Ce que les patrons venus de France pensent du management à la belge

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Les dirigeants français viennent volontiers occuper des postes de direction dans des entreprises belges. Ils y découvrent un management un peu moins vertical et un pays peut-être un peu plus compliqué… Quinze d’entre eux racontent leur expérience.

Des poids lourds du Bel20 comme Solvay, Proximus ou UCB, de grandes entreprises comme Agfa-Gevaert, Delhaize ou John Cockerill et bien entendu les filiales belges de groupes français comme Carrefour, Veolia ou Axa. On ne compte plus les patrons – les patronnes sont plus rares – français qui dirigent des sociétés belges. Pourquoi y en a-t-il donc autant? “Ils ne sont pas choisis pour leur nationalité mais pour leurs compétences, notamment à l’international”, assure Marie- Hélène De Coster, en charge des activités Benelux d’Heidrick & Struggles, un bureau de recrutement de hauts profils. La plupart affichent en effet une solide expérience internationale avant d’opter pour ces postes en Belgique. La partner souligne toutefois une caractéristique générale des managers français: “ils s’expriment globalement très bien, avoir une certaine éloquence, c’est culturel chez eux”.

La Belgique, c’est une vraie expatriation pour un Français, tout en restant proche de ses bases.”

Anne-Christine Genouville (Chambre de commerce France-Belgique)

“Choisir un manager venu de l’extérieur peut s’avérer une très bonne chose pour l’entreprise, ajoute l’administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises, Olivier de Wasseige. Cela aide à prendre du recul par rapport à la situation locale.” C’est particulièrement vrai dans le secteur, très en vogue, des biotechs où l’on retrouve des Français mais aussi des Américains, des Allemands et d’autres Européens. “C’est un secteur par nature mondial et les scientifiques ont toujours travaillé avec leurs confrères à l’étranger, reprend Marie-Hélène De Coster. En Belgique, nous avons toujours été accueillants pour les acteurs économiques internationaux.”

620 km de frontières

Une conjonction d’éléments explique la surreprésentation française dans le monde patronal belge. Le plus évident, c’est la proximité géographique avec les 620 km de frontières franco-belges. “Pour un Français, la Belgique est une vraie expatriation, même s’il reste proche de ses bases et pourra naviguer facilement entre les deux pays, souligne Anne-Christine Genouville, la directrice de la Chambre de commerce et d’industrie France-Belgique. En plus, avec le Covid, on a redécouvert nos voisins. Les liens économiques se sont resserrés entre nos deux pays.” Le phénomène est accentué par la communauté linguistique avec au moins une partie du pays, ce qui facilite la transition culturelle d’une expatriation. A conditions égales, un Français viendra plus aisément travailler en Belgique qu’un Italien, un Norvégien ou un Américain. “Spontanément, grâce à notre culture commune, nous aurons plus de Français qui vont se faire chasser ou qui vont postuler pour des postes en Belgique”, dit-elle. La loi du nombre joue peut-être un rôle: quand on cherche des profils qualifiés très spécifiques, on a plus de chance de les trouver parmi les 68 millions de Français que parmi les 11 millions de Belges. Mais la proximité est aussi économique: la France est le deuxième client des exportateurs belges (65 milliards d’euros! ) et le premier des exportateurs wallons (20% du total). Nos voisins sont également les deuxièmes plus gros investisseurs étrangers en Belgique (après le Royaume-Uni, sans doute un effet Brexit) et les plus gros créateurs d’emplois, selon le dernier baromètre réalisé par EY. Les entreprises françaises sont par ailleurs les troisièmes fournisseurs des sociétés belges. “Ces échanges créent des relations privilégiées, beaucoup d’entreprises belges ont des filiales en France et souvent même des actionnaires français, dit Olivier de Wasseige. A un moment donné, cela peut contribuer à ce que des dirigeants français soient invités à exercer en Belgique.” “C’est d’autant plus vrai que les secteurs d’activités sont très proches entre les deux économies, ajoute Anne-Christine Genouville. Il n’y a pas un gisement où l’un serait absent et l’autre très présent, nous sommes complémentaires dans tous les domaines.”

La princesse Astrid, face au CEO de John Cockerill lors d'une mission économique au Mexique. La plupart de nos témoins le reconnaissent: en Belgique, les contacts au plus haut niveau sont bien plus faciles que dans l'Hexagone.
La princesse Astrid, face au CEO de John Cockerill lors d’une mission économique au Mexique. La plupart de nos témoins le reconnaissent: en Belgique, les contacts au plus haut niveau sont bien plus faciles que dans l’Hexagone.© BELGAIMAGE

Etape dans une carrière…

Les témoignages recueillis pour ce dossier le montrent: les dirigeants français connaissent relativement mal la Belgique au moment de s’y établir professionnellement. “Il faut parfois insister un peu pour réussir à les convaincre, concède Anne-Charlotte Vaillant, fondatrice du bureau de chasseur de têtes Alhambra. Les Français ne se rendent pas compte du potentiel européen que représente Bruxelles, de l’importance du lobbying sur la réglementation par exemple. Un poste en Belgique peut constituer une belle étape dans la carrière d’un patron français, que ce soit pour poursuivre à l’international ou pour revenir en France. C’est cela qu’il faut leur vendre pour les attirer.”

Il faut une belle intelligence émotionnelle pour diriger une entreprise en Belgique.

Marie-Hélène De Coster (Heidrick & Struggles)

Les grands groupes ont, eux, bien conscience de ce potentiel et ils envoient volontiers des talents prometteurs faire leurs armes dans leur filiale belge. “Pour un groupe français, c’est un bon moyen de tester leurs compétences à la tête d’une entité et sans être trop loin du siège”, analyse le CEO de John Cockerill, Jean-Luc Maurange. “Avoir des responsabilités en Belgique, c’est intéressant car si le territoire est petit, il y a une certaine complexité à gérer avec notre multilinguisme et nos différences culturelles, ajoute Marie-Hélène De Coster. Il faut une belle intelligence émotionnelle pour bien diriger une entreprise en Belgique. Cela peut donc constituer une belle étape pour des cadres français.” C’est d’ailleurs ce qui, a contrario, fournit un atout aux cadres belges tentés par une expérience internationale. “Les dirigeants belges savent s’adapter à des cultures différentes, confirme Anne-Charlotte Vaillant. La manière dont le pays fonctionne et dont les entreprises se développent au coeur de l’Europe en atteste. Les Belges ont cette compétence internationale en eux, autant la travailler alors!”

… ou implantation durable?

Mais si le passage en Belgique peut être une étape intéressante pour un manager, la proximité géographique et culturelle qui favorise les Français peut ici se retourner contre leurs plans de carrière. Comme le dit en effet Anne-Christine Genouville, “on ne passe pas toujours en Belgique, on peut parfaitement y rester”. Elle constate en effet que la plupart de ces dirigeants s’intègrent si bien dans la société belge qu’ils cherchent souvent à y rester à l’issue de leur mandat, en particulier quand leurs enfants y effectuent leur scolarité. “C’est un atout de la Belgique qu’on connaît assez mal ici, reprend Marie-Hélène De Coster. Vous pouvez facilement venir en famille, il y a des écoles internationales qui respectent les programmes français, américains, britanniques, allemands ou japonais. Vous ne trouvez pas cela partout!”

Un manager venu de l’extérieur, cela aide à prendre du recul.

Olivier de Wasseige (UWE)

Pour les Français, le néerlandais constitue toutefois a priori un fameux écueil. Ce serait sans doute le cas dans des petites PME, cela ne semble pas l’être dans de grandes entreprises. “Les CEO sont recrutés pour leur profil international et la langue des affaires, c’est de toute façon l’anglais”, résume Anne-Charlotte Vaillant. Qui a cependant choisi d’apprendre le néerlandais en s’établissant à Anvers car, dit-elle, “comprendre les règles et le fonctionnement d’un pays, cela passe par la compréhension de la langue“. Cela facilite évidemment l’intégration – même si elle rappelle qu’il y a une petite communauté d’expatriés français, et même un lycée français à Anvers – et cela lui a ouvert des marchés pour accompagner l’expansion française de PME flamandes.

CEO avant d’être Français

Les 15 dirigeants qui témoignent dans notre dossier confirment en tout cas une belle intégration et mettent en avant des relations interpersonnelles plus simples et directes qu’à Paris. Cette intégration, c’est l’une des missions de la Chambre de commerce France-Belgique. “Quand la personne vient sans sa famille, ce qui arrive régulièrement, il est vraiment utile d’avoir des cercles comme le nôtre pour créer des contacts, affirme Anne-Christine Genouville. La porosité est énorme entre nos deux mondes mais il faut la créer. Il faut rencontrer des gens pour découvrir que telle famille va régulièrement en vacances dans votre région d’origine et que vous avez plein de points en commun.”

De là à y voir un véritable réseau professionnel actif, il y a peut-être de la marge. C’est du moins le point de vue de Marie-Hélène De Coster. “Je pense qu’ils se construisent un réseau en tant qu’acteurs économiques, par industries ou secteurs peut-être mais pas vraiment par nationalité, dit-elle. C’est en tant que CEO qu’ils se parlent et se côtoient, pas spécialement en tant que Français. Ce sont des profils internationaux, qui ont été professionnellement éduqués dans un environnement international, avec une pensée globale.” Mais on veut bien prendre les paris: les soirs de Coupe de Monde de football, les racines nationales reprennent quand même le dessus.

Ce que les patrons venus de France pensent du management à la belge
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