Alexis Descampe (Färm): “Transformer la société en partant d’un terreau capitaliste”
La coopérative de supermarchés bios Färm vient d’ouvrir son septième magasin à Schaerbeek, et deux autres points de vente bruxellois devraient suivre dès l’an prochain. Mais les emplacements se font rares. Le CEO de l’entreprise tente désormais de fédérer d’autres magasins bios. Sous la bannière Färm… ou pas.
Et de sept ! La chaîne de supermarchés coopératifs bios Färm poursuit son expansion. Elle vient d’ouvrir son septième point de vente à Schaerbeek, à deux pas de la place Meiser. Détenue à 90 % par des investisseurs privés, l’entreprise a récemment vu la Région bruxelloise entrer dans son capital à hauteur de 500.000 euros. Un montant de 130.000 euros a également pu être récolté via une opération de crowdfunding. L’occasion de faire le point sur les projets d’expansion et le mode de fonctionnement de la coopérative avec son CEO Alexis Descampe.
TRENDS-TENDANCES. Vous avez toujours déclaré vouloir atteindre 16 points de vente à l’horizon 2019. On est loin de cet objectif. Votre expansion se révèle-t-elle plus compliquée que prévu ?
ALEXIS DESCAMPE. Nous sommes effectivement un peu en retard, mais nous avons des projets dans le pipeline. Deux magasins vont ouvrir début 2019 à Bruxelles : un deuxième à Etterbeek, et un à Woluwe-Saint-Lambert. Nous avons également deux projets à l’étude dans le Hainaut, du côté de Mons et de Charleroi. Mais ce qui importe pour nous, ce n’est pas la croissance pour la croissance. C’est de faire une place sur le marché aux produits auxquels nous croyons. Il y a de plus en plus de magasins bios engagés. Du coup les implantations géographiques sont toujours plus compliquées à trouver. Pourquoi ne pas collaborer ? Un mouvement de consolidation serait logique. Nous n’oublions pas notre expansion en propre, mais là où des acteurs indépendants sont déjà implantés, l’idée est de travailler main dans la main en nous rassemblant sous la forme d’une fédération de magasins coopératifs.
Ces magasins passeraient donc sous pavillon Färm ?
Pas nécessairement. J’en serais ravi, mais il faut que tout le monde soit d’accord. Nous proposons l’affiliation, et nous avons un certain nombre de candidats qui seraient heureux de devenir des magasins Färm. Maintenant, tous les magasins indépendants ne le souhaitent pas. Nous pourrions alors imaginer cette forme de fédération au sein de laquelle nous mettrions chacun la main à la poche pour créer des outils logistiques ou digitaux, etc. Nous sommes en train d’en discuter avec plusieurs acteurs.
On a pu lire que vous souhaitiez vous implanter en Flandre en 2019. Il s’agit d’un nouveau marché. Quelles démarches cela exige-t-il ?
Cela fait simplement partie de nos plans. Mais à ce stade, nous ne sommes pas prêts. La culture de consommation est très différente d’une Région à l’autre. Pour tous les articles d’épicerie, nous avons pas mal de produits étrangers : français, allemands, etc. Il est clair que si nous ne commercialisons que des produits franco-français en Flandre, cela ne fonctionnera pas. Pour entrer sur ce marché, nous avons deux stratégies possibles : soit nous nous appuyons sur des partenaires existants dans le cadre d’une fédération qui nous permettrait de mutualiser nos moyens, soit nous nous implantons avec des franchisés qui connaissent très bien le marché.
D’autres acteurs dans le monde de la coopérative alimentaire critiquent votre modèle, soutenant qu’il n’est pas réellement coopératif : 90 % de vos moyens viennent de quelques investisseurs privés (Hat Venture, Dofis, Scale Up) et vous n’excluez pas de distribuer des dividendes. Que leur répondez-vous ?
Que leur description est tout à fait correcte. La majorité de notre capital est détenue par des investisseurs, qui sont nos fondateurs. La mission de ces investisseurs n’est pas de faire du don, c’est d’utiliser leur capital dans un projet ayant de l’impact. Mais à un moment donné, ils voudront réaliser leur investissement. Nous ne nous en cachons pas. Notre modèle coopératif est un modèle hybride. Quand vous regardez les autres modèles coopératifs, la question du financement est souvent compliquée. Nous avons décidé que nous n’allions pas nous arrêter à ce problème. Etant donné que nous souhaitons nous adresser à un marché national, il y a lieu de pouvoir lever des capitaux. Par ailleurs, nous n’avons pas de honte à proposer du rendement à partir du moment où celui-ci ne met pas en péril la recherche d’impact. Nous voulons montrer qu’il est possible de transformer la société en partant d’un terreau capitaliste. On peut changer les choses sans avoir une posture directement radicale, qui immobilise les gens.
Comptez-vous encadrer les dividendes ?
Au sein du cercle des fondateurs, nous sommes en train d’élaborer un cadre d’investissement pour que les nouveaux investisseurs qui nous rejoignent sachent que s’ils investissent chez Färm, c’est pour l’impact. Ce n’est pas au service du capital et de sa rentabilité, sans nier qu’il y en aura. Nous réfléchissons à la notion de dividende. Jusqu’à combien peut-on distribuer de dividendes ? Les notions de plus-value, de partage de valeur avec nos collaborateurs, de réinvestissement prioritaire des bénéfices pour le développement de la société, etc., sont également des notions auxquelles nous réfléchissons. Nous sommes en train de préciser tout cela dans une charte que nous publierons dans les semaines qui viennent.
Qu’en est-il de la gouvernance démocratique chez Färm ? Dans quelle mesure vos principaux actionnaires ne décident-ils pas de tout ?
Nous ne fonctionnons pas selon le principe ” un homme = une voix “, mais bien ” une part = une voix “. Il est normal que le gros actionnaire qui a mis 500.000 euros ait 50.000 fois plus de voix que celui qui a mis 10 euros. C’est la réalité à l’assemblée générale. Autrement, nous ne pourrions pas attirer des investisseurs importants. Maintenant, au conseil d’administration, les investisseurs n’auront jamais plus de 50 % des voix. Les autres membres du conseil sont les collaborateurs, les managers, les producteurs, les affiliés et les consommateurs. Si un jour, un vote oppose une catégorie, comme celle des investisseurs, aux cinq autres catégories, ce serait ces dernières, même avec 50 % des voix, qui remporteraient ce vote. Je connais peu de boîtes où l’investisseur de référence détient 90 % du capital et souhaite être minorisé à 50 % des voix au conseil d’administration.
Quel est l’intérêt pour un consommateur de prendre une ou plusieurs part(s) chez vous ?
Nous ouvrons aujourd’hui la participation à 100 euros minimum. Pour celui qui prend 100 euros, c’est plutôt une forme de soutien. Pour celui qui met un peu plus, le rendement, non garanti, sera limité à 6 %. Il s’agit d’un rendement en phase avec les règles de la coopérative agréée ou à finalité sociale. Le consommateur lambda a par ailleurs un avantage à très court terme : il a droit à 2 % de réduction sur ses achats, en remise directe.
Quand on parcourt vos comptes annuels, on remarque que votre perte est encore de 194.000 euros en 2017. Comment l’expliquer ? Quels sont vos objectifs en termes de rentabilité ?
En réalité, nos magasins sont structurellement rentables. C’est notre bureau central qui est en déficit. Nos frais de gestion centraux sont élevés puisque nous investissons sur le long terme et que nous avons des ambitions structurelles à l’échelle nationale. Nous avons beaucoup de personnel spécialisé dans un certain nombre de secteurs (RH, logistique, etc.) et nous sommes donc sur-staffés dans notre bureau central. Au niveau du groupe, nous comptons être au break-even en 2020.
Que pensez-vous de l’initiative de Carrefour qui entend proposer la marque bio la moins chère de Belgique ?
Ils sont fidèles à leur stratégie. Tout, chez eux, est basé sur le paradigme du prix le plus bas. Le risque de ce genre de démarche est de laisser encore plus se développer dans l’esprit du consommateur l’idée que le bio est cher. Or, nous ne sur-margeons pas par rapport à des magasins comme Carrefour. La seule force objective qu’ils auraient et que nous n’avons pas, c’est une force logistique. Cela ne justifie toutefois pas une différence de l’ordre de 10-20 %. Aujourd’hui, la grande distribution ouvre ses bras aux producteurs bios et belges parce qu’elle a besoin d’eux. Mais je crains que le jour où l’offre de production belge ou bio sera de plus en plus large, leur choix stratégique d’achat ne s’oriente vers le prix. Ils iront toujours chercher l’approvisionnement le moins cher, à l’étranger.
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