Cela fait 25 ans que Michel Verhaeghe de Naeyer a racheté le Château de Bousval. Actif dans l’immobilier, le private equity et l’industrie des minéraux, il s’est lancé il y a 13 ans dans la viticulture biodynamique sur les terres du château. Aujourd’hui, il produit aussi de l’huile d’olive au départ d’un domaine sicilien abandonné.
Michel Verhaeghe de Naeyer est un homme passionné. Passionné par la transmission, la préservation et la défense de l’environnement. C’est aussi un homme aux multiples facettes: investisseur en private equity (une activité un peu moins dense ces derniers temps), business angel (il a soutenu de nombreuses jeunes pousses), membre du conseil d’administration de Sibelco, le géant belge des minerais spécialisés destinés à l’industrie (silice, quartz, argile, etc.). Son amour de la préservation se marque aussi dans le magnifique Passage du Nord, à Bruxelles, que sa famille détient depuis 1880 !
“Nous sommes les descendants de Léon Fontaine, qui a acquis cet endroit magnifique à la fin du 19e siècle, raconte Michel Verhaeghe de Naeyer. Léon a eu quatre filles qui se sont chacune mariées. Les quatre branches originelles existent encore aujourd’hui et sont toujours propriétaires et actives dans la société gestionnaire ou au conseil d’administration. La culture et les valeurs se sont perpétuées pendant plus d’un siècle. Nous avons patiemment rénové ce lieu ces 25 dernières années. Pas simple quand c’est un tel lieu emblématique classé.
Pas plus simple non plus de lui redonner son lustre d’antan. Il y a toujours un coutelier, mais avant, vous y trouviez un chapelier ou une ganterie. Autant de métiers et boutiques aujourd’hui désuets. La structure démographique du centre de Bruxelles a aussi beaucoup changé et les attirances commerciales ne sont plus les mêmes. Si le quartier immédiat est un peu désolant en ce moment, la fin des travaux de la place De Brouckère et le retour du Métropole vont lui redonner du lustre et le rendre à nouveau attirant. À nous d’y proposer une offre différente qui vaille le détour. Je suis, en tous cas, très satisfait d’avoir accueilli Cohabs qui loue tous les étages. Ils ont tout rénové et y proposent 62 chambres.”
De la biodynamie à Bousval
Il y a quasi 25 ans, Michel Verhaeghe de Naeyer, via Strudelimmo, la société immobilière familiale, a racheté le château de Bousval – dans le Brabant wallon – à son cousin, feu Jean-Marie Delwart, l’emblématique patron de la Floridienne, au moment de son rachat du château d’Argenteuil. Acheter un château, et nous l’avons encore souligné avec celui de Leignon, suppose, outre l’investissement initial, des épaules larges pour supporter l’entretien (toiture, châssis, chaudière, vieilles pierres, etc.) et la préservation d’un bâtiment classé. C’est la raison pour laquelle Michel Verhaeghe de Naeyer s’est lancé dans la viticulture il y a 13 ans.
“Je voulais faire vivre différemment les terres de la propriété pour accrocher cette maison à son terroir, confie-t-il. On y faisait bien du maïs, de la betterave et du blé en mode plutôt intensif, mais je voulais autre chose de plus porteur. Un héritage qui fasse sens et respecte le terroir. Mais aussi pour que le château ne soit pas un fardeau pour les générations à venir et pour lui conférer une certaine autonomie. C’était une façon de préserver le château en continuant à le faire vivre.
Quand on achète de tels endroits magiques qui ont traversé les siècles, la mission de sauvegarde s’impose d’elle-même. Faire du vin s’est tout autant imposé. C’est un projet familial, même si mes enfants sont à peine arrivés dans la vingtaine. Mais ils ont participé à l’élaboration des étiquettes et nous parlent de la viticulture abondamment. La succession logique est possible. Au pire, il existe des solutions pour sauter une génération en confiant temporairement la gestion du domaine viticole. On verra. On a le temps.”
Une référence

En une bonne dizaine d’années, le vignoble du château de Bousval est devenu une référence dans la viticulture belge. Ses vins blancs comme Le Tout Cru, récemment récompensé d’un Belgian Wine Award par le guide 2025 des vins belges de Gault & Millau, Le Petit Gris ou Gouttes d’O, son rosé Le Névrosé ou son pinot noir Ange ou Démon témoignent d’une qualité rare. C’est une sacrée réussite car se lancer dans la biodynamie en Belgique, ce n’était pas gagné d’avance.
“La biodynamie n’était pas la voie la plus simple à prendre, mais c’est ma philosophie, et je ne l’aurais pas fait autrement. – Michel Verhaeghe de Naeyer
“Faire du vin en Belgique, c’est un vrai challenge, sourit Michel Verhaeghe de Naeyer. Planter, c’est facile, mais après… Et j’avoue que la biodynamie n’était pas la voie la plus simple à prendre. Mais c’est ma philosophie, et je ne l’aurais pas fait autrement. C’est une question de respect de la terre, des hommes qui la travaillent, mais aussi de nos voisins à Bousval. Produire pour produire ne m’intéresse pas. Ce n’est pas très intelligent d’épuiser sa terre. À Bousval, nous régénérons nos sols depuis que nous avons planté afin qu’ils expriment toute leur beauté dans nos bouteilles.”
Pas de bulles
La gestion en biodynamie n’a pas été aidée par notre météo. Seulement 4.000 bouteilles du millésime 2024 ont été produites et uniquement du chardonnay. Les autres cépages ont abandonné en route. Il faut les reins solides pour avaler ce genre d’année.
“En 2021, une autre année horrible, j’ai déclassé tout le vin, assène Michel Verhaeghe de Naeyer. Je le trouvais indigne de Bousval. Je reconnais que tout le monde ne peut se permettre de déclasser un millésime, mais la grande erreur eut été de sortir un produit pas à niveau. Cela aurait ruiné notre image. Un client qui goûte un mauvais Bousval un jour, il ne revient plus.
Déclasser, c’était le choix du long terme. Nous savons que nous allons avoir d’autres années difficiles. La viticulture, ce sont des joies et des peines. Ce n’est jamais gagné d’avance. Le vin de 2021 n’a pas été perdu pour autant. Nous l’avons distillé et gardons l’alcool pour de futurs projets. Nous venons de planter des noyers et des poiriers. Il faut huit ans pour avoir une première poire et dix pour une noix. Quand on y sera, l’idée est de produire deux eaux-de-vie, en plus du Marc de Bousval que nous élaborons déjà dans notre alambic.”
Bousval ne veut pas produire pour produire et cette assertion permet de comprendre pourquoi, à contre-courant de la majorité de nos vignobles belges, le domaine ne produit pas d’effervescents. C’est un choix délibéré.
Faire du vin en Belgique, un challenge
“Faire des bulles, c’est le choix de la facilité, confirme Michel Verhaeghe de Naeyer. L’impact du climat est moindre, les vendanges se font plus tôt et une correction du taux d’acidité est possible. Mais, à dire vrai, les bulles ne m’excitent pas. Soixante-cinq pour cent de nos vignobles en font. Si on ajoute tous les concurrents étrangers, cela en fait du monde sur la ligne de départ. Faire des bulles, si un jour je dois m’y résoudre, serait un constat d’échec. Je préfère diminuer ma production que produire quelque chose que je n’apprécie pas plus que cela. Faire du vin tranquille en Belgique, c’est un plus grand challenge. Faire de la qualité en biodynamie chez nous démontre un savoir-faire et rend fier.”

Avec ses 8,2 hectares plantés à la bourguignonne (les rangs et les pieds sont fort espacés), Bousval est capable de produire entre 30.000 et 40.000 bouteilles les bonnes années. Un volume suffisant pour alimenter le marché intérieur, mais aussi pour exporter. Les vins du domaine sont ainsi disponibles au Royaume-Uni, au Luxembourg ou encore aux Pays-Bas. Une démarche essentielle, selon Michel Verhaeghe de Naeyer.
Sur la bonne voie
“Nous avons raté l’expo universelle d’Osaka, mais je suis content que le Chant d’Éole y soit servi. Un marché et une reconnaissance, cela se construit patiemment, d’autant que je reste dans ma niche qui est plus risquée. Être connu à l’étranger participe de cette démarche et est essentiel pour la notoriété de notre marque.
En France, cela demeure compliqué, mais j’étais l’autre jour dans une dégustation chez mon importateur britannique. Les clients venaient chez nous avec des pieds de plomb. Ils ne savaient pas que la Belgique produisait du vin et étaient plus que sceptiques. Les voir repartir enthousiastes prouve que nous sommes sur la bonne voie. Je sais que notre gamme de prix peut rebuter : 36 euros pour un Tout Cru, cela peut paraître beaucoup en comparaison d’autres produits étrangers plus réputés, mais c’est le juste prix de notre choix cultural et durable, ainsi que de nos investissements humains et financiers.”
En Sicile
Les projets agricoles de Michel Verhaeghe de Naeyer ne s’arrêtent pas au vin. Strudelimmo a racheté, il y a peu, de vieilles terres siciliennes abandonnées. Situées à Raguse, dans la vallée de l’Irminio, et dans la zone d’appellation AOP Monti Iblei, elles recèlent de très vieux oliviers de type Verdese et des caroubiers. Patiemment, l’équipe retravaille le domaine parcelle par parcelle, remet les oliviers en état et en plante d’autres. Un travail de fourmi effectué aussi en biodynamie. Les premières bouteilles de l’huile d’olive extra vierge déjà produite et appelée La Sorellina viennent d’arriver en Belgique.
“C’est un projet à très long terme, conclut Michel Verhaeghe de Naeyer. Il s’agit de redonner du sens à un environnement abandonné, mais qui avait été préservé et jamais exposé à des pesticides. C’est une petite pierre à la préservation mondiale de l’environnement, mais c’est comme cela qu’on y arrive. Nous visons la certification en biodynamie, mais avons déjà été labellisés bio l’an dernier. L’huile d’olive est uniquement destinée au marché belge. On la trouve déjà dans l’horeca et elle se vend, pour l’instant, uniquement sur notre boutique en ligne.”