Adelle Blackett (honoris causa UCLouvain) : “Nous avons absolument besoin des travailleurs migrants”
L’UCLouvain remet ce 16 février les insignes de docteure honoris causa à Adelle Blackett, professeure en droit du travail à l’Université Mc Gill de Montréal. Ses recherches portent sur l’inclusion des personnes les plus vulnérables dans le droit du travail, le travail forcé et les formes contemporaines d’esclavage. Interview.
La spécialiste du droit du travail Adelle Blackett, 55 ans, a mis son expertise au service de différentes organisations internationales, dont l’Office international du travail (OIT), où elle a participé à l’élaboration de normes sur le travail décent des travailleurs et travailleuses domestiques. La chercheuse est mise à l’honneur ce 16 février par l’UCLouvain lors d’une cérémonie de remise des insignes de docteurs honoris causa, aux côtés d’Oleksandra Matviichuk, avocate ukrainienne spécialisée dans les droits humains, et du cinéaste palestinien Elia Suleiman. Interview.
Que représente pour vous ce titre honorifique décerné par l’UCLouvain?
En tant que chercheuse, je fais mon travail par passion et conviction. Je ne m’attendais pas à une reconnaissance de cette magnitude. Si cet honneur peut donner une visibilité à mon travail, c’est tout ce que je peux souhaiter. Si cela peut aussi encourager la prochaine génération de chercheurs et de chercheuses dans le domaine, je serai encore davantage ravie.
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Quels sont les liens que vous entretenez avec l’université belge ?
Je suis rentrée en contact avec l’UCLouvain en 2011. J’ai participé à une soutenance de thèse d’un doctorant en faculté de droit. Nous avons par la suite invité des collègues à participer à des cours dans notre université. Nous avons gardé des contacts de recherche étroits, notamment en travaillant sur un rapport pour L’Académie Internationale de Droit Comparé. C’est une collaboration qui me tient a cœur.
Quelles sont vos dernières initiatives pour combattre les différentes formes de violences, d’oppressions sur le lieu de travail ?
Pas plus tard qu’hier, j’ai rencontré des femmes absolument remarquables qui font partie de mouvements de défense des travailleurs et travailleuses sans-papiers en Belgique. Les revendications de ces personnes rejoignent mes travaux de recherche sur les travailleurs et travailleuses domestiques. Nous avons partagé nos connaissances. Je suis sortie de cette réunion remplie d’admiration et très inspirée. C’est aussi une source d’encouragement mutuelle, qui fait partie de ce rayonnement. Dans le droit du travail, ce qui est fondamental, ce sont les personnes. Par la suite, cette base se sert de différents moyens, y compris à l’international comme l’OIT, pour faire en sorte que des principes, des actions, des revendications soient entendus.
Y-a-il encore beaucoup à entreprendre pour un travail décent des travailleurs et travailleuses domestiques, et plus spécifiquement des migrants ?
Je suis de nature optimiste, mais, oui, il y a encore énormément de choses à mettre en place. De nombreuses actions sont prises actuellement par les travailleurs et travailleuses eux-mêmes, ainsi que par différents acteurs de la société civile, ou par certains gouvernements, mais cela va lentement. Nous sommes dans un moment de peur de l’importance de l’inégalité mondiale et son impact sur le niveau de vie en Occident. Nous devons y faire face directement comme sociétés au pluriel. Nous devons reconnaître que nous avons absolument besoin du travail des migrants. La seule question est de savoir si nous allons accepter que ce travail se fasse dans des conditions déshumanisantes, qui dégradent non seulement les conditions de vie des travailleurs migrants, mais aussi celles de tous les autres travailleurs. Il y a comme un effet d’entrainement. La réaction doit être intelligente et bienveillante pour favoriser de bonnes conditions de travail pour tous. Cela implique de réglementer le travail comme une fin en soi.
Des initiatives dans ce sens viennent-elles plus de certains pays que d’autres ?
Dans mon travail de recherche, j’ai analysé l’innovation sur le plan juridique, en droit du travail dans plusieurs pays. Ce qui m’a frappée, c’est qu’il y a beaucoup d’innovation en Europe, par exemple avec le chèque-emploi en France, en Suisse et en Belgique, ou encore, les conventions collectives nationales qui existent de plus longue date. Mais les innovations concernent aussi des travailleurs migrants ou des travailleurs domestiques. Il y a du mouvement de ce côté-là.
Comment agissez-vous à votre propre niveau ?
L’idée autour de la Convention 189 (NDLR, sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011) est de permettre aux États de se concerter, de créer une communauté d’apprentissage autour de ces questions. Le pire serait de présumer qu’on ne peut rien faire, de se dire que « le monde est comme ça ». A travers ce mouvement social et ces initiatives juridiques, nous essayons de briser ce sentiment d’incapacité d’agir. Nous voulons justement favoriser une amélioration. C’est long et difficile, mais c’est possible. Les travailleurs de la base ont souvent le courage d’agir. Personnellement, j’estime avoir trop de privilèges pour simplement dire qu’il n’y a rien à faire. Il faut plutôt lutter. Je le fais par mes recherches, pour reformer, transformer le droit du travail.
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