La gare Centrale deviendra-t-elle l’endroit le plus digital de Belgique ?

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Start-up, programmes de formation, événements… Chaque jour entre 200 et 250 personnes grimpent dans les étages de la gare Centrale où le numérique est devenu le credo du développement. L’espace BeCentral lancé l’année passée comme réponse aux défis du digital pour tous continue son développement et attire le gratin de la techno belge.

Depuis début mars, Laurent Hublet, ancien conseiller du ministre Alexander De Croo pour les questions numériques, enfourche chaque matin son vélo pour rejoindre la gare Centrale. Il ne part pas quotidiennement en voyage, mais rejoint son nouveau lieu de travail. Il est, en effet, le nouveau managing director de BeCentral, un espace bruxellois dédié à l’éducation des Belges aux nouvelles technologies. Un endroit où se mêlent start-up, projets de formations et événements liés au numérique. L’initiative, annoncée en février de l’année passée et inaugurée au mois d’octobre 2017, fait de plus en plus parler d’elle. Pas plus tard que la semaine passée, il est apparu dans la presse quotidienne que Google pourrait y installer une Digital Skills Academy. Ce serait en tout cas en discussion. L’occasion d’aller voir ce qui se passe à la gare Centrale.

L’idée est de rendre le numérique accessible et visible afin de prendre par la main l’ensemble de la population belge.

Quand on pousse la porte vitrée du numéro 10 au Cantersteen, il est difficile d’imaginer que ce vieux bâtiment abrite une ambiance start-up. Même si pendant quelque six mois, le lieu a été rénové, il affiche toujours les marques du passé : l’espace de 2.000 m2 sur deux étages au-dessus de la gare Centrale appartient toujours à la SNCB. ” Nous avons aménagé le lieu en tenant compte de son histoire et nous voulons refaire apparaître le travail de Victor Horta dans ce lieu iconique “, souligne d’emblée Laurent Hublet. Et de fait, sur les 1.400 m2 aménagés (soit la moitié des espaces disponibles loués ” au prix du marché ” par BeCentral à la SNCB), on trouve quelques salles où le parquet a été rénové et où l’on retrouve les destinations d’antan comme des salles de cours, etc. Au gré des couloirs, on trouve à la fois des espaces partagés avec des bureaux individuels, des bureaux particuliers, des salles de cours et des endroits communs pour prendre un café ou manger. Comme n’importe quel espace de coworking ou n’importe quel incubateur ? Laurent Hublet s’en défend. La différence ? La philosophie : ” Notre spécificité consiste à être un lieu d’éducation au digital, insiste Laurent Hublet. L’essentiel des projets ici sont liés à l’apprentissage, mais nous voulons intégrer cette dynamique dans un écosystème entrepreneurial “. Ce qui explique qu’un certain nombre de start-up viennent s’installer à BeCentral où, chaque jour, entre 200 et 250 personnes se côtoient.

La gare Centrale deviendra-t-elle l'endroit le plus digital de Belgique ?
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Numérique accessible à tous

Derrière cette initiative dotée d’un budget de 800.000 euros, on retrouve pas moins de 28 figures en vue dans l’écosystème de la tech belge, francophones et flamands ( lire l’encadré ” Le rôle des 28 cofondateurs ” plus bas). Tous se sont engouffrés dans la dynamique ” Digital Minds ” initiée par le cabinet d’Alexander De Croo. Constatant qu’un nombre important de Belges restent encore et toujours à l’écart de la révolution technologique, l’idée est de rendre le numérique accessible et visible afin de prendre par la main l’ensemble de la population belge. Concrètement, cette philosophie de départ se traduit par un lieu (une ” plateforme “) situé gare Centrale et ouvert à tout un écosystème qui stimule le numérique made in Belgium. BeCentral repose sur trois grandes dimensions qui doivent coexister et, idéalement, s’alimenter les unes les autres.

La première dimension qui rapproche BeCentral d’autres espaces start-up s’adresse aux entrepreneurs. Il s’agit d’en attirer certains par la location d’espaces de bureaux. C’est ce qui a attiré des jeunes pousses comme Listminut, Sortlist, Faqbot, etc. ” Le point fort, c’est la localisation, commente Nicolas Finet cofondateur de la start-up Sortlist. Là-bas, on est dans une position hyper centrale qui permet à nos employés de Flandre ou de Wallonie de nous rejoindre facilement. Et puis, ce qui nous a également séduits, c’est la proximité des écoles de codage qui nous permettra de créer des ponts pour trouver des employés ou des stagiaires “. Au niveau des prix, les espaces proposés chez BeCentral sont assez compétitifs et ” en ligne avec le marché “, nous glisse-t-on. Mais le nouveau boss de BeCentral réagit d’emblée : ” Les start-up ne viennent pas s’installer chez BeCentral comme de simples locataires, mais bien pour participer à la philosophie du projet. En général, leur stratégie est alignée sur ce que nous cherchons à faire “.

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S’initier au numérique à 6 ans

Deuxième dimension, moins terre-à-terre et plus en lien avec la philosophie du lieu : les projets qui sont en phase avec l’utilisation et le développement de la technologie à des fins sociétales. La start-up Citizenlab active de la civic tech (technologie pour les citoyens) côtoie ainsi Dalberg, spin-off de Real Impact Analytics, projet lié à l’utilisation des données pour le bien-être collectif. Sans oublier l’ open data et le volet réglementaire que Laurent Hublet affectionne.

Enfin, la troisième dimension est évidemment celle la plus en lien avec la philosophie du projet : le learning hub. La spécificité même de BeCentral est le coeur de sa raison d’être : la plateforme accueille en effet une série d’initiatives liées à la formation et l’apprentissage pour les tout jeunes et les moins jeunes. Au rez-de-chaussée, on retrouve ainsi différents projets destinés aux enfants : CodeFever, CoderDojo ou encore CodeNPlay. Ce dernier, par exemple, a pour but d’apprendre aux 6-12 ans les bases du codage grâce à la technique du jeu. A l’étage, BeCentral accueille également une série d’initiatives d’apprentissage. D’abord, BeCode une formation en horaire de jour, à vocation sociale, pour apprendre les technologies numériques. Entièrement gratuit, ce cycle de formation inspiré des méthodologies de l’école française Simplon est financé grâce au soutien du Digital Skills Fund et à des partenariats avec des entreprises privées (Orange, Telenet, Degroof Petercam, 4Wings, etc.). BeCode a accueilli sa première classe en avril de l’année passée à la gare Centrale et pendant sept mois a formé quelque 25 élèves. Cette année, BeCode compte une centaine d’élèves répartis dans quatre classes.

Starter, codeurs, etc.

La gare Centrale deviendra-t-elle l'endroit le plus digital de Belgique ?
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D’autres initiatives d’éducation viennent s’ajouter à BeCode. Ainsi, Le Wagon initialement situé à Co.Station à quelques centaines de mètre de la gare Centrale dispense certaines activités chez BeCentral également. Plus spécialisée que BeCode, la formation de neuf semaines du Wagon permet à ses élèves de devenir de véritables codeurs web : programmation ruby, architecture logicielle, bases de données, SQL, front-end sont quelques-uns des apprentissages enseignés au Wagon. Moins technologique, mais très orientée start-up, la formation BeStarter niche également au sein de BeCentral. En six semaines, les participants de ce programme gratuit intensif apprennent à lancer leur boîte : étude de marché, développement du produit, marketing, etc. S’ajoutent une série d’événements, de conférences et de soirées thématiques.

Tout cela combiné doit ” rendre le digital tangible et accessible à tous, insiste Sébastien Deletaille, l’un des cofondateurs de BeCentral et par ailleurs CEO de la start-up Riaktr (ex-Real Impact Analytics). On veut arriver à toucher et sensibiliser un maximum de gens à l’importance des nouvelles technologies, ce n’est pas pour rien que BeCentral s’est installée gare Centrale : il y passe 60.000 personnes par jour et c’est un lieu où l’on peut multiplier les actions pour sensibiliser les Belges sur le sujet “. Sans compter que si les différents responsables de BeCentral n’avancent pas encore de plan concret, ils nourrissent l’idée de déployer le modèle BeCentral dans d’autres lieux en Belgique : pourquoi pas Charleroi ou d’autres villes en Wallonie, comme en Flandre. Et la SNCB disposerait de locaux disponibles en divers endroits en Belgique.

Jusqu’à 10.000 personnes inspirées

Laurent Hublet,
Laurent Hublet, “managing director” de BeCentral: “L’essentiel des projets ici sont liés à l’apprentissage, mais nous voulons intégrer cette dynamique dans un écosystème entrepreneurial.”© PG

Mais derrière la philosophie de l’initiative présentée comme figure de proue du numérique pour tous, comment mesurer l’impact réel de cet écosystème, du foisonnement start-up et de la multiplication des projets d’éducation numérique ? Car, les chiffres liés au fossé numérique interpellent. Selon le Service de lutte contre la pauvreté qui se base sur l’enquête TIC, 10 % de la population belge âgée entre 16 et 74 ans n’a jamais utilisé un ordinateur et 11 % n’a jamais navigué sur Internet… Et de préciser que le pourcentage de la population qui n’a jamais employé un ordinateur est un peu plus élevé en Wallonie (12%) que dans le reste du pays (10 % en Flandre et 9 % à Bruxelles). BeCentral s’inscrit évidemment dans la démarche visant à résorber la fracture numérique. Et Laurent Hublet tient des comptes : ” pour le moment, on peut avancer le nombre de 4.000 personnes formées et inspirées dans BeCentral, depuis le lancement du projet “. Cela concerne bien sûr l’ensemble des activités organisées chez ici : de la formation d’une journée aux programmes plus longs en passant par les soirées d’information, selon une répartition de l’ordre de 125 personnes par programme de six mois, 500 personnes pour des programmes d’une semaine à deux mois et le reste pour des activités de moins d’une semaine. Ces 4.000 personnes ne sont qu’un début : l’ancien conseiller d’Alexander De Croo entend faire monter ce chiffre à 10.000 pour la première année d’existence de BeCentral.

Le rôle des 28 cofondateurs

L’un des points singuliers de l’initiative BeCentral réside, évidemment, dans l’implication de 28 personnes en vue dans l’univers de la tech belge. Vingt-huit cofondateurs qui ont chacun, à titre privé, investi des montants plus ou moins symboliques pour la mise en place du projet, aujourd’hui organisé en ” société anonyme à finalité sociale “. Parmi la liste des 28, on retrouve par exemple Xavier Damman (ex-Storify), Karen Boers (Startups.be), Sébastien Deletaille (Real Impact Analytics/Riaktr), Bart Becks (Angel.me), Thierry Geerts (Google), Philippe Van Ophem (myShopi)… ou encore Peter Hinssen, Saskia Van Uffelen (Ericsson Belux), Frank Maene (du fonds Volta Venture), Omar Mohout (Sirris) ou le ministre Alexander De Croo lui-même. Chacun s’y investit visiblement en fonction de son agenda et du temps disponible. Mais en tout cas, tous jouent la carte du réseau et des connexions.

Derrière les différents projets logés chez BeCentral, on trouve à leur tête l’un ou l’autre fondateur. C’est le cas d’initiatives résidentes comme le Wagon (Anne Colet), BeCode et Startups.be (Karen Boers), Dalberg (Sébastien Deletaille)… Mais aussi des événements qui s’y organisent : Peter Hinssen a proposé, au sein de BeCentral, des séances d’inspiration, Xavier Damman y fait du coaching et Frank Maene de Volta Venture des sessions de pitching. Quant au président du Conseil, Omar Mouhout, il ” essaie d’y passer une journée par semaine, avance-t-il. Il s’agit de l’un des trois rares campus digitaux en Belgique à côté de DigitYser à Bruxelles et de Corda Campus à Hasselt. Je suis convaincu que ce modèle peut faire une différence dans notre pays. Il en faudrait d’ailleurs plus “. Impliqué à la Solvay Business School of Economics and Management, il crée également des ponts avec BeCentral. Quant à Google que l’on retrouve au sein la plateforme via Thierry Geerts, il pourrait également y avoir une implication. Le géant de la recherche pourrait lancer chez BeCentral un programme de formation intitulé ” Google Digital Skills Academy “. Il n’y a pas à dire : la gare Centrale devient de plus en plus une gare digitale…

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