Benoît Nihant, un chocolatier atypique

Pour Benoît Nihant, le modèle artisanal ne représentera jamais une part significative de la production mondiale, mais il répond à une demande croissante pour des produits authentiques. © PG
Camille Delannois

Le chocolatier belge Benoît Nihant ouvre cette année de nouvelles boutiques au Japon, un marché devenu stratégique pour l’entreprise. Ancien ingénieur reconverti, il a une approche pour le moins particulière du secteur puisqu’il refuse les assemblages de fèves de cacao, même de haute qualité, et achète sa matière première en dehors des marchés financiers.

Si dehors la chaleur est suffocante, dans les ateliers de Benoît Nihant, c’est une tout autre atmosphère, respect des matières premières et des produits finis oblige. Ici, à Awans, sont produits des tablettes de chocolat grand cru, des bonbons chocolatés ou pralines, mais aussi des caramels et pralinés maison ou encore des fruits enrobés. “C’est parfois compliqué de faire quelque chose de simple”, explique Benoît Nihant, le responsable de la chocolaterie, en référence à ses recettes “pures à base d’ingrédients frais”. “Les clients viennent chez nous car ils sont à la recherche d’authenticité”, affirme-t-il.

Les premiers chocolats de Benoît Nihant et de sa femme, Anne Nihant, bras droit et cofondatrice, ont été fabriqués dans un garage aménagé derrière la maison familiale, “le tout validé par l’Afsca”, rappelle le chocolatier. Le couple décide alors de faire goûter ses créations à des chefs renommés comme Yves Mattagne ou Lionel Rigolet. Ces rencontres, qui étaient initialement prévues pour obtenir des conseils, ont débouché sur les premières commandes professionnelles. “Cela nous a vraiment encouragé à nous fier à notre propre goût et à la façon dont nous voulions appréhender notre activité.”

Un écosystème cohérent

Parmi les créations de Benoît Nihant, des chocolats dits “de domaine” uniquement déclinés en noir ou au lait – pas de blanc qui ne contient pas de cacao. “C’est la même recette pour chaque produit, à peu de choses près, les nuances aromatiques qui les distinguent sont données uniquement par le terroir, par le type de fèves et par la façon de fermenter et de sécher propre à chaque planteur”, précise-t-il. Les recettes des tablettes sont également déclinées en “bonbons de chocolat”, auxquelles sont ajoutés de véritables ingrédients comme des feuilles de menthe fraîche, des fruits secs, des fleurs ou des épices. “Ce ne sont pas des arômes”, insiste-t-il.

De même pour le caramel ou le praliné fait maison. “C’est devenu relativement rare dans le secteur, beaucoup font appel à des entreprises pour ces procédés de transformation, car le prix de revient est plus intéressant”, poursuit le chocolatier. Bien que le procédé prenne plus de temps, il permet de choisir et contrôler les proportions et les ingrédients. Le temps, Benoît Nihant le prend aussi dans son atelier où sont entreposées des machines considérées comme “dépassées” par l’industrie. Mais il l’assure, cette lenteur est un atout : elle permet de goûter, d’ajuster et d’observer les fèves pendant la torréfaction. Contrairement aux processus industriels automatisés, où l’opérateur ne voit ni ne goûte le produit.

Pour le chocolatier, il faut un écosystème cohérent pour produire un chocolat d’exception : des producteurs justement rémunérés et des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. “Si les producteurs sont sous-payés, ils peuvent être tentés de bâcler la fermentation ou le séchage, voire d’utiliser des méthodes industrielles (comme le séchage à air chaud, ndlr) qui détruisent les arômes, ajoute Benoît Nihant. Tout est lié : qualité, prix, humain et nature.”

L’entreprise, qui se fournit principalement auprès de petits producteurs indépendants en Amérique du Sud, en Amérique centrale, à Madagascar et bientôt au Vietnam, a fait le choix de ne jamais négocier les prix avec les producteurs. “Cela garantit une relation de confiance et évite toute pression qui pourrait nuire à la qualité”, assure le chocolatier. Si un prix devient déraisonnable, une discussion s’engage, mais “toujours dans un esprit de partenariat”. À côté de ces producteurs, Benoît Nihant possède également ses propres terres au Pérou, achetées huit ans après la création de l’entreprise. Pour le chocolatier, ce projet est davantage lié à sa passion pour le terroir et ne vise pas à remplacer les autres sources d’approvisionnement. “Les récoltes péruviennes visent à enrichir la diversité des terroirs proposés aux clients qui recherchent différentes nuances aromatiques”, dit-il.

© PG

Pas d’assemblage et pas de marché boursier

Les chocolats de Benoît Nihant ont cette particularité de ne pas mélanger les différentes origines de cacao, contrairement aux grands industriels qui transforment entre 60 et 80% des fèves mondiales. “L’industrie recherche un goût standardisé, constant d’année en année, ce qui l’amène à mélanger les fèves pour lisser les variations naturelles dues au climat ou au terroir”, explique le responsable, qui précise que chaque terroir donne au cacao des caractéristiques uniques. Par exemple, les fèves de Madagascar, issues de sols volcaniques, offrent des notes de fruits rouges intenses, tandis que celles de Cuba présentent des arômes terreux, de tabac et de fruits à coque. “Les mélanger ne permet pas de cumuler ces saveurs, mais les atténue, produisant un chocolat moins expressif.” Benoît Nihant épingle deux tendances opposées dans le secteur du chocolat : d’un côté, l’industrie qui continue de proposer des produits à bas prix, parfois même sans cacao, en réduisant la qualité, et de l’autre, les artisans qui constatent une prise de conscience croissante des consommateurs, qui recherchent des produits sains, traçables et respectueux de l’environnement. “L’industrie tire le secteur vers le bas, l’artisanat vers l’authenticité.”

“L’industrie tire le secteur vers le bas, l’artisanat vers l’authenticité.”Benoît Nihant, chocolatier et fondateur de la maison Nihant

Autre particularité et choix fort de la maison : le cacao est acheté en dehors des marchés boursiers. Un modèle qui permet à l’entreprise de rester à l’écart des fluctuations boursières et d’être dès lors très peu impactée par la flambée des prix du cacao. “Nos prix d’achat varient selon les réalités locales, à savoir le climat, les maladies ou la différence de rendement, mais jamais selon la spéculation”, assure Benoît Nihant. L’année dernière, le prix du cacao a atteint des records absolus, en raison des aléas climatiques et des maladies de cacaoyers affectant les récoltes. Face à la perspective d’une pénurie, les marchés ont alors réagi de manière excessive et les spéculateurs – non liés à la transformation du cacao – ont pris des positions, aggravant la volatilité. “Même lorsque les prévisions de récolte se sont améliorées, les prix ont continué à grimper, illustrant une déconnexion totale entre la Bourse et le terrain”, pointe le chocolatier pour qui les marchés boursiers ont amplifié la crise.

À la question de savoir si la spéculation pourrait faire évoluer les pratiques des industriels, Benoît Nihant reste sceptique quant à un changement profond du modèle industriel. “La flambée des prix du cacao a provoqué une fièvre passagère, certains industriels ont effectivement tenté de s’approvisionner autrement, mais la situation semble déjà revenue à la normale.” Pour le responsable, le modèle artisanal de la maison Nihant ne représentera jamais une part significative de la production mondiale, mais il répond à une demande croissante pour des produits authentiques. “Les consommateurs posent aujourd’hui des questions plus pointues qu’il y a 10 ans, preuve d’une évolution des mentalités. Ce modèle, bien que minoritaire, est économiquement viable à condition de rester fidèle à ses principes.”

Le Japon, un marché stratégique

En termes de croissance, l’entreprise reste fidèle à sa philosophie initiale puisque celle-ci est volontairement mesurée, sans investisseurs externes, pour garder le contrôle sur les choix stratégiques. L’expansion à l’international se fait dans des pays où le public montre un réel intérêt pour l’origine et la qualité du chocolat, comme le Japon où l’entreprise est active depuis quelques années. Bien que des contacts existent avec d’autres pays, la société refuse de compromettre ses principes pour croître plus vite : l’objectif reste une croissance qui respecte les valeurs de l’entreprise. “La mise en place d’un projet comme celui du Japon, cela prend des années avant que cela ne se concrétise. Et avant de commencer quoi que ce soit, on veut s’assurer que ce sera fait dans le respect de notre façon de fonctionner et que cela ne nous mène pas vers une augmentation de volume pour une diminution de qualité.”

Les boutiques en propre constituent le principal canal de diffusion. © PG


Si le Japon représente un marché en forte croissance, l’entreprise ne communique pas de chiffres précis. “Chaque boutique a sa propre dynamique, et les projections sont difficiles”, souligne le responsable. La maison Nihant y compte 37 pop-up stores qui ouvrent chaque année entre janvier et avril, période marquée par la Saint-Valentin (14 février) et le White Day (14 mars). “Ces événements génèrent un engouement exceptionnel, avec des files d’attente de plusieurs heures”, précise Benoît Nihant. En parallèle, deux boutiques permanentes ont été ouvertes à Tokyo (Ginza et Toranomon Hills), et deux autres sont prévues d’ici la fin de l’année.

Chez nous, le chocolatier a progressivement fait évoluer son business model. Au départ, ils vendaient via des épiceries fines, des magasins multimarques et collaboraient avec des restaurants gastronomiques. Aujourd’hui, seuls subsistent ces derniers partenariats, bien qu’ils restent marginaux. “Cela représente une toute partie de nos ventes”, assure Benoît Nihant. Ce modèle B to B a donc très vite évolué car il ne permettait pas de créer un lien direct avec les clients. La maison a alors ouvert une première boutique à Awans, près de Liège, d’abord deux jours par semaine, puis rapidement toute la semaine en raison du succès rencontré.

“Nous vendons un produit avec une haute valeur ajoutée, il est donc essentiel de pouvoir expliquer notre produit aux clients.”

Aujourd’hui, les boutiques en propre constituent le principal canal de distribution : les produits sont donc vendus exclusivement via cinq boutiques en Belgique, dont trois dans la région de Liège et deux à Bruxelles (Ixelles et Stockel). Les emplacements sont choisis pour leur proximité avec une clientèle locale, capable de revenir et d’apprécier la qualité du produit. Par exemple, les zones très touristiques sont évitées, car elles ne favorisent ni l’échange ni la fidélisation. “Nous vendons un produit avec une haute valeur ajoutée, il est donc essentiel de pouvoir expliquer notre produit aux clients, note Benoît Nihant. On sait que dans des zones très touristiques, les clients sont de passage et n’ont pas forcément l’envie ni le besoin d’avoir une explication. Ils vont plutôt privilégier l’emballage, le rapport qualité-prix ou le prix tout court d’ailleurs.”

Pour le moment, aucune autre boutique n’est prévue à court terme en Belgique. “L’agrandissement de l’atelier en Belgique et l’optimisation des flux de production ont mobilisé beaucoup d’énergie récemment”, précise encore le chocolatier.

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