La vague bleue déferle sur Bruxelles. Ce 28 juin, le Mont des Arts accueille l’avant-première du nouveau film des Schtroumpfs, avant sa sortie mi-juillet dans les cinémas du monde entier. L’occasion de décrypter le succès d’une marque 100% belge devenue un vrai business planétaire.
C’est la surprise du chef. Ou plutôt du Grand Schtroumpf. Sauf annulation de dernière minute, la superstar Rihanna sera à Bruxelles ce samedi pour l’avant-première mondiale du nouveau film des lutins bleus. La chanteuse barbadienne a en effet prêté sa voix à la Schtroumpfette dans ce long métrage baptisé “Les Schtroumpfs : le film” et l’artiste a annoncé sa présence à l’événement bruxellois.
Toutefois, son état ne garantit pas sa venue ferme et définitive : son jet privé est prêt à décoller, un étage entier d’un célèbre palace a été réservé à deux pas de la Grand-Place, mais Rihanna est enceinte (de plus de six mois, selon la presse people) et son voyage vers la Belgique n’est pas totalement “bétonné”. Ce samedi, la surprise du Grand Schtroumpf sera donc totale, même si la soirée promet déjà d’être complètement festive avec d’autres réjouissances bleutées au cœur de la capitale.
Pour ce nouveau film dont la sortie officielle est programmée le 16 juillet dans le monde entier, l’artiste milliardaire ne s’est pas contentée de prêter sa voix suave à la divine Schtroumpfette. Rihanna a également enregistré deux chansons inédites pour ce long métrage (dont la première, Friend of mine, affiche déjà 8 millions de vues sur YouTube), mais elle est surtout la coproductrice de cette nouvelle œuvre cinématographique cornaquée par le géant américain Paramount Pictures et bien sûr la Peyo Company, l’enseigne coupole qui chapeaute les trois sociétés belges dédiées à la gestion des droits d’exploitation des Schtroumpfs et à leurs aventures “multimédias”.
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Une centaine de pays
Si le budget de la production du film n’a pas encore été dévoilé, il y a fort à parier qu’il soit supérieur au coût du précédent opus, Les Schtroumpfs et le Village perdu, sorti en 2017 et qui était lui aussi un film d’animation. Son budget avait alors atteint les 60 millions de dollars, soit une somme de moitié inférieure aux deux premiers films des lutins bleus, sortis en 2011 et 2013, qui mêlaient de vrais acteurs aux Schtroumpfs animés, et qui avaient coûté chacun plus de 100 millions de dollars en production, sans les traditionnels budgets marketing pour leur promotion. Ensemble, les trois films produits par Sony Pictures avaient engrangé des recettes quatre fois plus élevées que les coûts de production, soit la coquette somme de près de 1,2 milliard de dollars. Preuve en est que les Schtroumpfs sont éminemment rentables…
Pour ce quatrième long métrage, Paramount Pictures espère donc décrocher le même retour sur investissement, d’autant plus que l’œuvre est portée par la coproductrice Rihanna en guise d’ambassadrice de charme. Le terrain cinématographique semble en tout cas propice au succès planétaire. Très attendu, Les Schtroumpfs : le film sera en effet distribué dans une centaine de pays. Et pour Peyo Company, il s’agit là d’un fabuleux accélérateur marketing à même de doper à nouveau la marque belge. Car la sortie en salle s’accompagnera non seulement de toute une série de produits dérivés, mais aussi de partenariats bienvenus qui viennent alimenter le business de l’enseigne basée à Genval.

Peyo au pays de l’or bleu
Nés de l’imagination du dessinateur bruxellois Peyo il y a 67 ans déjà, les Schtroumpfs n’ont jamais cessé de monter en puissance en sortant de leur univers papier pour explorer progressivement de nouvelles contrées beaucoup plus lucratives. Figurines, dessins animés, bonbons, jouets, vêtements, films, parcs d’attraction… On ne compte plus les déclinaisons qui ont fait entrer les lutins bleus dans une toute autre dimension médiatique et qui les ont aidés à traverser facilement les frontières.
“Les Schtroumpfs incarnent aujourd’hui la marque belge la plus connue dans le monde, se réjouit Philippe Glorieux, chief marketing officer de Peyo Company. Pour ce film, Paramount a réalisé une enquête pour tester la popularité des Schtroumpfs et le résultat est incroyable : ils atteignent un taux de notoriété internationale de 95%, ce qui est énorme !”
Cette universalité est précisément la raison de leur succès phénoménal. Même s’ils présentent une physionomie proche de l’homme, ces lutins ne sont pas humains et ils affichent surtout une couleur bleue qui n’est pas connotée d’un point de vue ethnique. Chaque enfant de la planète, qu’il soit chinois, croate ou mexicain, peut donc se retrouver dans ces petites créatures imaginaires, d’autant plus que les Schtroumpfs véhiculent des valeurs positives comme la joie de vivre, l’amitié, l’entraide ou encore le respect de la nature, à la grande satisfaction de leurs parents.
“Ce sont ces valeurs universelles qui ont permis aux Schtroumpfs de devenir officiellement les ambassadeurs des Nations unies il y a quelques années déjà, avec la mission de promouvoir des objectifs de développement durable tout autour de la planète”, rappelle d’ailleurs Véronique Culliford, CEO de Peyo Company et fille du célèbre dessinateur.
Une sacrée carte de visite onusienne qui a contribué à booster la reconnaissance internationale de la marque belge, notamment dans la sphère diplomatique : désormais, chaque ambassade belge dans le monde possède trois grandes figurines de Schtroumpfs, non pas bleues, mais respectivement noire, jaune et rouge, “histoire de briser la glace dans des négociations avec les interlocuteurs locaux qui s’étonnent généralement que ces petits personnages soient bel et bien belges”, sourit le responsable marketing Philippe Glorieux.
Une croissance fulgurante
À Genval, le bâtiment qui renferme l’équipe de 40 personnes dédiée au business des Schtroumpfs affiche aujourd’hui le nom de Peyo Company. L’appellation est relativement récente et sert à donner une marque générique – bien plus forte et immédiatement perceptible – aux trois sociétés historiquement actives dans la gestion des droits d’exploitation des Schtroumpfs et de leurs aventures sur différents supports.

La première, au nom peu sexy IMPS (pour International Merchandising, Promotions & Services), a été créée en 1984 par Peyo et sa fille pour gérer les droits des Schtroumpfs dans le monde entier (sauf aux États-Unis) et donc accorder les précieuses licences aux marques qui veulent afficher l’image des lutins bleus sur leurs différents produits.
La deuxième société, Lafig Belgium, poursuit exactement la même mission, mais cette fois sur le territoire exclusif des États-Unis “qui est un marché très spécifique”, confesse Véronique Culliford. “Cela nous permet de scinder les activités des deux sociétés en cas de problème juridique.”
La troisième, Peyo Productions, se concentre quant à elle sur la création de contenus audiovisuels tirés de l’œuvre du dessinateur belge, en particulier les nouvelles aventures des Schtroumpfs en dessin animé.
Ensemble, ces trois sociétés désormais réunies sous l’enseigne Peyo Company ont enregistré un chiffre d’affaires de 24,7 millions d’euros en 2023 avec un bénéfice enviable de 6,7 millions d’euros net, selon Pascal Flisch, analyste chez Trends Business Information. Soit une progression phénoménale en quelques années à peine : en 2007, ce chiffre d’affaires était en effet plus de quatre fois inférieur aux recettes actuelles (moins de 6 millions d’euros). C’est véritablement la sortie des trois films schtroumpfés à la sauce hollywoodienne qui ont dopé, dans les années 2010, le business familial ancré à Genval. Un business où le marché belge ne représente, au final, que 3% à peine du chiffre d’affaires global.
Le filon des séries

Les sorties mondiales de ces trois premiers longs métrages ont non seulement ouvert les portes de nouveaux marchés pour les Schtroumpfs en termes de merchandising, mais elles ont surtout réenclenché la vente des anciens dessins animés de format court destinés au marché télévisé. Si les aventures imprimées des lutins bleus ont été les premiers vecteurs de célébrité, ces fameux dessins animés produits dans les années 1980 par les studios américains Hanna-Barbera ont en effet servi de véritables accélérateurs de notoriété sur la scène internationale.
Au total, 272 épisodes de 24 minutes chacun ont été réalisés en une dizaine d’années, pour être finalement diffusés dans une centaine de pays. Rentable, ce fonds de commerce télévisé tourne toujours à plein régime sur les chaînes du monde entier et est même disponible aujourd’hui en 43 langues sur les 43 chaînes YouTube spécifiquement dédiées aux Schtroumpfs.
À la fin des années 2010, le succès appréciable des trois films au cinéma ont dès lors convaincu Véronique Culliford de remettre le couvert de la production de dessins animés, mais cette fois dans un format plus court (11 minutes) et dans un esprit beaucoup plus moderne porté par un graphisme 3D. En 2020, la société Peyo Productions a donc pris en main la création d’une toute nouvelle série animée de 52 épisodes avec la collaboration artistique du studio carolo Dreamwall, un exercice qui a ensuite été renouvelé à trois reprises depuis la première fournée. Aujourd’hui, ce sont donc quatre nouvelles saisons et plus de 200 épisodes davantage ancrés dans l’air du temps qui sont ainsi commercialisés et diffusés dans 114 pays à travers le monde, à la fois en télé et sur Netflix, alimentant avec délice le joli coffre-fort du Schtroumpf financier.
Essentielle, l’activité audiovisuelle de l’entreprise basée à Genval génère un peu plus de 40% des recettes de la Peyo Company, selon Véronique Culliford, et ce chiffre pourrait encore grimper avec d’autres projets qui se mettent doucement en place. Un deuxième long métrage produit avec Paramount Pictures est d’ores et déjà en chantier “pour une sortie prévue dans les trois ou quatre ans qui viennent”, dixit la CEO.
Mais ce sont surtout deux autres œuvres de Peyo qui vont monopoliser le travail créatif des équipes belges dans les tout prochains mois. Les aventures de Johan et Pirlouit – créées en 1952 et où les Schtroumpfs sont apparus pour la première fois en 1958 – et celles de Benoît Brisefer vont être aussi déclinées sous la forme de tout nouveaux dessins animés qui profiteront de l’effet de levier des lutins bleus pour conquérir le marché international. “La nouvelle série de Johan et Pirlouit devrait voir le jour fin 2027, début 2028, précise Véronique Culliford. Avec son esprit chevaleresque et une trame où il y aura plus de combats, nous allons cibler une audience plus âgée que celle des Schtroumpfs, à savoir celle des pré-ados et des jeunes adolescents.”
Un album par an

Précieux vivier artistique où les créatifs d’aujourd’hui peuvent puiser leur inspiration, les albums de Peyo continuent d’alimenter les caisses du Schtroumpf business. Certes, l’activité imprimée représente aujourd’hui moins de 5% des recettes de Peyo Company, mais elle est loin d’être négligeable, d’autant plus qu’un nouvel album continue à sortir chaque année. Contrairement au reporter Tintin dont les aventures se sont terminées à la mort d’Hergé, les Schtroumpfs ont continué à exister après la disparition de leur créateur en 1992, à l’instar du Gaulois Astérix qui, lui aussi, revit de nouveaux exploits tous les ans.
Une stratégie marketing qui vaut son pesant d’or bleu : le 29 août prochain, le 43e tome des lutins bleus intitulé Le Trophée des Schtroumpfs sortira en librairie, il sera tiré à 200.000 exemplaires et disponible dans une quarantaine de langues. “Chaque année, nous vendons en moyenne entre 450.000 et 500.000 albums, précise le responsable marketing Philippe Glorieux, car le nouveau tome entraîne forcément la redécouverte d’anciens albums, mais il y a aussi des livres de jeux, des supports éducatifs et d’autres collections, comme Les Schtroumpfs & le village des filles, qui marchent très bien.”
Mais ce sont surtout les licences qui, au fil du temps, ont consolidé les fortifications de l’empire bleu. Aussi puissants que l’activité audiovisuelle, les produits dérivés représentent eux aussi une partie considérable du Schtroumpf business, soit 40 à 42% des recettes de Peyo Company, selon Véronique Culliford. Figurines, bonbons, vêtements, vaisselle, produits de maquillage… On ne compte plus les déclinaisons bleutées qui sont commercialisées dans le monde entier.

Conscientes de leur pouvoir de séduction, les grandes marques se sont d’ailleurs emparées de l’image des Schtroumpfs et mettent régulièrement sur le marché des articles inédits dès qu’un de leurs films sort au cinéma. À l’occasion de ce nouveau long métrage, le confiseur Haribo – un partenaire de longue date – sortira par exemple de nouveaux bonbons au format “mini” et allégé de 30% de sucre.
L’an dernier, c’est la prestigieuse marque Giorgio Armani qui, pour son label Emporio, a choisi l’image des Schtroumpfs pour sa première collection durable. Et la liste des collaborations de prestige, passées, présentes ou à venir, est impressionnante avec Burger King, Renault, Samsung, Panini, Chupa Chups, Garnier, Daoust ou encore Neuhaus.
Plus de 700 licences
Ce sont toutefois les partenariats moins “médiatiques” destinés à fabriquer des figurines, des tasses, des crayons, des gadgets ou encore des jouets “non brandés” qui génèrent le plus de revenus. “Actuellement, il y a plus de 700 licences actives dans le monde avec l’image des Schtroumpfs, confie le responsable marketing Philippe Glorieux. Pour mener les négociations, nous avons une vingtaine d’agents indépendants répartis sur les cinq continents et qui connaissent chacun très bien leur marché.”
“Actuellement, il y a plus de 700 licences actives dans le monde avec l’image des Schtroumpfs.” – Philippe Glorieux, CMO de Peyo Company
N’allez pas croire pour autant que Peyo Company est prête à tout pour se faire de l’argent. Véritable gardienne du temple, Véronique Culliford veille scrupuleusement à ce qu’aucun contrat de licence ne brise l’un de ces tabous : les Schtroumpfs, qui véhiculent une image enfantine, ne doivent jamais être associés au sexe, à l’alcool, au tabac, aux jeux d’argent, à la politique, ni à la religion.
Très lucrative, la commercialisation de ces produits sous licences assure chaque année près de 10 millions d’euros à Peyo Company, mais génère “par ricochet” plus d’un milliard d’euros de retombées financières pour tous les partenaires des Schtroumpfs (en termes de prix de vente aux clients). Cette juteuse affaire de licences ne concerne pas que les produits ou les services de certaines entreprises, mais aussi un nouveau filon qui est en plein essor dans ce business bleuté.
La commercialisation des produits dérivés assure chaque année près de 10 millions d’euros à Peyo Company, mais génère “par ricochet” plus d’un milliard d’euros de retombées financières pour tous les partenaires.
Classé à part dans la ventilation de recettes, l’exploitation de parcs à thèmes et autres lieux de divertissement dédiés aux lutins belges représente aujourd’hui 15% du chiffre d’affaires de Peyo Company, selon sa CEO. Le premier village de Schtroumpfs “nouvelle génération” a vu le jour au cœur du parc Motiongate à Dubaï en 2016 et, depuis, ce sont une quinzaine d’espaces de loisir qui ont émergé, soit dans d’autres parcs d’attractions en Chine, en Russie ou en Malaisie, soit au cœur de grands malls, ces gigantesques centres commerciaux qui allient shopping, restauration et divertissement tout autour de la planète. Dans quelques semaines à peine, c’est un tout nouveau village avec attractions et boutiques remplies de produits schtroumpfés qui sera d’ailleurs inauguré au Brésil, plus précisément à Rio de Janeiro.

Parallèlement à ces ouvertures, la vaste “exposition-spectacle” baptisée Schtroumpf Experience poursuit, quant à elle, son aventure itinérante. Lancée en 2018 à Bruxelles, cette expo immersive au pays des lutins bleus a parcouru l’Europe ces dernières années, où elle a séduit près de deux millions de visiteurs, avant de poser ses cartons à Dubaï où elle sera réactivée dans un futur plus ou moins proche. En attendant, les décors ont été dupliqués pour inaugurer, le mois dernier, une autre Schtroumpf Experience à Dallas, avant de rejoindre d’autres grandes villes aux USA. Là aussi, une occasion rêvée pour écouler toujours plus de produits dérivés.
Belge et fière de l’être
On l’aura compris : à quelques encablures temporelles de leur 70e anniversaire qu’ils fêteront en 2028, les Schtroumpfs restent plus jeunes et plus rentables que jamais. La belle et belge success story a souvent suscité la convoitise de sociétés étrangères, mais pour la fille de Peyo, la question d’un éventuel rachat ne se pose même pas.
“Je suis née à 15 jours d’intervalle des Schtroumpfs, ils font partie de mon histoire et je suis très heureuse qu’ils évoluent toujours dans la même famille belge, répond Véronique Culliford. D’ailleurs, je suis très fière que l’avant-première mondiale du nouveau film se déroule à Bruxelles, pour justement faire passer ce message de belgitude au monde entier. Je trouve que nous, les Belges, sommes toujours beaucoup trop modestes. Il n’est donc pas question de vendre l’affaire à qui que ce soit. Pour moi, la notion de transmission est essentielle et c’est la raison pour laquelle mon fils Nicolas m’accompagne au quotidien, depuis plusieurs mois déjà, pour s’adapter au mieux à la future gestion l’entreprise qui restera familiale.”
“Il n’est pas question de vendre l’affaire à qui que ce soit. Pour moi, la notion de transmission est essentielle.” – Véronique Culliford, CEO et fille de Peyo
Passionnée, la CEO de Peyo Company ne songe pas encore à la retraite pour autant. La perspective d’autres réjouissances bleutées pour les 70 ans des Schtroumpfs semble déjà l’occuper, d’autant plus qu’un partenariat spectaculaire se met déjà en place – scoop ! – avec l’Atomium pour cette grande fête d’anniversaire. Nous serons alors en 2028 et peut-être que, cette année-là, Rihanna reviendra ?
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