Si après 10 à 15 ans de hausse continue le marché du foncier rural connaît aujourd’hui un ralentissement, il apparaît comme un actif stratégique de diversification de patrimoine sur les moyen et long termes… à condition d’être bien choisi.
Agrifrance est un département de BNP Paribas Wealth Management entièrement dédié au foncier rural. Depuis plus de 20 ans, la structure dirigée par Benoît Léchenault édite une note annuelle de conjoncture sur le marché du foncier rural dans l’Hexagone.
“En France, mais également plus globalement en Europe, l’agriculture, la viticulture et la forêt sont aujourd’hui à la croisée des chemins. Entre la baisse des marchés, un contexte économique incertain et la question de la transmission des exploitations agricoles ou viticoles, les investisseurs en quête de placements alternatifs ont tout intérêt à suivre l’évolution de ces marchés. S’il est bien choisi, le foncier rural représente un actif stratégique dans la construction d’un patrimoine diversifié et reste un excellent support de transmission pour les générations à venir.”
“Le foncier rural reste un excellent support de transmission pour les générations à venir.” – Benoît Léchenault (BNP Paribas Wealth Management)
Malgré l’incertitude et la conjoncture économique un peu compliquée, après 10 à 15 années de hausse continue sur les marchés du foncier rural, le directeur d’Agrifrance note des progressions qui vont de 1 à 4-5% suivant le type de biens et suivant les régions.
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Moins de céréales…
En 2024, en France, les exploitations agricoles et les vignobles ont dû faire face à une série de défis climatiques : gelées printanières, épisodes de grêle en été, pluviométrie excessive favorisant le mildiou et ensoleillement insuffisant. Ces conditions ont affecté les rendements et réduit la qualité des récoltes. La production céréalière a enregistré une baisse de 17% par rapport à 2023 et constituait la plus faible récolte depuis 40 ans. En un an, la chute du prix de l’énergie (- 20%) et des engrais (- 2,7%) n’a pas compensé la baisse du chiffre d’affaires des agriculteurs.
En conséquence de la conjoncture économique, le marché du foncier agricole français a enregistré un recul des ventes et une baisse des prix. Les terres céréalières se vendent en moyenne à 7.760 euros par hectare, tandis que les prairies naturelles sont valorisées à 5.260 euros l’hectare. Sur les 28,3 millions d’hectares de terres et de prés en France, le volume des transactions agricoles représente moins de 2%.
À l’inverse du foncier agricole français, qui est l’un des moins chers d’Europe, le foncier belge caracole en tête, juste derrière les Pays-Bas. Selon Statbel, l’office belge de statistique, le prix moyen de l’hectare de terre agricole en Flandre s’élevait à 65.000 euros en 2023, avec des pics dépassant les 100.000 euros dans les zones périurbaines. En Wallonie, la moyenne se situe autour de 40.000 euros par hectare.
Pour Jan de Keyser, responsable du département Agri & Food chez BNP Paribas Fortis, quatre causes principales alimentent cette tendance belge : “Cette hausse résulte de la rareté structurelle du foncier, d’une faible mobilité du foncier agricole, de l’attractivité pour les investisseurs de la terre comme valeur refuge, de l’absence de restrictions significatives à l’achat par des non-agriculteurs et d’une spéculation liée aux changements d’affectation.”
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D’après Statbel, les terres agricoles occupent 44% de la superficie du territoire belge et représentaient, en 2023, 1.350.623 hectares (613.948 en Flandre et 733.780 en Wallonie). Depuis 1980, la superficie moyenne des exploitations agricoles a triplé, passant de 12,49 ha à 38,7 ha en 2022. L’accroissement d’échelle s’est accentué à partir des années 1990 et est plus marqué en Flandre qu’en Wallonie. Avec une superficie agricole relativement constante, le nombre d’exploitations ne fait donc que diminuer au fil des années.
La superficie moyenne des exploitations agricoles a triplé depuis 1980.
… et moins de vin
Sur le marché viticole, en France comme partout ailleurs dans le monde, les vendanges 2024 ont également enregistré une baisse de production. En un an, les vignobles français ont produit 36,1 millions d’hectolitres. Si la France reste en deuxième position des pays producteurs derrière l’Italie, la baisse par rapport à 2023 se chiffre à 23%.
En Belgique, selon le SPF Économie, la production viticole, qui n’est évidemment pas comparable à celle des champions (Italie, France, Espagne), a chuté de 64% en s’effondrant à 1.225.747 litres de vin en 2024, soit la production la plus basse depuis 2017, année lors de laquelle le compteur était bloqué juste sous le million de litres. En raison de la météo, un viticulteur belge sur cinq a perdu l’intégralité ou presque de sa récolte. Néanmoins, la croissance du secteur se poursuit et le nombre de viticulteurs belges augmente d’année en année. En 2024, le nombre de viticulteurs et la superficie plantée ont à nouveau augmenté de 11% : 321 viticulteurs ont été enregistrés, contre 290 en 2023 et 259 en 2022. Il s’agit aussi bien de viticulteurs professionnels qu’amateurs. En 2024, 958 hectares étaient cultivés en vigne contre 891 hectares en 2023 et 801 hectares en 2022.
Par ailleurs, en 2024 toujours, la consommation mondiale de vin a continué de baisser. Elle a chuté à son plus bas niveau depuis 1961 et perdu 3,3% par rapport à 2023. Cette diminution s’explique par une baisse globale de la demande et un changement profond des habitudes de consommation. “Dans les années 1950-1960, en France, on consommait 25-26 litres par an et par habitant. Aujourd’hui, on est plus autour de 10-15 litres”, souligne Benoît Léchenault.
Malgré la chute de production et la baisse de consommation mondiale, avec un chiffre d’affaires de 15,6 milliards d’euros, le vin reste un fleuron du commerce extérieur français et, si le terroir, les plantations ou l’état général de la propriété viticole sont des éléments de valorisation, le prix d’un vignoble est directement lié au marché du vin, c’est-à-dire à la notoriété du domaine ou de l’appellation, notamment à l’exportation. En euros constants (en tenant compte de l’inflation), le prix d’un hectare de vigne baisse de 1,1% et vaut en moyenne 176.000 euros. Par contre, depuis 10 ans, la progression moyenne annuelle est de 3,2%. Hors Champagne, le prix moyen est de 93.800 euros par hectare et a baissé de près de 4% en un an.
Incertitudes sur le bois
En ce qui concerne le commerce du bois, la guerre commerciale lancée par Donald Trump pourrait considérablement affecter les échanges mondiaux. En effet, les États-Unis figurent parmi les premiers consommateurs de bois ronds, c’est-à-dire tout bois abattu et façonné avant la première transformation industrielle. Conjugué à une baisse continue des mises en chantier de logements qui ont chuté de 21 % en deux ans, ce contexte politique incertain a freiné la demande en bois, tant en France qu’à l’international.
Cependant, les conditions météorologiques exceptionnellement pluvieuses ont retardé les coupes, ce qui a limité l’offre disponible. D’après l’Office national des forêts, devenu “Filière Bois Wallonie” en 2023, les volumes commercialisés en 2024 ont reculé de 5%, atteignant 1.160.311 m³. En 2024, plusieurs grands massifs forestiers français ont été vendus et certaines transactions ont été conclues à des prix dépassant les 25.000 euros par hectare. Quelque 148.700 hectares de forêts ont été vendus en 2024. Les massifs de plus de 100 ha représentaient alors plus de 25% des surfaces échangées.
D’après Statbel, les forêts occupent 20% de la superficie du territoire belge, soit 603.489 ha (107.192 en Flandre et 494.455 en Wallonie). Selon la Filière Bois Wallonie, la forêt occupe 33% du territoire wallon et la filière représente un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros. D’après la Cellule d’appui à la petite forêt privée, un service de l’Office économique wallon du Bois, la forêt privée en Wallonie concerne un peu plus de la moitié de la forêt wallonne et 91% des propriétés ont une superficie inférieure à 5 hectares.
Vincent Colson, responsable de cette cellule, note qu’en l’absence d’un observatoire du foncier il est difficile de chiffrer les transactions. “Nous observons que la pression foncière reste bien présente, dit-il. Il y a aujourd’hui plus d’acheteurs que de vendeurs. Avec le confinement, nous avons vu croître la demande de biens en pleine nature et de nouveaux acteurs sont apparus pour tenter d’y répondre.”
Le nouveau profil des investisseurs
Il y a plus de 15 ans, les clients d’Agrifrance avaient généralement la cinquantaine, voire la soixantaine, et se plaçaient dans une logique de transmission et de diversification.
“Ils avaient vendu leur entreprise, ils étaient plutôt à la fin de leur carrière professionnelle, confie Benoît Léchenault. Aujourd’hui, nous avons parfois de jeunes clients qui ont vite fait fortune et qui, après avoir revendu la boîte qu’ils avaient créée, voudraient se faire plaisir et donner un peu de sens à leur patrimoine. Ils vont donc investir dans du vignoble, pour le louer à des jeunes viticulteurs qui n’ont pas les moyens d’acheter le foncier. Certains vont acheter de la forêt pour préserver un lieu.”
Si la brique demeure l’investissement principal au sein des clients de BNP Paribas qui ont une appétence pour le marché du foncier rural, l’investissement qu’ils vont y consacrer représente entre 5 et 30% de leur patrimoine.
40.000 euros – En Wallonie, le prix moyen par hectare de la terre agricole.
Quid du renouvellement des générations ?
Étant donné le vieillissement des agriculteurs, le foncier agricole représente aussi un enjeu en termes de transmission des exploitations et de maintien de l’agriculture.
En l’absence de repreneurs familiaux, les terres sont souvent cédées par héritage ou vendues à des acteurs externes ou à de grandes exploitations en expansion, ce qui accentue encore la concentration foncière entre les mains d’une minorité disposant d’un capital élevé. La flambée des prix du foncier agricole belge complique l’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs et freine les transmissions familiales. “La conséquence directe de la hausse des prix des terres rend l’installation des jeunes très difficile sans capital familial ou appui externe, indique Jan de Keyser, responsable du département Agri & Food chez BNP Paribas Fortis. Sans intervention politique, le risque est grand de voir s’agrandir le fossé entre les exploitants capitalisés et ceux exclus du marché, menaçant la viabilité du modèle agricole familial belge.”
En octobre prochain, le SPW Agriculture publiera pour la première fois dans son rapport annuel les chiffres des concentrations du foncier agricole wallon. Marc Thirion, directeur de l’organisme public wallon, souligne que, malgré l’absence d’un mécanisme de régulation des prix du foncier et de freins empêchant les grandes concentrations foncières, le taux de propriétaires exploitants est progressivement passé de 30 à 40%. “Nous constatons aussi qu’aujourd’hui ce sont surtout les agriculteurs qui achètent et les non-agriculteurs qui vendent.”
Caroline Dunski