaziwan, la fille aînée d’Albert. Après l’achat, mon papa s’est attelé à son classement qui est intervenu en 1992. Jusqu’en 2010, nous nous sommes contentés de préserver la beauté des lieux sans vraiment procéder à des rénovations massives. Elles ne sont intervenues que plus tard par petites touches. C’est un achat qui témoigne de notre amour pour la sauvegarde du patrimoine. D’ailleurs, nous possédons un autre château classé à Bruxelles et le siège de Semlex, l’entreprise familiale active dans la biométrie, est aussi classé. Au fil des années, nous avons passé du temps à Leignon, mais ce ne fut jamais qu’une résidence secondaire. C’est toujours le cas aujourd’hui.”
La ferme et les écuries
Coup sur coup, après la pandémie, les deux voisins ont choisi de mettre en vente. En 2021, la famille Karaziwan a donc récupéré les anciennes écuries du château qui abritaient des stages d’équitation depuis les années 1970 ainsi que la ferme. Il ne lui manque aujourd’hui, par rapport au domaine originel, que le vaste territoire de chasse et ses étangs. C’était le début d’un grand projet centré sur l’artisanat et le défense du terroir.
“Nous avons toujours été attirés par les métiers de bouche, poursuit Aurélie Karaziwan, et monter un tel projet participe à cette passion. L’idée maîtresse est de développer des activités dans les dépendances pour permettre de financer la préservation du château. Dit autrement : l’ensemble doit s’autofinancer à terme. Il s’agit pour nous de bien gérer notre patrimoine et d’en garantir la transmission. Les achats ont été réalisés via la société patrimoniale familiale avec mon papa et mes trois frère et sœurs. Je travaille chez Semlex avec mon frère. Mes deux sœurs ont des métiers différents. L’une est kiné et a d’ailleurs créé un Yoga Brunch avec la cheffe Isabelle Arpin.”
“L’idée est de développer des activités dans les dépendances pour permettre de financer la préservation du château.” – Aurélie Karaziwan
Tout a commencé avec la Brasserie de Leignon et la rencontre d’Albert Karaziwan avec Cédric Rosmant lors d’un événement au Centre culturel de Ciney. “Je ne suis pas du tout issu du monde de la brasserie, sourit Cédric Rosmant. J’ai, pendant un quart de siècle, été successivement chauffagiste, conducteur de travaux télécoms et gestionnaire de projets dans le nucléaire et le spatial. Mais je suis passionné de bières depuis longtemps. Avec des amis, nous faisions des soirées découvertes avant de décider de créer notre propre micro-brasserie en 2018 quand j’ai décroché mon diplôme de maître-brasseur à l’IFAPME. Elle s’appelle la Brasserie du Condroz. Elle n’est plus guère active aujourd’hui. Ma rencontre avec Albert a débouché sur des recettes patiemment élaborées pendant le confinement. Emballé, il a construit une véritable brasserie sur mesure dans l’ancienne grange et j’ai réalisé mon premier brassin en septembre 2023 pour une inauguration officielle début 2024.”

Brasserie artisanale
Si Cédric Rosmant produit seul (600 hectolitres la première année !), il est désormais aidé par deux personnes pour le marketing et la commercialisation des bouteilles et des fûts. Il faut dire que la gamme est désormais riche de huit bières artisanales (le malt vient de la Malterie du Château de Belœil et de Belgomalt, et le houblon majoritairement de la Houblonnerie de Liège) : pils, blanche à la bergamote, triple, IPA, Impérial Stout, blonde aux quatre céréales, etc. Elles ont été acceptées dans la gamme des produits locaux pour les Carrefour de Bruxelles et de Wallonie et sont déjà abondamment présentes dans les commerces locaux. L’horeca est en plein développement. Comme pour les autres activités, une société particulière a été créée.
“Dans chaque société, je me suis associée, au nom de la famille, avec les partenaires, explique Aurélie Karaziwan. C’est une bonne manière de faire, je trouve, pour garantir la pérennité des activités. Pour la chocolaterie, les choses se sont faites naturellement. Jérôme est un ami d’enfance. Avec Raphaël, ils cherchaient un espace atelier et je trouvais que leur travail cadrait parfaitement avec notre projet.”
Après le resto ouvert au début 2024, une chocolaterie a donc vu le jour le 3 décembre dernier. À sa tête, Jérôme Deborne et Raphaël Vanda, qui se sont connus en secondaires à l’Athénée Royal d’Auderghem et qui, à 35 ans, ont entamé ensemble une formation en chocolaterie-confiserie en cours du soir à l’Institut Roger Lambion. Si la gamme n’est pas encore complète, elle propose déjà des pralines, des macarons, des rochers, des biscuits, une pâte à tartiner au caramel beurre salé, etc. Les deux partenaires ne travaillent pas la fève (ils n’ont pas l’espace) mais des chocolats équitables issus de producteurs durables. La clientèle est au rendez-vous.
Isabelle Arpin dans son élément
Cela fait plus d’une décennie que nous connaissons Isabelle Arpin. Nous avons suivi la cheffe dans toutes ses péripéties bruxelloises dont certaines furent étoilées : Alexandre et le Wy.En juin 2023, elle a décidé de fermer son restaurant éponyme situé à l’avenue Louise à Bruxelles. Son propriétaire n’était autre qu’Albert Karaziwan… “Il m’a de suite proposé de venir voir ce qu’il faisait à Leignon où il voulait ouvrir un resto dans l’ancienne ferme qu’il venait de racheter, se rappelle-t-elle. Le projet global m’a séduit. Le resto est situé dans l’ancien logement de la ferme. Ils ont rénové à l’ancienne en préservant et recyclant au maximum. Cet écrin est juste magnifique. Avec mon associée Dominika Herzig, nous avons enfin l’espace pour faire des choses dont on rêve depuis longtemps : des boissons sans alcool, de la conservation et de la fermentation de légumes, etc. Nous avons un petit potager et des arbres fruitiers (cassis et cerisiers). Par rapport à Bruxelles, j’ai aussi la chance d’avoir tous mes producteurs ou quasi à proximité. Il n’y a plus de problème de livraison ! (rires). J’ai trouvé une belle qualité de vie et je n’ai plus du tout l’envie de bouger ! Il m’est arrivé bien des aventures mais ce ne fut pas toujours mon choix.”
Dans le partenariat avec la famille, Isabelle Arpin a carte blanche. Vu le côté touristique de l’endroit, elle a décidé de décliner une carte avec des classiques revisités et de faire revivre sa touche gastronomique enlevée uniquement dans les menus. “Je fais une cuisine qui me ressemble. Sans pression, stress, ni objectif précis. Il me faut constater que cela plaît puisqu’au bout d’une bonne année, le public suit. Y compris mon ancienne clientèle bruxelloise et flamande qui est ravie de l’ouverture des chambres et des gîtes. Nous gérons aussi les petits-déjeuners des chambres et ferons de même quand l’hôtel sera ouvert. On y propose notamment les jus de fruits et les confitures élaborés par Dominika.”
Le restaurant qui, en juin, renforcera son équipe en accueillant Cyril Mirgaux, le sommelier de l’étoilé La Table de Manon, dispose d’une magnifique terrasse ouverte toute la journée pour déguster, entre autres, les bières de Leignon et autres jus de fruits maison.
“On aurait pu croire que, vu le côté isolé de l’endroit, le démarrage serait difficile, sourit Raphaël Vanda. Mais pas du tout. Nous avons profité de l’énorme succès du marché de Noël du Château de Leignon pour nous faire connaître et depuis, la clientèle revient et s’étoffe.
À la campagne, les gens ont l’habitude de faire quelques kilomètres pour faire leurs courses. Il faut encore que nous finalisions les recettes des tablettes qui manquent encore à l’appel. De même, nous n’avons pas eu les moyens d’investir dans la production de glaces artisanales maison. Chaque chose en son temps, mais nous espérons en proposer l’an prochain.”

Un hôtel de 20 à 30 chambres
À Leignon, quatre chambres situées au-dessus du restaurant et deux gîtes sont déjà disponibles. C’est Dominika Herzig qui les gère opérationnellement. Elles sont indispensables vu les activités développées, le tourisme de week-end et le relatif éloignement du château. Indispensables, mais pas suffisantes. Un hôtel de 20 à 30 chambres avec spa est en préparation dans l’aile de la ferme restée inoccupée.
“Nous en sommes au stade du permis, conclut Aurélie Karaziwan. Nous espérons une ouverture en 2027. Ce ne serait ni un palace ni un hôtel de chaîne. Nous travaillons avec les mêmes architectes qui ont imaginé nos chambres et l’hôtel offrira le même confort campagnard et douillet. Cet hôtel va incontestablement attirer encore plus de clientèle au restaurant. La demande est forte en ce sens et nous ne pouvons pas y répondre en propre. Il va de soi qu’un tel hôtel va nécessiter de développer un partenariat, et donc, une autre société avec quelqu’un dont c’est le métier. Je ne vous en dirai pas plus à ce stade car ce n’est pas encore signé.”
Il restera alors à trouver une destination à la glacière originelle et à rénover les écuries dont le manège intérieur est magnifique. Le but est d’y accueillir des activités culturelles.