Au Bon Repos: évoluer pour ne pas perdre de plumes

Un showroom repensé pour rajeunir la clientèle. © FERNAND LETIST

Au Bon Repos est parfaitement éveillé. Sous l’impulsion de la cinquième génération de la famille Dekock, la référence bruxelloise en literie, ameublement et décoration haut de gamme négocie un virage délicat. Relooking, show-room plus déco, com’ moderne: l’enseigne cherche à rajeunir sa clientèle… sans faire fuir l’ancienne. Sur fond de pandémie. Un sacré défi, compliqué par les freins à la mobilité en centre-ville.

Au bout du long comptoir d’accueil, Steve Dekock se prend en selfie en compagnie d’une amie. Tous deux portent un masque en papier sur le visage et un autre, en tissu vert sombre siglé “Au Bon Repos” sur les yeux, façon masque de sommeil. “On s’amuse pour Instagram avec des masques à nos couleurs que j’aimerais offrir en cadeau à nos clients. Ils les obtiendraient contre une photo d’eux, comme allongés sur un de nos lits, soulignée du slogan ‘pour vivre heureux vivons couchés’. Un chouette clin d’oeil!”, savoure d’avance le cadet de la famille Dekock, à la fois directeur des achats literie et de la communication, mais aussi pilote de la métamorphose du grand magasin d’ameublement créé 122 ans plus tôt par ses aïeux, Guillaume et Louise Dekock.

Nous cherchons à amener l’âge moyen de la clientèle vers la tranche des quadras, sans faire fuir les plus âgés et sans descendre en gamme côté produits.”

Steve Dekock, codirecteur du Bon Repos

Il y a deux ans encore, l’intermède virtuel autour de masques promotionnels aurait été impensable. Mais c’était avant que la cinquième génération de la dynastie Dekock ne prenne les commandes de l’imposant temple de la literie, de l’ameublement et de la décoration, qui occupe tout l’angle de la place de la Chapelle et de la rue Blaes, en plein coeur de Bruxelles. “Eh oui, une franche évolution, disons même une petite révolution, est en marche depuis 2019, poursuit Steve Dekock. Avant cela, nous avons eu quelques années de passage à vide. A cette époque, nos parents étaient encore impliqués dans l’affaire alors que mon frère, mon cousin et moi y étions déjà présents. Cette cohabitation était paralysante, rien ne se décidait, ne se concrétisait. Il y a eu un sérieux flottement. L’an passé, quand mon père a décidé de se retirer, mon frère Bertrand (42 ans), mon cousin Grégory (45) et moi-même (40) avons collégialement repris la direction. Nous avons immédiatement décidé de procéder à des investissements et défini une stratégie et des orientations claires. Nous avons relooké le magasin et créé une nouvelle histoire, au travers d’un show-room repensé. Nous avons communiqué. Le ravalement de façade, au propre comme au figuré, a relancé l’intérêt du public. Depuis juin 2019, l’affaire cartonne!”

Le ravalement de la façade du magasin, place de la Chapelle, a relancé l'intérêt du public.
Le ravalement de la façade du magasin, place de la Chapelle, a relancé l’intérêt du public.© FERNAND LETIST

Changer d’image, pas de réputation

Le pari tenait pourtant de la gageure: comment métamorphoser une institution bruxelloise haut de gamme et rajeunir sa clientèle sans faire fuir les habitués? L’opération, délicate, consistait à décoller méthodiquement l’encombrante étiquette de “vieux magasin, magasin pour vieux” pour lui substituer une image dynamique, en mouvement, contemporaine et moderne. Tout en se gardant bien de sacrifier les fondamentaux qui ont fait le succès du Bon Repos depuis sa première enseigne: Au Grand Mouton Blanc était en effet, autour de 1900, spécialisé dans les matelas (et leur rembourrage) et la vente de lits. Ce n’est qu’à partir de 1958 qu’il s’est adjoint un pôle mobilier d’intérieur.

La récente transition a surtout porté sur la mise en scène des produits déployés dans le show-room nouvelle mouture. “Il y a trois ans trônaient encore, posés là un quart de siècle plus tôt, des meubles classiques de style british ; ils étaient à l’entrée du magasin, à proximité de colonnes auxquelles pendaient des tentures! Aucun canapé n’était présenté assorti de coussins dans un environnement déco, ce que nous faisons maintenant systématiquement sur les 10.000 m2 de show-room répartis sur quatre étages, détaille Steve Dekock qui nous guide à travers des zones ouvertes et cosy. Ici, après les travaux, nous avons même laissé les murs en béton brut apparent avec leurs imperfections et leurs coulées de rouille, façon design industriel, indique-t-il en traversant celle des canapés. Pour nos parents, cela aurait été inconcevable.”

Délicate alchimie

Au fil des décennies, Au Bon Repos s’est bâti une clientèle au profil quasiment cliché: aisée, âgée de 50 ans et plus, installée en Brabant (wallon et flamand) ou à Bruxelles, classique, BCBG… Steve Dekock relativise: “Notre clientèle reste effectivement à 90% bruxelloise au sens large (Uccle, Woluwe, fonctionnaires de la Commission européenne, etc.), à quoi s’ajoutent des amateurs venus du Brabant. Sociologiquement, elle va de la classe moyenne à la classe très aisée et couvre tous les styles. Il s’agit aussi d’une clientèle très familiale. En coeur de cible, on trouve, c’est vrai, un public âgé de 50 ans et plus. Mais nous cherchons à amener l’âge moyen vers la tranche des quadras sans faire fuir les plus âgés et sans descendre en gamme côté produits”. Un exercice délicat, voire un numéro d’équilibriste.

Reconfinement oblige, le magasin propose les articles de son show-room en
Reconfinement oblige, le magasin propose les articles de son show-room en “click&collect”.© FERNAND LETIST

“Côté prix, l’éventail est très large. Pour un matelas de deux personnes, la fourchette va de 650 à 10.000 euros. Ce qui permet à chaque bourse de trouver un bon repos, sourit avec espièglerie le manager des achats literie. Le gros des ventes se situe entre 700 et 3.000 euros. On reste généraliste. Les plus âgés ont effectivement le pouvoir d’achat le plus important, mais des quadragénaires qui ont les moyens, ça existe et ils sont les quinquagénaires de demain.”

Ce qui agace le gardien de l’image du Bon Repos, c’est cette étiquette de magasin cher qui lui colle à la peau. “C’est quoi, cher? grince-t-il. L’essentiel, c’est le rapport qualité/prix. On pourrait nous faire ce reproche si nous vendions, à produits identiques, systématiquement plus cher qu’ailleurs. Mais ce n’est pas le cas! Par contre, oui, nous proposons du haut de gamme, une qualité supérieure qui justifie les prix pratiqués. Lesquels sont du reste ceux conseillés par nos fournisseurs et figurent tels quels dans leur tarifs, calcul des marges compris. Il est certain que nos matelas sont plus onéreux que ceux d’Ikea ou du Roi du Matelas. Mais les produits sont incomparables, on ne joue vraiment pas dans la même catégorie! Au Bon Repos, nous sommes convaincus d’avoir raison de continuer à tirer la qualité vers le haut”.

Covid-19, rebond puis… reconfinement

Après le lockdown du printemps, Au Bon Repos et sa quarantaine de collaborateurs pensaient ne plus avoir de souci à se faire. Le vent de panique provoqué par la pandémie était rapidement retombé pour faire place à une heureuse surprise: “Nous avons eu très peur mais en fait, tout allait bien, comme pour l’intégralité du secteur de la literie, de l’ameublement et de la déco d’ailleurs, soufflait de soulagement le jeune entrepreneur. Dès juin, nous avions récupéré le chiffre de l’an passé et nous avons achevé août en avance par rapport aux résultats de 2019”. Un bémol cependant: les acteurs de l’ameublement ont tellement de succès que leurs fournisseurs sont en pénurie de matières premières! Beaucoup de clients ne pourront moelleusement profiter de leur nouvelle literie que dans le courant de 2021… au mieux.

Rencontré en septembre, Steve Dekock se montrait persuadé que, dans son secteur, le commerce virtuel n’est pas vraiment une priorité. “Certes, on envisage de développer un webshop, mais seulement ‘parce qu’il faut’ aujourd’hui avoir ce genre d’outil pour écouler en ligne de petits articles comme du linge de maison, des taies d’oreiller, etc., relativisait-il. Certainement pas des matelas! Un matelas, ça se teste sur place ; une literie, ça s’essaie, se touche, se ressent, avant d’être achetée”, martelait-il.

Depuis, le deuxième confinement automnal a replongé Au Bon Repos dans un sommeil plus agité. Sans avoir sauté au sens strict le pas du webshop mais suite aux mesures de fermeture imposées, l’enseigne a dû mettre en place un service click and collect via son site. Celui-ci propose en mosaïque visuelle et consultation ascenseur tous les produits disponibles à l’achat. A savoir les meubles en expo dans le show-room, livrés à domicile par sa flotte de camions, et les plus petits articles articles, type linge de lit, coussins, couettes, etc, à venir récupérer au magasin.

Steve Dekock
Steve Dekock© FERNAND LETIST

Un autre sujet, tout aussi insondable que le Covid, préoccupe le codirecteur: les politiques successives autour de la mobilité urbaine bruxelloise. “Nous, commerçants du centre-ville, avons un souci sur la manière et le timing choisis par la Ville pour agir sur sa mobilité. N’omet-elle pas de mesurer toutes les conséquences commerciales de ses décisions? questionne Steve Dekock. Dérouler sur cinq ans un plan cohérent et concerté serait préférable à cette avalanche de mesures décidées à l’emporte-pièce. Pour nous, acteurs économiques de la capitale qui travaillons le plus honnêtement possible, il est rageant de voir comment cette politique anti-auto casse notre dynamique. Notre clientèle d’Uccle, de Woluwe de Waterloo de Wemmel ou du Brabant, a besoin de la voiture pour venir à Bruxelles”, soupire-t-il.

Quand le codirecteur songe à tous ses clients perdus depuis la création du piétonnier au centre-ville, à la floraison anarchique de pistes cyclables, au projet de rendre la place Royale piétonne ou à celui d’imposer dès 2021 un péage à l’entrée de Bruxelles, on lui devine comme une envie de voler dans les plumes. Voire d’envisager un choix, un peu tabou jusqu’ici: installer Au Bon Repos ailleurs en Belgique. Steve Dekock sourit doucement: “Disons que c’est une idée dans nos cartons et dans nos têtes. Si cela advient, ce sera surtout le résultat des politiques de mobilité sur nos affaires. Une telle décision ne se prendra pas de gaieté de coeur car Au Bon Repos est une enseigne enracinée depuis 122 ans ici, place de la Chapelle, au coeur des Marolles. Mais on verra. Si ça se fait, ce sera en Wallonie”.

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