Euronext fête ses 25 années d’existence. La plateforme dont Bruxelles fait partie a multiplié par 10 sa valeur en 10 ans. Mais pour attirer les petits épargnants vers la Bourse, celle-ci a besoin d’un nouvel incitant fiscal, comme la loi Cooreman-De Clercq, qui avait été adoptée au début des années 1980.
Cette semaine du 22 septembre est exceptionnelle pour Euronext, la plateforme boursière européenne dont Bruxelles fait partie. Le groupe, qui vaut 14 milliards, fait son entrée dans le CAC40, l’indice des poids lourds de la Bourse de Paris. L’action Euronext, introduite en Bourse à 20 euros, en vaut aujourd’hui plus de 130. Une bonne affaire pour les actionnaires, parmi lesquels la SFPI, le bras financier de l’État, qui détient 5,2% du capital.
La plateforme fête ses 25 années d’existence. C’est en effet le 22 septembre 2000 que les Bourses de Paris, Bruxelles et Amsterdam ont regroupé leurs forces pour créer la première Bourse paneuropéenne. Les trois fondateurs ont été ensuite rejoints par Lisbonne, Dublin, Oslo et Milan. Et des négociations sont en cours avec la Bourse d’Athènes qui pourrait aussi faire partie de cette plateforme qui accueille plus de 1.800 sociétés cotées, pesant ensemble environ 6.300 milliards d’euros.
Benoît van den Hove, l’actuel patron d’Euronext Bruxelles, a réuni ce lundi ses prédécesseurs – Olivier Lefebvre, Bruno Colmant, Vincent Van Dessel – pour fêter ce quart de siècle. Ils ont ensemble sonné la cloche pour fêter cette séance historique. C’est l’occasion de nous entretenir avec lui sur le formidable développement d’Euronext, sur la place de Bruxelles dans le groupe et sur l’importance d’avoir un tel outil de financement pour nos entreprises.

TRENDS-TENDANCES. Cela a-t-il été une chance, pour Bruxelles, d’embarquer dans le train d’Euronext ?
BENOÎT VAN DEN HOVE. Oui. Bruxelles a été un des trois fondateurs de la plateforme. Il y a 25 ans, Olivier Lefebvre, qui dirigeait alors la Bourse, s’est dit que si nous restions seuls, nous allions nous faire écraser parce que nous étions trop petits. L’histoire a alors commencé avec trois pays, et puis un quatrième, le Portugal nous ayant rejoints. Il y a eu ensuite une période plus difficile, au cours de laquelle nous avons fait partie du NYSE, la Bourse de New York (entre 2007 et 2014, ndlr). C’était prestigieux, mais cela n’a pas aidé le développement des marchés de capitaux européens.
Et c’est en 2014, quand nous avons récupéré notre autonomie, que l’histoire de la croissance s’est écrite. Sur cette dizaine d’années, la valeur d’Euronext a été multipliée par 10, passant de 1,4 à 14 milliards d’euros. La part de Bruxelles dans le total des revenus du groupe (1,63 milliard en 2024) représente 2% environ, contre 10% à l’origine. Mais c’est la conséquence naturelle dans un groupe qui diversifie ses activités et ses marchés.
Aujourd’hui, la négociation d’actions ne représentent plus que 20% de vos revenus totaux. Pourquoi ?
L’activité traditionnelle d’une Bourse est d’être une plateforme de trading et de vendre des données. Nous développons aussi le trading sur d’autres actifs que les actions : les devises, l’énergie, les obligations. Les OLO belges, par exemple, sont traitées sur la plateforme MTS, qui appartient à Euronext. Mais nous investissons aussi beaucoup dans nos deux autres piliers qui sont le clearing (la chambre de compensation, qui intervient comme intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs, ndlr) et les activités de dépositaire (les entités où sont conservés les titres, ndlr).
En reprenant la Bourse de Milan, nous avons intégré la chambre de compensation italienne qui est désormais la chambre de compensation pour l’ensemble du groupe. Et notre activité de dépositaire est notre troisième pilier. Avoir ces piliers en interne nous permet de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur, de la négociation à la conservation des titres. Cela nous rend plus agiles pour développer de nouveaux produits et services, sans dépendre de partenaires externes. Comme beaucoup d’entreprises, nous cherchons à nous diversifier et à être moins dépendants des volumes de transaction.
Même si côté volume, cette année est exceptionnelle !
Oui, les volumes ont explosé cette année avec la volatilité induite par un certain nombre de déclarations outre-Atlantique. Début avril, les volumes ont représenté quatre fois le volume que nous faisons habituellement : nous étions, sur l’ensemble de la plateforme Euronext, à 40 milliards d’euros par jour, alors que nous en faisons en général une dizaine. Cela a été un véritable stress-test, mais tout a fonctionné à merveille.
“Les volumes ont explosé cette année, atteignant 40 milliards d’euros par jour en avril, contre 10 milliards habituellement.” – Benoît van den Hove, CEO d’Euronext Bruxelles
Justement, on n’assiste pas à une explosion des IPO ces dernières années. Comment rendre la Bourse plus attrayante ?
Il y a pas mal d’angles de réponse à cette question. Le premier, c’est qu’il s’agit d’une tendance mondiale, qu’il y a moins d’IPO qu’avant parce qu’il y a une abondance de sources de financement qui n’existaient pas avant. Que ce soit le private equity, les family offices, les fonds de venture capital, le corporate venturing… On assiste à quelques delistings (des sociétés qui désirent quitter la Bourse, ndlr), mais ce sont plutôt des petites entreprises.
À l’inverse, nous avons assisté depuis le début de l’année à environ 4 milliards d’euros de levées de fonds de sociétés cotées en Belgique : Elia a levé 2,2 milliards, Ageas 550 millions pour financer une acquisition au Royaume-Uni, Gimv a levé 250 millions… Et nous pourrions atteindre 5 milliards avant la fin de l’année. Le marché a donc été très dynamique cette année, mais on observe en effet qu’il se focalise sur des émetteurs de plus grande taille, dont les actions sont plus liquides.
Alors, que faire pour améliorer l’écosystème ?
Nous travaillons sur différents chantiers, avec le régulateur et avec le politique, pour essayer de simplifier la vie, d’un point de vue administratif, des sociétés cotées. Et puis l’accord de gouvernement mentionne aussi la création d’un nouveau régime Cooreman-De Clercq, un régime fiscal qui permettait d’investir un certain montant déductible fiscalement. Ce sont des choses dont nous discutons aujourd’hui.
Cependant, d’un autre côté, le politique a donné un message un peu négatif en décidant de taxer les plus-values. Cela aura-t-il un impact sur votre activité ?
Il est certain, on l’a vu dernièrement avec le bon d’État, que lorsque l’on crée un avantage fiscal, beaucoup de gens se ruent dessus. À l’inverse, nous pouvons nous attendre à ce que certains réalisent leurs actifs avec l’émergence de la taxation sur les plus-values. L’impact se ressentira probablement plus sur les petites valeurs qui ont davantage besoin de la liquidité apportée par les petits investisseurs. Si ceux-ci se détournent de la Bourse, ces valeurs risquent d’entrer dans une spirale négative, la baisse des volumes de transaction entraînant une baisse de valorisation. C’est pour cela que nous discutons d’un Cooreman-De Clercq 2.0, pour modérer cet impact négatif.
Vous l’avez dit, les instruments se multiplient pour financer les entreprises. Quels arguments pourriez-vous présenter à une entreprise pour l’attirer sur Euronext ?
Il y a des avantages multiples. Tout d’abord, être coté crée beaucoup plus de visibilité. Ensuite, il y a les aspects financiers : en étant côté, vous avez tout en place pour pouvoir lever des fonds beaucoup plus facilement auprès d’un public beaucoup plus large que si vous optez pour un placement privé. Une société comme Azelis, cotée depuis quatre ans maintenant, était détenue par un fonds de private equity. Azelis devenait assez lourd dans le portefeuille de ce fonds. En réalisant une IPO, ils ont ouvert le capital à un très large nombre de tiers, ce qui leur a permis de rééquilibrer leur portefeuille.
Il y a aussi l’avantage, en étant coté, de pouvoir payer ses acquisitions en actions liquides, comme l’envisage Aedifica pour l’acquisition de Cofinimmo. Et c’est aussi un outil qui permet de retenir le personnel, via des plans d’actionnariat salarié sur plusieurs années. Il y a donc pas mal d’avantages que nous expliquons aux entrepreneurs. Nous avons eu l’introduction en Bourse récente d’EnergyVision, nous espérons que dans les semaines et mois qui viennent, nous aurons encore de bonnes nouvelles à partager.
Un grand chantier financier européen est la création d’un véritable marché des capitaux. Ne met-il pas beaucoup de temps à se concrétiser ?
C’est le moins que l’on puisse dire. Il y a encore du travail. Si l’on regarde les plateformes boursières, il existe aujourd’hui quatre grands groupes en Europe : le Nasdaq nordique, la Deutsche Börse, SIX (qui regroupe les Bourses suisse et espagnole) et Euronext. Mais c’est surtout du côté des dépositaires que la fragmentation est grande. C’est pourquoi nous voulons faire de ce côté ce que nous avons fait pour les Bourses : avec Euronext, nous avons créé une plateforme électronique unique, mais accessible via des portes d’accès dans chacune des Bourses nationales. Nous voulons créer ce même concept pour les dépositaires centraux, et avoir un système qui simplifie la vie des membres que sont les banques, les sociétés de Bourse, etc. Ils auraient une plateforme qui leur donnerait accès à toutes les valeurs, quelle que soit la nationalité de ces valeurs.
Ce qu’Euronext essaye de faire, c’est vraiment créer cette union des marchés de capitaux et fédérer tout le monde autour d’un projet unique. C’est pour cela aussi que nous négocions pour reprendre la Bourse d’Athènes, pour continuer à étendre le puzzle. Nous devons progresser pour permettre à nos champions européens de se financer ici, dans un contexte international qui présente les difficultés que l’on connaît.
“Veut-on des champions nationaux qui se concurrencent, ou des champions européens qui concurrencent les Américains et les Asiatiques ?” – Benoît van den Hove, CEO d’Euronext Bruxelles
Imaginez-vous qu’un jour ou l’autre nous assisterons à des fusions entre les grandes plateformes européennes ?
Je n’ai pas de boule de cristal. Auparavant, ce genre de consolidation n’était pas concevable, pour des raisons de concurrence. Aujourd’hui, si un projet similaire arrivait sur la table, j’ignore quelle serait la réaction de la Commission européenne. Il faudrait qu’elle évolue dans son approche. Veut-on des champions nationaux qui se concurrencent, ou des champions européens qui concurrencent les Américains et les Asiatiques ? Je pense que dans le contexte actuel, il faudrait permettre la création de champions européens.
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