Fin mai, Frédéric van der Kelen, 91 ans, a quitté son poste de président du conseil d’administration de la holding cotée en Bourse qui chapeaute la brasserie Haacht. Il avait déjà quitté son poste en 2020, alors qu’il était le CEO le plus ancien d’une société cotée. Son fils Baudouin van der Kelen est le nouveau dirigeant et cherche à résoudre un conflit qui couvait depuis longtemps au sein de la famille.
Le document déposé par la NV Brouwerij Haacht auprès du tribunal de commerce de Louvain en dit long. Le 30 octobre 2020 au matin, le conseil d’administration de la principale société d’exploitation du brasseur, qui produit notamment la bière blonde Primus, la bière d’abbaye Tongerlo et la marque de boisson fraîche Val, s’est réuni.
Le brasseur se dirigeait vers des pertes dramatiques en pleine pandémie. L’ordre du jour du conseil d’administration prévoyait une discussion sur les chiffres semestriels. La société d’exploitation clôturera l’exercice 2020 avec une perte nette de près de 15 millions d’euros. Les années suivantes, la situation ne s’améliore guère plus. Haacht, qui dépend aux deux tiers des ventes dans le commerce, est encore plus touchée que les autres brasseurs. La moyenne générale des ventes à consommer sur place est de 42% en Belgique.
Le principal point à l’ordre du jour de la réunion de fin octobre 2020 était la démission et la nomination de l’administrateur délégué. Le procès-verbal du conseil d’administration indique : “Il est décidé de nommer Baudouin van der Kelen en tant qu’administrateur délégué, avec effet immédiat. Et de mettre fin au mandat d’administrateur délégué de Frédéric van der Kelen. Le conseil d’administration propose d’octroyer à Frédéric van der Kelen un certain nombre de pouvoirs opérationnels. Ceux-ci seront déterminés de commun accord entre Baudouin van der Kelen et Frédéric van der Kelen et soumis à la ratification du conseil d’administration lors de la prochaine réunion du conseil d’administration du vendredi 13 novembre 2020.” Le même vendredi soir du 30 octobre 2020, la passation de pouvoir est communiquée au monde entier par le biais d’un communiqué de presse.
Ce communiqué de presse donnait l’impression que le transfert avait été longuement et soigneusement préparé. Le rapport officiel donne une lecture différente. La répartition des rôles entre le père Frédéric (91 ans) et le fils Baudouin (55 ans) n’avait pas encore été clarifiée. Ce n’est que fin mai, lors de la dernière assemblée générale des actionnaires du holding Co.Br.Ha qui chapeaute la brasserie Haacht, que Frédéric van der Kelen a démissionné.
“Il y avait encore des discussions à l’automne 2020, répond Baudouin van der Kelen. C’est du passé. Tournons-nous vers l’avenir. Aujourd’hui, mon père n’est plus actif dans la brasserie. Mais il est évident qu’elle l’intéresse toujours. Quand on a dirigé la brasserie pendant plus de 50 ans, il est difficile de prendre ses distances.”
“Mon père a dirigé la brasserie pendant plus de 50 ans. Il est donc difficile de passer à autre chose.” – Baudouin van der Kelen
Frédéric van der Kelen est devenu administrateur délégué en 1968. Il travaillait en étroite collaboration avec son frère Marc, également membre du comité exécutif et décédé en 2015. A l’époque, la famille van der Kelen détenait un quart des actions du brasseur. Au cours des décennies suivantes, la famille a systématiquement acheté des actions supplémentaires. Ces actions sont principalement regroupées dans la holding familial Finabra SA, qui détient près de 82 % de la brasserie cotée en Bourse. Chez Finabra, le mandat d’administrateur de Frédéric van der Kelen a expiré fin juillet. Mais son mandat chez Finabra a été renouvelé. Frédéric van der Kelen y exerce la fonction de président. “Chez Finabra, aucun président n’a été officiellement nommé, précise Baudouin van der Kelen. C’est mon père qui a assumé ce rôle pendant toutes ces années. C’est devenu un droit acquis”.
Patriarche combatif, fils diplomate
Frédéric van der Kelen possède encore 3% du brasseur, par le biais de sa holding personnelle Frema SA. Il s’est toujours opposé à la vente de la brasserie. Cela se fera sur son cadavre, disait-il. Frédéric van der Kelen a également souligné l’intérêt d’autres brasseurs. “Ils étaient tous là : AB InBev, Heineken, Kronenbourg et Oetker en Allemagne”, a révélé le CEO de l’époque dans une interview accordée à notre magazine à l’automne 2016. “J’ai toujours refusé. Nous avons continué à nous battre. Il y a peut-être encore des gens qui ont certains idéaux. Nous avons choisi de nous battre plutôt que de vendre. Si je devais vendre ma brasserie – ce qui n’arrivera évidemment jamais – je partirais immédiatement pour Honolulu. Je disparaîtrais du marché.”
Depuis des années, le fils Baudouin van der Kelen se présente comme l’héritier présomptif. Il a occupé diverses fonctions au sein de la brasserie. Développement de projets pour la rénovation de l’usine d’embouteillage, marketing et publicité. La vente au détail, qui était jusqu’à présent un point faible de la brasserie Haacht, est devenue son cheval de bataille. Lors de sa nomination au poste de directeur général, il a reçu de nombreuses éloges de la part de ses collègues brasseurs. Aguerri au monde de la bière, il connaît la brasserie sur le bout des doigts. Un travailleur acharné dans les coulisses qui ne cherche pas facilement les médias. Très diplomate, non conflictuel. Un homme jovial et sympathique. Et plus accessible que le père qui était, lors de ses dernières années, plutôt rigide.
Aujourd’hui, Baudouin est le seul descendant de la famille à travailler dans la brasserie. Son frère Patrick, directeur informatique pendant de nombreuses années, a démissionné en 2022. Son fils Diégo est devenu administrateur de Finabra en mai 2022, succédant à son père Patrick. Le descendant de la cinquième génération vit en France, au pied des Pyrénées.
“Diégo est actif professionnellement. Il possède l’esprit d’entreprise”, souligne Baudouin van der Kelen. “Aucun des autres descendants de la cinquième génération n’est aujourd’hui impliqué sur le plan opérationnel. Mais un certain nombre manifeste de l’intérêt et de l’ambition. Espérons qu’ils se prépareront.”
Géry, l’autre frère de Baudouin, n’a jamais été actif chez le brasseur. Cet ingénieur forestier vit au Québec. Depuis l’enfance, il a toujours été attiré par les oiseaux, les arbres et la nature. Lorsqu’il vivait encore en Belgique, il allait régulièrement discuter avec cet autre amoureux notoire des arbres, Philippe de Spoelberch, l’actionnaire familial belge d’AB InBev qui vit dans un domaine à Wespelaar, la ville voisine. Géry et Philippe ne parlaient jamais du monde brassicole. S’ils se voyaient, c’était pour parler d’arbres.
Querelles familiales
Pourtant, au sein de la famille van der Kelen, tout n’est pas rose. En effet, le système de contrôle du brasseur, Finabra, n’est pas détenu uniquement par Frédéric van der Kelen et ses enfants. Près de 43 % sont contrôlés par la veuve et les descendants du frère de Frédéric, Marc van der Kelen, décédé en 2015. Depuis l’assemblée générale de mai 2020 de la holding cotée en Bourse qui chapeaute la brasserie, la famille a exprimé à plusieurs reprises son mécontentement. Dans une réponse à Trends-Tendances, la fille Manuela van der Kelen a notamment réitéré ses critiques à l’égard de la nomination de Baudouin au poste de CEO. “L’hérédité est un critère révolu. Cela fait des années que nous demandons des critères de recrutement objectifs, avec des diplômes universitaires, des compétences et des années d’expérience prouvées dans d’autres entreprises.”
“L’hérédité est un critère dépassé pour la nomination d’un CEO. Cela fait des années que nous demandons des critères d’embauche objectifs”. – Manuela van der Kelen
Depuis plus de deux ans, la famille autour de Marc van der Kelen demande également à Co.Br.Ha une charte de gouvernance d’entreprise. Cette charte définit notamment les droits et les obligations des actionnaires familiaux, y compris une limite d’âge pour les administrateurs et des critères objectifs pour un poste opérationnel dans la brasserie.
“Je ne veux pas que ce débat ait lieu dans la presse. Ce n’est pas la bonne façon de trouver une solution, souligne Baudouin van der Kelen avec prudence. Nous nous parlons. Depuis que je suis directeur général, ma porte est toujours restée ouverte en cas de questions. Regardons vers l’avenir. Je souhaite une plus grande ouverture et une meilleure coopération avec l’autre branche de la famille.
Nous avons récemment réalisé un exercice stratégique. Ma nièce Isabelle et mon cousin par alliance François Monfils y ont participé activement. Pas à pas, nous avançons.”
Manuela van der Kelen reste sceptique. “Baudouin van der Kelen est CEO depuis 2020. Pourquoi n’y a-t-il toujours pas de charte sur la gouvernance d’entreprise ? C’est dans l’intérêt de l’entreprise et non par peur d’en parler lors d’une assemblée générale.”
François Monfils a été actif au sein du brasseur pendant de nombreuses années. Il a travaillé chez Haacht de 1998 jusqu’à l’automne 2022. Aujourd’hui, il est directeur immobilier chez Carrefour. Son départ a été motivé par des désaccords entre les deux familles d’actionnaires. Il reste cependant toujours administrateur du brasseur.
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