Aéroports wallons: la machine à croissance et à emplois est-elle en train de s’épuiser?

File photo dated 17/02/25 of an EasyJet plane landing during sunrise at London Gatwick Airport in Crawley, West Sussex. Transport Secretary Heidi Alexander has given the go-ahead to Gatwick's £2.2 billion second runway plan aimed at increasing the airport's capacity by 100,000 flights a year. Issue date: Sunday September 21, 2025. © PA
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les aéroports ont longtemps été considérés comme des machines à croissance et à emplois. Une étude britannique estime que, dans des pays comme la Belgique, ce modèle arrive à saturation. L’impact économique diminuerait… au point d’être parfois nul.

Et si la Région wallonne avait tout faux en subsidiant ses aéroports ? Depuis plus de 20 ans, les autorités wallonnes ont misé sur les aéroports pour créer des emplois. Liege Airport est ainsi devenu un champion européen du fret, et Charleroi (Brussels South), le paradis des vols low cost avec plus de 10 millions de passagers en 2024 et troisième hub de Ryanair.

Une étude remet en cause les bases du raisonnement. Les aéroports situés dans des pays comme la Belgique (ou les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, le sud-est de la Grande-Bretagne), à l’économie fort développée, n’auront bientôt plus d’impact économique effectif.

“Ces régions approchent du point où des vols supplémentaires n’ajouteront plus de valeur significative”, écrivent Alex Chapman et Felix Pot, auteurs d’une étude publiée par la New Economics Foundation et financée par Transport & Environment, une ONG qui publie des études sur les alternatives de transport moins émettrices en gaz à effet de serre (1).

Notons que l’étude ne porte que sur le trafic passager, le fret – donc Liege Airport – n’est pas concerné.

Encourager les dépenses à l’étranger

En outre, l’étude relève qu’ils encouragent la dépense hors des frontières. La Belgique fait partie des pays où la balance des services de voyage est la plus déficitaire, avec 16,266 milliards en 2024, soit 2,6% du PIB, contre 11,2 milliards en 2022. Autrement dit : les Belges dépensent toujours plus à l’étranger que les voyageurs étrangers ne dépensent en Belgique – et le low cost accentue ce phénomène.
Le contexte de cette initiative est l’impact environnemental du transport aérien dans le réchauffement climatique. L’ONG souhaite une approche plus globale, même si l’étude financée n’intègre pas les externalités (le coût de la pollution).

Voilà qui contredit les arguments économiques développés pour le renouvellement des permis d’environnement des aéroports du pays. Ils s’appuient notamment sur des études d’impact en emplois.

“Une méthodologie simpliste”

Ce nouveau rapport n’est pas vraiment encensé par les économistes du transport en Belgique. “La méthodologie est un peu simpliste”, estime Wouter Dewulf, professeur en transport aérien à l’Antwerpse Universiteit (UAntwerp). Il est le coauteur de l’étude la plus récente sur les aéroports du pays (2), avec Bart Jourquin (UCLouvain), Jolien Pauwels (UAntwerp) et Sven Buyle (UAntwerp).

“Par exemple, la définition de la connectivité n’est pas celle du monde du transport aérien. Il ne s’agit pas seulement d’un nombre de passagers, de la distance vers l’aéroport et des destinations. On doit aussi prendre en compte les fréquences et la qualité des destinations, par exemple. Un Bruxelles-Malaga ne vaut pas un Bruxelles-Singapour.”

“L’étude est intéressante, mais les conclusions ne sont pas bonnes, résume Wouter Dewulf. Ce qui est intéressant dans le document, c’est de relever que plus les revenus augmentent, plus les gens prennent l’avion.”

“L’étude est intéressante, mais les conclusions ne sont pas bonnes.” – Wouter Dewulf (UAntwerp)

Concernant le déficit de la balance des services pour les voyages, Wouter Dewulf estime l’argument trop léger. “Il ne faut pas suivre un raisonnement à la Trump sur les déficits commerciaux, en ne ciblant qu’une rubrique. Il faut voir l’ensemble du compte courant de la balance des paiements. Chaque pays se spécialise dans certaines choses, comme la pharmacie ou la logistique pour la Belgique. Ce qui compense ce déficit par un excédent dans d’autres rubriques. Il faut tout prendre en compte.” Relevons que le solde global de la balance des paiements est de – 0,9% du PIB pour 2024.

“Ouvrir un débat”

“Notre objectif avec cette étude est d’ouvrir un débat, rétorque Denise Auclair, head of smart travel campaign de Transport & Environment. Nous pensons que la base des décisions aujourd’hui est trop limitée à des études financées souvent par l’industrie elle-même. Alex Chapman a participé à des auditions du comité sur l’environnement du parlement britannique sur l’extension de certains aéroports, qui a conclu que les bénéfices économiques n’avaient pas été suffisamment prouvés.”

“Notre objectif avec cette étude est d’ouvrir un débat.” – Denise Auclair (Transport & Environment)

En Belgique, les études d’impact économique ont longtemps été réalisées par la Banque nationale. Celle à laquelle a participé Wouter Dewulf analyse l’emploi et la valeur ajoutée générés par les activités directes (compagnies aériennes, etc.), indirectes (les sous-traitants) et par les effets induits (impact des dépenses des employés directs et indirects).

À l’aéroport de Charleroi, l’emploi total est évalué à 5.600 emplois et la valeur ajoutée à 480 millions d’euros. © BELGA

Les 10.400 emplois de Liege Airport

Pour Brussels Airport, l’emploi total est évalué à 52.700 salariés, la valeur ajoutée, à 5,4 milliards d’euros. Pour l’aéroport de Charleroi le résultat est plus modeste, avec 5.600 emplois au total, 480 millions d’euros de valeur ajoutée. À Liege Airport, spécialisé dans le fret, l’emploi total s’élève à 10.400 salariés et la valeur ajoutée à 1,19 milliard d’euros. Ces données portent sur 2019, l’année avant le covid. “Les années 2020 et 2021, durant la crise du covid, n’étaient pas significatives, dit Wouter Dewulf. Nous mettrons à jour l’étude avec les chiffres de 2023 et 2024. Elle a fait l’objet d’un processus de peer review (évaluation par d’autres économistes, ndlr).”

“Nous constatons que pour les aéroports régionaux, le profil joue un rôle important. L’impact de Charleroi, même avec 10 millions de passagers, est moindre que Liege Airport, spécialisé dans le fret”, bien qu’il y ait beaucoup moins de mouvements d’avions à Bierset. Il note aussi que les subsides de la Région wallonne sont nettement plus productifs en emplois et en valeur ajoutée à Liege Airport qu’à Charleroi.

L’étude de la New Economics Foundation n’examine pas ces impacts (emploi, valeur ajoutée). Il estime ce type d’analyse incomplet. Il ne conviendrait pas pour une nouvelle autoroute, par exemple. “Rarement, voire jamais, un gouvernement ne construit une infrastructure de transport pour elle-même, indique le document. Généralement, elle sert un objectif plus large. Les routes ne sont pas construites pour créer des emplois pour leur entretien ou ceux des chauffeurs d’autobus.”

Alex Chapman et Felix Pot ont analysé la relation entre le transport aérien et la croissance du PIB par tête dans 274 sous-régions européennes définies par Eurostat. Ils sont arrivés à la conclusion que le lien trafic aérien-croissance n’est établi que dans 37% des régions analysées, surtout dans les pays d’Europe de l’Est.

Le recul des voyages d’affaires

Dans 53% des régions, dans l’Europe occidentale et nordique, le lien causal est inversé. C’est la progression des revenus qui entraîne une hausse de la demande de transport, principalement pour le tourisme. Les aéroports n’y sont pas la cause d’une croissance économique.
Le signe clé qui, selon l’étude, montre que les aéroports arrivent à un plafond pour leur impact sur la croissance est le recul de la part des voyageurs d’affaires. Cela se vérifie en Europe du Nord, notamment pour la Belgique ou la Grande-Bretagne. “Les voyageurs d’affaires vont développer des relations économiques qui profitent à leur entreprise, donc à l’activité locale du pays de départ, dit Denise Auclair. Le voyageur de loisir part à l’étranger et y dépense.”

Wouter Dewulf est sceptique sur cet argument. “Le voyageur d’affaires dépense moins à l’aéroport car il arrive souvent plus tard que le voyageur de loisir, qui vient trois heures à l’avance.” La baisse des voyages d’affaires est aussi liée, depuis la crise du covid, au développement des téléconférences.

De timides renversements

Les pouvoirs publics restent favorables aux aéroports, d’autant qu’ils en sont souvent actionnaires. Malgré l’opposition des riverains, les Régions flamande et wallonne ont renouvelé les permis d’environnement de Brussels Airport (Zaventem), Liege Airport et Brussels South (Charleroi).

Ces permis font l’objet de recours multiples en annulation. Les autorités n’ont toutefois plus le même enthousiasme et ont commencé à plafonner la croissance de ces infrastructures. La Région wallonne limite l’aéroport de Charleroi à 72.833 vols à l’horizon 2041, contre 66.000 actuellement pour une demande de l’aéroport à 82.000 vols. Elle a récemment décidé, pour des raisons budgétaires, de réduire ses subsides de 7 millions d’euros pour 2026 pour Charleroi et Liège. 

(1) New Economics Foundation, The Economics of Air Transport in Europe, part one : Air Transport and Growth, Dr Alex Champan and Dr Felix Pot, novembre 2025.
(2) Journal of Air Transport Management, Reconsidering airport economic impact assessements : A bottom-up comparative analysis of Belgian airports, septembre 2025.

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Des séjours de plus en plus courts

Le transport aérien contribue aux économies de certains pays, comme l’Espagne, la Grèce, le Portugal, l’Italie ou la France, qui, tous, affichent des excédents commerciaux pour les services de voyage. L’étude de la New Economics Foundation analyse en détail cet apport. Elle relève une tendance : la diminution de la durée des séjours. Elle est passée de 4,3 à 3,4 nuits entre 2020 et 2023 dans les principaux pays de tourisme (France, Espagne, Italie, Autriche, Portugal).

“Cette évolution a un effet sur l’impact économique du tourisme, analyse Denise Auclair, de Transport & Environment. Plus le séjour est court, plus la part des dépenses pour le transport augmente. ” Les gagnantes sont alors, de plus en plus, les compagnies aériennes.

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