Carolo Power: Charleroi soigne son renouveau
L’ouverture à la mi-décembre d’un nouveau Musée des Beaux-Arts à Charleroi, un BPS22 rénové ou encore le changement de direction au Palais des Beaux-Arts confirment que la culture de la ville n’est pas seulement un bandage sur d’anciennes blessures industrielles.
“Je suis venu en trottinette électrique depuis le centre de Charleroi, à quelques minutes à peine. Mais je suis gelé”. Contrairement à la météo de cette mi-décembre, Pierre-Olivier Rollin, se montre toujours chaud quand il s’agit de parler de sa ville natale. Patron du BPS22 depuis 2000, vaste espace d’avant-garde à quelques centaines mètres de la Ville-Haute, ce quinqua (1970) est venu visiter le tout nouveau Musée des Beaux-Arts, opérationnel depuis le 17 décembre. Installée dans les anciennes écuries Defeld, précédemment occupées par la gendarmerie et la police, la nouvelle proposition carolo a du chien. Pour un ravalement à trois millions d’euros, nettement moins coûteux que la gare de Mons, ce bâtiment évoquant une chapelle XXL – en pays socialiste – offre 2.000 m2 d’exposition, pour des propositions permanentes, dont une très belle série d’oeuvres de Magritte, d’artistes locaux, et 400 m2 destinés à des expos temporaires.
Jusqu’au début de l’été 2023, le musée se plonge dans l’une des grandeurs locales: l’héritage de Spirou et des légendaires éditions Dupuis. C’est sympa, habile, documenté, riche en livres, artefacts, posters et autres échappées numériques interactives. La plupart des objets viennent des auteurs et des collectionneurs. S’y trouve même le bureau original de Monsieur Dupuis, boss d’une dynastie de dessinateurs et scénaristes qui percole jusqu’à aujourd’hui, successeurs notamment du maître André Franquin.
Devant une imposante bibliothèque jaune qui présente des centaines de bouquins, une palette bourrée de BD: “c’est le dernier Petit Spirou et le nombre d’exemplaires qui se vend à chacune de ses sorties d’albums, soit 1.500 par jour”. Thierry Tinlot, ex-rédacteur en chef du magazine Spirou, co-commissaire de l’expo, travaille à Charleroi pour Dupuis, peu ou prou, depuis les années 1980. “Pendant longtemps, j’ai fait le trajet depuis Bruxelles vers Charleroi, pour le boulot, sans vraiment regarder la ville. Mais au fil des années, j’ai trouvé du charme aux Carolos, qui restent eux-mêmes. Je me suis attardé, j’ai visité, j’ai marché. Et ici, il y a quelque chose de particulier.” Sur ces mots, Thierry Tinlot et Pierre-Olivier Rollin se retrouvent face au gaffophone, trônant dans l’entrée du nouveau musée. Pour ceux qui auraient raté la vie de Gaston – personnage déclencheur de catastrophes imaginé par Franquin – ce pseudo-instrument loufoque naît en BD en 1967, inspiré d’une authentique harpe africaine que Franquin avait aperçue au musée de Tervueren. Epris de Gaston comme de son improbable bidule à cordes, l’auteur demandera à Max Vandervorst, luthier sauvage entre autres connu pour son Homme de Spa, de faire sonner cette drôle de chose sur le versant… musical. Peine perdue, le gaffophone restera un bazar désaccordé, un fantôme poétique, un magnifique trompe-l’oeil. A l’image de Charleroi?
Travaux majeurs
“Quand on part du centre de Charleroi et que l’on prend la route qui mène au Rockerill, les anciennes forges de La Providence transformées en espace culturel, on est dans un décor extraordinaire”, raconte Pierre-Olivier Rollin. Un paysage chargé de rouille, de passé métallique, susceptible de plaire à Ridley Scott ou Steven Spielberg par son côté dantesque, allégorique qui a notamment séduit les Américains de The Killers venus y tourner un clip avec le tout aussi fameux Anton Corbijn. Pierre-Olivier Rollin ne dissocie d’ailleurs pas la culture de ses aménagements: “les travaux d’isolation thermique permettront au Rockerill de fonctionner même en hiver, ce qui est aujourd’hui compliqué, voire impossible, vu la carcasse métallique de l’ancienne usine. Et puis il y a la rénovation approfondie du Théâtre de l’Ancre. Et l’arrivée au PBA de la Bruxelloise Marie Noble (lire l’encadré). Les institutions sont solidifiées et permettent de voir l’avenir, après le covid et en tenant compte des problèmes énergétiques. Ce qui est important, c’est que tout cela est fait dans un programme de rénovation urbanistique: on peut avoir le plus beau musée du monde, s’il est dans un quartier-chancre, cela ne sert à rien”. D’où les travaux majeurs entrepris sur la place du Manège, face au PBA, aujourd’hui complètement en chantier: elle sera pensée comme une oasis dans un quartier où les espaces verts sont peu nombreux. Verdict à l’automne.
A Charleroi, la tendance est à la transition forte. Comme le BPS22, lui aussi, doté de nouvelles protections thermiques – grâce aux fonds européens – qui doit rouvrir ce 17 février. “Et puis, il y a aussi la création d’une université à Charleroi, explique Pierre-Olivier Rollin. Tout cela contribue à changer la ville. Les premiers bacheliers ont été diplômés dans le bâtiment face au BPS22, où les travaux devraient être terminés en septembre 2023. Septante pour cent des Carolos partis de la ville n’y revenaient pas. Ville qui doit toujours lutter contre l’un de ses principaux problèmes: la pauvreté.”
Culture et politique
Politique et culture forment un couple compliqué, la seconde dépendant souvent des finances octroyées par la première. “On a vécu une période extrêmement difficile à Charleroi, celle des 10 premières années du deuxième millénaire, parce que la ville a souffert des affaires, d’une mauvaise image, de l’absence de perspective à long terme, reconnaît Pierre-Olivier Rollin. Il n’y avait pas de vision, c’était au petit bonheur la chance. Mais avec le bourgmestre Paul Magnette et son plan en trois étapes, il y a eu une volonté d’investir dans la culture. A partir de 2014-2015, des financements ont permis que les choses commencent à changer.”
On repense à la comparaison faite il y a quelques années entre un Charleroi renaissant de ses cendres et la capitale de l’Allemagne, alors arrosée de considérables investissements notamment dans la culture. “Oh l’histoire de Charleroi comme étant le prochain Berlin, cela vient d’un article paru il y a quelques années dans De Standaard. Mais pourquoi toujours vouloir être la copie d’autre chose, pourquoi ne pas être soi-même? Charleroi, c’est Charleroi. Ce n’est ni Bilbao ni Berlin. Et ici, au nouveau Musée des Beaux-Arts, il me semble que le public scolaire doit venir se rendre compte de la puissance de Charleroi, de ce qu’elle a été en termes d’industrie. Je crois que c’est le meilleur endroit pour pouvoir commencer une visite de la région. Voir comment la ville a été représentée dans l’art et puis le reste…”
Le jour de l’inauguration du nouveau musée, Paul Magnette, visiblement ravi d’être là, donne des interviews. Y compris en néerlandais à la VRT qui s’est déplacée pour l’occasion. Le public flamand n’hésite guère à franchir la frontière linguistique pour venir à Charleroi ou dans des lieux muséaux réputés, comme le Grand-Hornu. Le public, éternelle clé du succès… “Par rapport aux débuts du BPS22, on a mis en place un gros programme de médiation avec le public carolo et on a réussi à avoir 60% de fréquentation de public du grand Charleroi, explique Pierre-Olivier Rollin. Je crois qu’il faut penser à une promotion globale de cette ville: il faut que les gens décident d’y passer une journée ou plus. Dans des lieux comme le nouveau Musée des Beaux-Arts, le BPS22, le Musée de la photographie. Mais aussi visiter des bars et restaurants sympas, par exemple l’italien La Loggia Enoteca. Se promener en ville. Débusquer des endroits comme la Librairie Fafouille, au passage de la Bourse, dans la Ville-Basse. Ou passer prendre un café à Livre ou Verre, tapissé de bouquins à disposition du visiteur. Visiter entre le printemps et l’automne Fanfare, écosystème de 3.000 m2 où se trouve aussi l’atelier du designer Patrick Everaert qui vend ses créations. Et puis rester le soir, voir un spectacle de Charleroi Danse, un concert rock à l’Eden, une performance au Vecteur. Charleroi a été le premier endroit à montrer la vidéo de Mounir Fatmi de Salman Rushdie dormant (un étonnant montage numérique) alors que l’Institut du Monde arabe, à Paris, l’avait refusée pour des raisons de sécurité.” Sur ce, Pierre-Olivier Rollin enfourche sa trottinette et retourne au BPS22: une artiste y propose aux passants de dialoguer avec… un canari. Oiseau qui, comme on le sait, donnait le signal du grisou dans les mines d’antan. La boucle est bouclée?
Noble tâche
Marie Noble deviendra, à la mi-mars, la première non-Carolo à la tête d’une institution culturelle de Charleroi. Elle endossera la casquette de directrice générale et artistique du Palais des Beaux-Arts, une fonction qui comprend aussi la gestion de l’ancien Musée des Beaux-Arts tout juste voisin. La Bruxelloise de 47 ans a déjà un parcours multiple: notamment via Mons 2015, Bozar et plus récemment, la Foire du Livre dont elle a été commissaire jusqu’à la rentrée 2022.
“Je ne suis pas Carolo, confirme Marie Noble, mais j’ai souvent eu des contacts avec les opérateurs culturels de cette ville qui, définitivement, ont envie de faire bouger les lignes. La Ville elle-même a une véritable envie d’utiliser la culture comme facteur de redéploiement socio-économique. Mon projet est de faire une maison de tous les arts qui aura une grande porosité entre les genres, par exemple les arts plastiques échangeront avec les arts vivants. Ce qui implique un développement à partir de l’horizon 2024-2025, de tout ce qui concerne le neuvième art, la mise en avant de ce qui est BD et images. Les quatre salles du PBA, l’ex-Musée des Beaux-Arts, peuvent faire fonctionner le public magnifique de Charleroi. Il faut le soigner et aussi continuer à montrer des choses classiques, qui fonctionnent très bien. Et puis, il y a ce projet d’université: il faudrait aussi que le PBA soit un lieu où les universitaires, public culturel de demain, pourront venir prendre un café, manger un bout, travailler…”
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