Qualité, souplesse et secteurs de niche: la R&D wallonne séduit le Japon

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La troisième économie mondiale, réputée pour ses technologies de pointe, est une terre de business pour les PME wallonnes. Appréciées pour leur souplesse, nos entreprises ont clairement une carte à jouer dans ce pays en quête perpétuelle de produits et de solutions innovantes.

Pas de standing ovation ce soir-là pour l’Orchestre philarmonique royal de Liège. Ceci s’expliquant par l’attitude réservée des Japonais. Mais l’enthousiasme du public présent en ce début juillet au Suntory Hall à Tokyo n’en était pas moins palpable. La formation dirigée par Christian Arming, qui donnait son dernier concert en tant que directeur musical de l’OPRL, a enchanté avec son interprétation de la Symphonie n°1 de Brahms. ” Impressionnant. Mes clients japonais ont apprécié la soirée et sont ravis d’y avoir été conviés “, confie un chef d’entreprise wallon à la sortie du concert.

Les Belges furent nombreux à féliciter Daniel Weissmann, directeur général de l’orchestre liégeois, pour cet excellent final. Parmi eux, l’ambassadeur en place à Tokyo, Gunther Sleeuwagen, une dizaine de CEO wallons ainsi que des représentants du monde académique francophone, parmi lesquels le recteur de l’ULB, Yvon Englert, et plusieurs membres d’une délégation de l’ULiège emmenée par le vice-premier recteur Jean Winand. Car la WBI (Wallonie-Bruxelles International) et l’Awex (Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers) avaient saisi l’occasion de la tournée internationale de l’OPRL au Japon pour y greffer une mission culturelle et économique. Un moment opportun pour faire rayonner l’image de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région wallonne. Et dans la foulée, de permettre aux entreprises wallonnes de renforcer les liens avec leurs partenaires japonais.

Inspirer confiance

” L’objectif était de monter une mission à 360° qui couvre tous les aspects de notre coopération avec le Japon, qu’ils soient économiques, technologiques, institutionnels, académiques mais aussi, bien sûr, culturels “, confie Pascale Delcomminette, CEO de l’Awex et directrice de la WBI, aussi présente au Suntory Hall. Un moyen efficace de montrer qu’il existe plusieurs portes d’entrée pour se faire connaître et reconnaître au Japon. De l’aveu des différents participants à la mission, ce type d’action fonctionne particulièrement bien au pays du Soleil levant, où business rime avec relation de confiance et engagement dans le long terme.

” Le Japon est un marché qui demande énormément de présence, confirme Philippe Mack, CEO de Pepite, spin-off de l’ULiège spécialisée dans la maintenance prédictive et le développement d’outils d’analyse avancés pour l’optimisation des processus industriels. Il faut du temps pour qu’une société japonaise s’ouvre à une petite entreprise. Il faut instaurer la confiance. Ce type de mission est idéal pour cela. L’Awex est doublée avec l’ambassade ( ses bureaux japonais y sont installés, à côté de ceux de Flanders Investment and Trade et de Bruxelles Invest et Export, Ndlr), ce qui est un label de qualité pour les Japonais. Une mission qui allie également l’aspect culturel est un gage de confiance. ”

La présence et le relationnel, voilà la motivation principale des participants à cette mission asiatique, la plupart d’entre eux ayant déjà établi des contacts sur place ou mis en place des partenariats, tandis que d’autres, tels qu’AGC Glass Europe (ex-Glaverbel) ou JTEKT Torsen Europe (équipementier automobile), sont passés en mains japonaises. ” Comme souvent dans ce genre de missions, quand on est déjà dans le pays, on ne sait pas très bien si on approfondit des contacts ou si on est juste là pour quelques réunions ou pour de nouer de nouvelles relations. Ici, ce sera un peu des trois “, explique Jean-François Nivart, CEO d’Image Matters, qui réalise 30% de son chiffre d’affaires au Japon.

Concert de l'OPRL au Suntory Hall, à Tokyo. L'Awex a profité de la tournée internationale de l'orchestre liégeois au Japon pour y organiser une mission économique.
Concert de l’OPRL au Suntory Hall, à Tokyo. L’Awex a profité de la tournée internationale de l’orchestre liégeois au Japon pour y organiser une mission économique.© Laurent Boutefeu

Un focus numérique

Mission pluridisciplinaire donc, mais aussi mission plurisectorielle (automation, agroalimentaire, numérique) avec un important focus sur les technologies digitales. ” Le choix de la thématique a porté sur l’évolution numérique, poursuit Pascale Delcomminette. Les data sont devenues une source de valeur. Nous voulons sensibiliser les Japonais à nos savoir-faire et qu’ils prennent davantage en considération la complémentarité avec les technologies développées en Wallonie afin qu’ils puissent repousser leurs limites technologiques. ”

Ce pays de haute technologie est un marché important pour nos PME. Ces 10 dernières, près de 1,5 milliard d’euros de partenariats financiers et commerciaux ont pu être établis entre entreprises wallonnes et japonaises. Bien que le Japon ait subi gravement la crise en 2009 et malgré les risques de récession, les exportations wallonnes vers cette destination n’ont cessé de croître depuis 2010. L’an dernier, elles ont progressé de 16,7%. Ainsi, le Japon s’inscrit comme le deuxième pays d’exportation en Asie, après la Chine. Les principaux secteurs exportateurs sont l’automobile, la chimie, l’agroalimentaire, la pharma et les sciences du vivant, mais aussi le numérique. ” La pharma et le secteur du vivant représentent 25% de nos exportations, précise la responsable de l’Awex. La volonté est de passer ce virus positif à d’autres secteurs déjà bien engagés à l’export et de les aider à renforcer leur approche dans l’international. ” Le numérique est un de ceux-là.

“Wallonia inside”

” Une des spécificités des entreprises wallonnes est qu’elles performent dans des secteurs de niche et de pointe, poursuit Pascale Delcomminette. Il y a beaucoup de Wallonia inside. Nombreux sont les produits que l’on n’identifie pas comme belges ou wallons mais dans lesquels il y a des produits wallons. En termes de qualité, ce sont des produits qui sont vraiment appréciés par les partenaires et qui souffrent moins de la concurrence. ” Notamment dans l’automobile et l’audiovisuel. Dans ce secteur, les Japonais brillent par leur avance. Alors que leurs recherches en matière de télévision 3D sont bien avancées et que ce média du futur prendra place dans les demeures nippones autour de 2030, les Japonais ont déjà commencé à déployer et commercialiser la résolution 8K. Un standard qui ne devrait pas émerger en Europe avant 10 ou 15 ans. ” C’est le délai qui a existé tant au niveau de la HD que de la 4K. Le Japon a commencé à développer de la HD au début des années 1990 et la 4K milieu des années 2000. L’Europe, de son côté, passe difficilement à la HD et embraye avec la 4K seulement maintenant “, explique Jean-François Nivart qui a rencontré à Tokyo des responsables de la NHK, le groupe audiovisuel public japonais. Sa société, qui conçoit et commercialise des solutions de traitement d’images destinées à la vidéo en très haute définition, a ici une belle carte à jouer.

La NHK a fait appel à Intopix, une de nos pépites wallonnes, afin de développer un standard JPEG 8K.
La NHK a fait appel à Intopix, une de nos pépites wallonnes, afin de développer un standard JPEG 8K.© Gettyimages

Du sur-mesure

On est encore loin d’envisager la 8K chez nous. Mais la NHK a l’intention de diffuser les Jeux olympiques de Tokyo de 2020 en 8K sur une chaîne dédiée accessible par satellite. Pour ce faire, le géant japonais a demandé à Intopix, une de nos pépites wallonnes, spin-off de l’UCLouvain, de développer un standard JPEG 8K. Car la R&D wallonne intéresse fortement les Japonais. ” Ils ont bien compris, bien que le pays soit traditionnellement un pays de haute technologie, que le contexte mondial actuel ne permettait plus de faire de la recherche et de l’innovation tout seuls, et que, de toute évidence, ils ont intérêt à aller chercher des technologies existantes ailleurs “, affirme Pascale Delcomminette.

” Certaines entreprises japonaises manquent parfois de la souplesse dont nos PME sont capables, poursuit-elle. Nos entreprises proposent du sur-mesure dans des secteurs de niche, ce que les grandes entreprises ne font plus. ” Intopix est la parfaite illustration de cette souplesse wallonne. Créée en 2006 et présente au Japon depuis quasiment ses débuts, la société de Mont-Saint-Guibert est spécialisée dans la compression d’images JPeG 2000, le cryptage de contenu et l’intégration hardware. Ses outils permettent de gérer de très hauts débits de flux de données. Son épopée japonaise débute en 2007, quand Sony décide de travailler en 4K mais ne parvient pas à mettre au point une puce adaptée à la taille du projecteur qu’il souhaite commercialiser. ” En un an, nous, petite start-up wallonne, avons développé cette puce pour le géant japonais et Sony a pu lancer son projecteur en 4K, sourit Kathy Van Mele, director of business development chez Intopix. Cette collaboration a donné un coup d’accélérateur à notre développement. ” En 2013, la société met au point la technologie Tico, un codec léger adapté à la très haute définition (UHD TV, ou 4K) qui est adopté dans la foulée par la NHK. ” Cette fois, nous sommes ici pour négocier de nouveaux contrats avec nos clients existants et développer de nouveaux contacts “, précise François-Pierre Clouet, ingénieur venu présenter aux Japonais le JPEG XS, nouveau standard que développe actuellement Intopix.

Lien entreprise-université

” La Wallonie dispose d’un atout qui rassure les partenaires japonais, à savoir son tissu universitaire, de recherche et d’innovation très connecté à nos entreprises “, confirme Pascale Delcomminette. Cette proximité universitaire, la société guibertine en bénéficie. Elle qui réinvestit directement ses profits – son business model est basé sur un système de royalties – dans la R&D. Sur les 30 personnes que compte Intopix (25 en Belgique et 5 en dehors de nos frontières), une quinzaine se consacrent exclusivement à la recherche et développement. D’autres spin-off telles qu’Open Engineering, spécialisée dans le prototypage virtuel et la simulation prédictive de problèmes couplés, ou Pepite, qui développe des logiciels d’aide à l’optimisation de procédés de production, rencontrent aussi leur succès au Japon. Rattachées à l’ULiège, elles sont toutes deux venues au Japon pour rencontrer leurs partenaires établis.

Start-up à l’international

Qui dit thématique numérique, dit également start-up. Et elles étaient bien sûr, elles aussi, du voyage. Comme Depthen, société montoise qui venait d’être fondée juridiquement deux jours à peine avant le départ au Japon de son CEO. Un déplacement précipité ? Loin s’en faut… ” Il est important de prospecter directement à l’international “, fait remarquer Stéphane Dupont. Spécialisée dans l’enrichissement d’images via l’intelligence artificielle (IA), sa société propose des API ( application programming interfaces) et des services IA. ” Nous disposons d’une plateforme multilingue et proposons un contenu descriptif dans plusieurs langues, explique le jeune entrepreneur. Nous créons des modules sur mesure pour le client. Nos process nous permettent d’aller très vite et de proposer un produit fini adapté aux besoins du client en une semaine à peine. ”

” Les jeunes start-up du numérique doivent nécessairement inscrire l’international dans leur ADN et leur stratégie dès le départ, confirme Pascale Delcomminette. Ce type d’entreprise ne peut pas se permettre de travailler uniquement sur son développement en Belgique mais doit tout de suite doit être impactante et concurrentielle à l’extérieur de nos frontières. ” Ce sont des secteurs dans lesquels on ne peut pas survivre avec le seul marché belge. ” Ces entreprises s’en rendent compte et nous sommes là pour insuffler ce déclic international dès le départ “, conclut l’administratrice générale de l’Awex.

Par Anne-Sophie Chevalier.

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