Après le choc Carrefour, la mort du supermarché ?
La restructuration annoncée par Carrefour n’est que le dernier avatar d’une longue période de turbulences traversée par la grande distribution dans son ensemble. Face à un marché en pleine révolution, nos grandes surfaces tentent de trouver la martingale. Mais leur modèle est à bout de souffle. Il doit être réinventé de fond en comble.
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Carrefour qui ferme certains hypermarchés, Fnac et Vanden Borre qui s’unissent, Blokker qui vacille, Decathlon qui lorgne les centres-villes, H&M qui réduit son parc de magasins, Media Markt qui fait son entrée chez Makro, Marks&Spencer qui se replie sur son marché domestique, Ikea qui lance la livraison à domicile, etc. Le monde de la distribution est en pleine ébullition. On ne compte plus le nombre d’enseignes qui restructurent, fusionnent, mettent en place une stratégie ” omnicanal “, annoncent un partenariat défensif. Tous les secteurs sont visés. Et à chaque fois, les mêmes raisons sont invoquées : ” touché par l’e-commerce “, ” concurrencé par les discounters “, ” dépassé par les nouvelles habitudes de consommation “, etc. Et puis les mêmes coupables sont désignés : Amazon, Zalando, Bol.com, Coolblue, etc.
A l’heure où Carrefour annonce des mesures qui pourraient aboutir à la suppression de 1.233 emplois chez nous (au siège d’Evere et dans les hypermarchés), et alors que des restructurations similaires ont récemment touché Delhaize, Makro et Cora, quelles sont les tendances de fond qui fragilisent la grande distribution ?
L’hypermarché hyper-menacé
D’après Claude Boffa, professeur de retail management à la Solvay Brussels School (ULB), on peut clairement parler de la fin d’un modèle. ” Le schéma de la grande distribution traditionnelle a été poussé jusqu’au bout de ses possibilités, dit-il. Les distributeurs n’ont cessé de se battre sur les prix.”
C’est en fait le format de l’hypermarché qui est particulièrement touché. Ce temple de la consommation créé dans les années 1960 ne correspond plus vraiment aux modes de consommation actuels. Attaqué par les discounters (Colruyt, Lidl et Aldi) et les magasins de proximité sur l’alimentaire, l’hyper est aussi concurrencé par les enseignes spécialisées et l’e-commerce sur la partie non alimentaire. ” Il s’agit d’un concept beaucoup trop généraliste, explique Jean-Luc Calonger, expert en retail à la Haute-Ecole Condorcet. L’hypermarché ne représente plus le lieu de destination qu’il était par le passé car vous pouvez toujours trouver mieux ailleurs. ” Afin de ” sauver ” l’hypermarché, Carrefour annonce notamment rechercher des alliances à l’achat et à la vente ” pour améliorer l’offre non alimentaire lorsqu’elle n’est pas pertinente “. Deux hypermarchés sont fermés chez nous (Belle-Ile et Genk), quatre autres sont réduits de taille.
Le hard discount contre-attaque
Autre tendance de fond : la proximité. Toutes les enseignes ont aujourd’hui leur format de proximité. Un ” format de conquête “, d’après Carrefour qui multiplie les magasins Express en franchise. Le groupe annonce ainsi l’ouverture d’au moins 2.000 magasins de proximité dans les cinq prochaines années. Avec les supermarchés Market, les points de vente Express doivent permettre à Carrefour de déployer son univers omnicanal en devenant des centres de préparation ou de livraison, des points de retrait ou de retour pour les clients.
Lors de l’annonce de son plan de transformation fin janvier, Carrefour a expliqué vouloir être “le pionnier de la transition alimentaire”.
Si les supermarchés traditionnels sont en souffrance, c’est aussi en raison de la montée du hard discount. ” Les grands gagnants aujourd’hui, ce sont Lidl, Aldi et Colruyt “, affirme un ancien cadre de… Delhaize. D’autant que les hard discounters sont en train d’effectuer une mue qui fait beaucoup de tort aux supermarchés traditionnels. Ils renforcent le rayon frais, ils embellissent leurs points de vente, il commercialisent quelques grandes marques, etc. Bref, ils fidélisent de la sorte leur clientèle existante qui ne doit plus nécessairement se rendre ailleurs, tout en attirant de nouveaux consommateurs. Les grandes surfaces traditionnelles qui s’étaient par le passé prémunies du hard discount en créant leurs marques premier prix (Everyday, 365, etc.) se voient ré-attaquées aujourd’hui sur leur propre terrain.
Le temps des “consommacteurs”
On voit enfin poindre de nouvelles habitudes de consommation qui secouent la distribution traditionnelle. ” Les nouvelles formules de type Färm ou Bio c’ Bon ont le vent en poupe “, affirme notre source delhaizienne. Les consommateurs – pardon, les ” consommacteurs ” – veulent manger de manière plus responsable, tant sur les plans écologique que sanitaire. Le problème, c’est qu’ils n’ont plus confiance dans le modèle de la distribution traditionnelle. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à adopter une posture militante de rejet explicite de la grande distribution. Une attitude qui les amène à prendre des parts dans des supermarchés dits ” participatifs ” comme BeesCoop, à Schaerbeek. Pour reconquérir ces clients, la grande distribution met le paquet sur la com’ éthique. Lors de l’annonce de son plan de transformation fin janvier, Carrefour a ainsi expliqué vouloir être ” le pionnier de la transition alimentaire “. ” Les modes de production intensifs ont atteint leurs limites, écrit le groupe français. Les consommateurs n’ont jamais autant été préoccupés par ce qu’ils mangent. Aujourd’hui, ils veulent à juste titre plus d’informations, de qualité et de transparence sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. ” Du côté de Delhaize aussi, le discours a évolué. L’enseigne au lion a décidé de se repositionner sur la communication liée à la santé.
Enfin, dernière tendance à concurrencer de front la grande distribution : le boom des plats préparés ou à préparer. Le succès du service Hello Fresh n’a à ce titre pas tardé à alerter les groupes de distribution qui ont tous mis au point leur propre box repas. Carrefour a lancé la Simply You Box, Delhaize son service Click&Cook, et Colruyt sa box En Cuisine.
Face à toutes ces évolutions qui fragilisent son modèle, la grande distribution est forcée de se réinventer. Et si elle prenait exemple sur le business model de ses fossoyeurs ?
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