Le goût de l’inaccessible

Sur l'île de Jura, il y a une seule route, un seul (hôtel avec) bar, une seule distillerie. Ci-dessus : Willie Cochrane, directeur de la distillerie Jura. © Jura

Après 39 ans de bons et loyaux services, une légende de l’industrie écossaise du whisky a décidé de partir à la retraite: de simple opérateur de cuves, Willie Cochrane a su se hisser au poste de directeur de la distillerie Jura. L’illustre maison de whisky lui dédie un single malt exclusif, One For The Road, que Trends Style a pu goûter.

A la sortie du ferry qui relie Port Askaig sur Islay et Feolin sur Jura – une île plus petite encore (11 km de large et 48 km de long) située à une soixantaine de kilomètres de la côte occidentale de l’Ecosse, l’Histoire est au rendez-vous. C’est là que, au 11e siècle après JC – peut-être même plus tôt -, des moines irlandais se sont installés après avoir bravé les flots tempétueux et le ressac des côtes rocheuses pour convertir les habitants au christianisme. Ils avaient dans leur baluchon un crucifix ainsi qu’un petit alambic qui servait à préparer une sorte d’ancêtre du whisky – une boisson alors appelée uisge beatha, expression gaélique pour aquavit ou eau source de vie, qui donnera plus tard le mot ” whisky “.

Les moines avaient dans leur baluchon un crucifix et un petit alambic qui leur permettait de préparer une sorte d’ ancêtre du whisky.

Un vent piquant d’ouest fouette les longues herbes vert sombre de la côte rocheuse. De gros nuages gris s’amoncellent au-dessus des collines. Quelques gouttes de pluie tombent au sol. C’est ici que l’illustre romancier George Orwell a mis la dernière main à son chef-d’oeuvre 1984. Pour lui, l’île de Jura était ” l’endroit le plus inaccessible du monde “. C’est aussi l’endroit dont la femme de Willie Cochrane est tombée amoureuse lorsqu’elle a découvert en 1977 les collines et la vallée de Craighouse. Peut-être a-t-elle aperçu un troupeau de cerfs à l’horizon au soleil couchant. Une chose est sûre: c’est là que le sort de Willie Cochrane s’est scellé. Le petit mécanicien automobile de Glasgow allait passer près de 49 ans de sa vie à fabriquer du whisky sur ce minuscule îlot des Hébrides. Tout cela parce qu’il avait voulu vendre une vieille voiture à un lointain cousin. ” Je ne savais même pas où se trouvait Jura. Mais je me suis dit que cette petite virée me ferait le plus grand bien. Après avoir déposé la voiture, je suis allé au bar pour boire un verre avec les locaux. J’ai rencontré le directeur de la distillerie qui savait qui j’étais et ce que je venais faire sur l’île. Il m’a proposé un job. J’ai répondu: ” I don’t mind so mate, I’m a townie! “. Mais le week-end suivant, il nous faisait venir ma femme et moi en avion à Islay. Il est venu nous chercher à l’aéroport. Je ne pouvais pas refuser son offre. C’est la meilleure décision que j’ai prise dans ma vie. “

UNE HISTOIRE DE VIKINGS

Les compétences en mécanique de Willie Cochrane ont été une aubaine pour la distillerie éloignée de tout, où les opérateurs des cuves et les distillateurs (still men) ne pouvaient compter que sur eux-mêmes en cas de problème sur la ligne de production.

Il n’est pas facile de se procurer les ingrédients de base indispensables à la fabrication du whisky – les céréales et la levure – acheminés sur l’île par le ferry qui repart avec le produit fini dans ses cales. Aujourd’hui encore, il faut plusieurs semaines pour acheminer à Jura une pièce pour réparer une cuve ou un tonneau. Willie Cochrane: ” Lorsque je suis arrivé, j’ai débuté au bas de l’échelle. Je récurais les sols, nettoyais les machines… Mais le processus de fabri-cation me passionnait tellement que j’ai rapidement gravi les échelons. Mon talent de bricoleur était très apprécié dans la distillerie. Il n’y a pas un écrou, pas un boulon que je n’aie vissé ou dévissé durant ces 39 années “.

Willie Cochrane, le directeur de la distillerie Jura.
Willie Cochrane, le directeur de la distillerie Jura.© Jura

Bien sûr, une ligne régulière de ferry entre l’île de Jura et le Royaume-Uni faciliterait considérablement les choses ” mais ce ne serait plus Jura “. L’homme a débuté comme opérateur de cuves et distillateur avant d’être promu brasseur/ingénieur et, au bout de 30 ans de bons et loyaux services, directeur de la distillerie – le plus haut des échelons.

Dans les années 1970-80, le single malt n’intéressait pas grand-monde – ” tout le monde buvait du blended whisky ” – mais, dans les années 1990, un revirement a eu lieu. ” En 1995, les visiteurs ont commencé à affluer, désireux de visiter la distillerie. Leur nombre a augmenté de façon exponentielle si bien que, en 1999, il a été décidé de créer un centre de visiteurs. “

Aujourd’hui, Jura accueille chaque année des milliers d’amateurs de single malt. Au fil du temps, Willie Cochrane s’est forgé une réputation d’ambassadeur parmi les plus accueillants et les plus pittoresques du whisky écossais. Sur la plate-forme Internet, un fan de whisky canadien raconte sa première rencontre avec lui: ” Nous sommes arrivés sur place trop tôt, nous errions autour de la distillerie quand soudain, il a surgi derrière nous. Saisi, il s’est écrié: “Crivvens, j’ai cru que les Vikings étaient de retour!” “

L’AIR MARIN, PUR ET CHARGÉ DE SEL

Les hauts alambics de Jura.
Les hauts alambics de Jura.© Jura

Willie Cochrane s’est dévoué corps et âme pour la maison Jura qui doit une bonne partie de son succès actuel à cet homme modeste et enjoué. La distillerie est célèbre pour la diversité de son assortiment – du léger et délicat Origin (10 ans) au riche et corpulent Diurach’s Own (16 ans) en passant par le Superstition, légèrement tourbé, et le Prophecy fortement tourbé. ” Cette diversité est due à la grande taille de nos alambics. Il y en a pour tous les goûts chez Jura. N’importe quelle distillerie peut produire de l’alcool mais c’est l’affinage qui fait toute la qualité d’un bon whisky. A ce titre, une bonne aération est également nécessaire. L’île est connue pour son air pur chargé de sel et la distillerie est ventilée en permanence par une brise marine Du fait de l’évaporation – la part des anges, une partie de l’alcool s’évacue. L’espace ainsi libéré est occupé par l’air marin et cela se goûte dans nos whiskys. “

La part des anges – l’évaporation qui fait en sorte qu’une partie de l’alcool s’évacue – est un élément essentiel.

Jura rend aujourd’hui un digne hommage à la longue carrière de Willie Cochrane par une édition limitée nommée ” One For The Road ” en guise de cadeau d’adieu. Ce whisky de 22 ans d’âge a mûri durant treize années en fûts en chêne américain avant d’être affiné en fûts de pinot noir durant neuf années supplémentaires – une finition vineuse qui fait la richesse et la complexité du fameux spiritueux. Selon la distillerie, la cuvée One For The Road se vend excellemment bien. Willie Cochrane: ” J’espère pouvoir me procurer quelques bouteilles. Tout le monde m’en demande, y compris les gars du ferry. J’en ai raflé dix au centre des visiteurs pour qu’ils puissant le goûter. Ce dont je suis le plus fier dans ma carrière est précisément le fait que ces hommes des quais aient renoncé aux whiskys d’Islay pour ne plus boire que du Jura “.

www.jurawhisky.com

TEKST DIETER MOEYAERT

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