A quelle sauce les clients de Bit4You seront-ils mangés ?
Un accord collectif pour rembourser les déposants reste possible. Mais le temps presse, et tout le monde – y compris la justice et les anciens actionnaires – doit y mettre du sien.
Son ambition était de devenir la première plateforme belge d’échange de cryptoactifs. Finalement, Bit4You a toutes les chances d’être mise bientôt en faillite. Il reste un espoir de rembourser rapidement les épargnants. Mais pour cela, il faudra lever pas mal d’obstacles.
Fondée en 2018 par Marc Toledo, Sacha Vandamme et le fondateur de Keytrade Bank José Zurstrassen, Bit4You se proposait d’être “le Colruyt de la crypto”. La première transaction a lieu le 28 août 2018 et elle est le fait d’Alexander De Croo, le Premier ministre, qui se prête au jeu. La société parvient à convaincre plusieurs dizaines de milliers de clients et songe même un moment à s’introduire en Bourse. Bit4You dispose alors d’une autorisation provisoire de la FSMA, le gendarme boursier, pour opérer sur le marché belge. Mais fin 2022, la grande plateforme FTX, le numéro trois mondial, tombe en faillite. C’est le début d’un jeu de dominos délétère. CoinLoan, une plateforme estonienne, est mortellement touchée par la chute de FTX. Or Bit4You y avait déposé près de la moitié des cryptos qui lui avaient été confiées. C’est un coup fatal : la plateforme belge annonce la cessation de ses activités fin avril, perd son agrément et ses 11.000 clients voient leurs avoirs (qui valent aujourd’hui presque 20 millions) bloqués. La FSMA, qui pointe une gestion boiteuse, transmet le dossier au parquet. On apprendra par exemple qu’en décembre 2021, Bit4You est victime d’un vol de Ripples, une crypto détenue par certains clients. Le butin s’élève à 700.000 euros. Les actionnaires de Bit4You y mettent de leur poche pour renflouer les clients et le piratage n’est signalé qu’un mois plus tard aux autorités.
La faillite en mars ?
Une partie des clients lésés, les plus gros, représentant environ la moitié des dépôts, se tournent vers des avocats et plus spécialement vers Mischaël Modrikamen, qui regroupe près de 400 mécontents, et Florian Ernotte (du cabinet Avroy), qui en a une soixantaine. En mai, le tribunal accorde une demande en réorganisation judiciaire introduite par Chainius Solutions, la société regroupant les trois fondateurs de Bit4You. Deux administrateurs judiciaires sont nommés : l’avocat Nicholas Ouchinsky et le réviseur Dirk Smets. Un mandataire judiciaire, Roman Aydogdu (Mosal), est chargé de trouver des repreneurs. Un seul candidat se manifeste vraiment, la société française Trakx. Mais en janvier de cette année, le tribunal n’estime pas son offre suffisamment sérieuse. Le mandat de Me Aydogdu prend fin.
Le mandat des administrateurs provisoires est quant à lui prolongé au début de février, mais le tribunal de l’entreprise de Bruxelles, notant qu’il existe “des indices graves, précis et concordants que les conditions de faillite sont réunies”, donne trois semaines au duo pour trouver une solution autre que la faillite. Les administrateurs déposent donc une citation en faillite pour le 18 mars. Bit4You fait appel de cette décision, qui sera examiné ce 29 février.
Une solution quand même ?
Les déposants sont-ils donc condamnés à attendre de longues années de procédure avant de revoir une partie de leur épargne ? Pas encore. “Juridiquement et financièrement, les conditions de la faillite sont réunies, avoue Nicholas Ouchinsky. Cependant, nous n’y avons jamais été favorables. Nous avons le sentiment d’un grand gâchis. Si tout le monde s‘était fédéré de manière constructive dès le début, nous aurions pu éviter une perte de temps et de ressources et trouver une solution pragmatique pour les épargnants.”
“Juridiquement et financièrement, les conditions de la faillite sont réunies.” – Me Nicholas Ouchinsky
Une solution existe en effet. Elle a été présentée par Mischaël Modrikamen, et soutenue par Florian Ernotte. “C’est une solution rapide et de bon sens, explique le premier. Elle consiste à vendre les cryptos qui sont immédiatement disponibles (celles qui ne sont pas bloquées chez CoinLoan) et de les partager en fonction des dépôts de chacun. Et de faire la même chose pour les actifs récupérés chez CoinLoan (je représente aussi le principal groupe de créancier de la société estonienne). Nous avons déjà mis la main sur 40% des actifs. Nous aurions déjà 70 à 75% du montant des dépôts. Et l’on pourrait aller chercher le solde auprès de l’assurance du réviseur qui a sa responsabilité engagée dans cette histoire.” Le parquet, mais aussi les administrateurs provisoires n’y sont pas opposés. “Nous avons dit que nous étions ouverts à cette piste qui semblait à nos yeux dans l’intérêt des clients”, confirme Nicholas Ouchinsky.
Mais patatras, le 14 février, une décision du tribunal d’entreprise remet cet accord en question. “Pour pouvoir demander à tous les clients déposants de se mettre d’accord sur cette proposition, il faut que le tribunal nous donne la possibilité de le faire, explique Florian Ernotte. Or, malheureusement, le 14 février, le tribunal a refusé la demande que Me Modrikamen et moi-même avions déposée pour désigner un praticien de la réorganisation, personne chargée de mettre cet accord en mouvement, parce que les administrateurs provisoires ne peuvent le faire.” Les deux avocats ont fait appel de cette décision et les deux appels – celui de Bit4You et celui-ci – devraient être traités ensemble ce 29 février.
Un appel aux déposants
Si le tribunal de l’entreprise donne finalement son aval à cette procédure d’accord collectif, il resterait encore du chemin à parcourir.
Il reste en effet trois conditions à remplir, explique Nicholas Ouchinsky. “La première est de déterminer si les déposants doivent être traités comme des créanciers de Bit4You (comme le propose l’accord collectif “Modrikamen”) ou comme propriétaires chacun de leurs portefeuilles de cryptos (ce qui supposerait des années de recherche pour restituer son dû à chacun).” Si cette question terriblement technique et à la réponse incertaine – Bit4You a par exemple déposé chez CoinLoan en son nom propre les cryptos de ses clients – devait être soumise à la justice, et si l’on devait aller jusqu’en Cour de cassation, une décision prendrait des années. “Si l’on veut éviter cet écueil, et si l’on veut mettre en œuvre la solution Modrikamen, il faut que tous les clients, pas seulement une majorité, marquent leur accord”, souligne Me Ouchinsky. C’est pour cette raison que Me Modrikamen et Ernotte cherchent à ce qu’un maximum de déposants les contactent. Le deuxième obstacle est qu’il va falloir financer ce travail de grande ampleur. Avec quel argent ? “Et le troisième, ajoute Nicholas Ouchinsky, c’est un point qui fâche. Nous avons un gros problème de collaboration avec les fondateurs de Bit4You. Nous posons des questions techniques, et l’on ne nous répond plus.”
Voilà donc l’état des lieux. Les déposants de Bit4You ont quelques jours encore pour échapper à des années de procédures incertaines. Y arriveront-ils ?
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