Mikael Petitjean

Soyons polyglottes: Coronavirus en chinois ne veut pas dire Lehman en anglais

Mikael Petitjean Professeur (IESEG & UCLouvain) et Chief Economist (Waterloo Asset Management)

La “Chinisation” de l’économie mondiale est un fait indéniable. La Chine joue aujourd’hui un rôle beaucoup plus important qu’en 2003 lorsque le SRAS l’avait frappée. La part de la Chine dans le PIB mondial en dollars est aujourd’hui proche de 16%, soit 4 fois plus élevée qu’en 2003 ; sa contribution à la production manufacturière mondiale a triplé et atteint désormais 31% ; le poids qu’elle représente dans les dépenses touristiques mondiales est passé de 3% en 2003 à 18% aujourd’hui.

La Chine est au centre de la chaîne de valeur dans le secteur automobile. Elle domine la production de textile et celle des composants électroniques. 70% des smartphones sont produits en Chine contre 80% des jouets. Dans le secteur pharmaceutiques, 90% de la pénicilline, 60% du Doliprane, ou 50% de l’Ibruprofen y sont produits. Quand la Chine tousse, l’économie mondiale attrape désormais la grippe. Sans surprise, les conséquences sur la croissance mondiale seront plus fortes qu’en 2003 de telle sorte que la baisse de la croissance mondiale attendue en 2020 devrait être plus proche de 50 points de base que de 10.

La réaction des marchés fut particulièrement vive la semaine dernière, même s’il faut bien reconnaître qu’ils avaient balayé d’un revers de la main les premiers signes de propagation du virus. L’indice de la peur, que l’on appelle le “VIX” dans le jargon, a dépassé le seuil des 45%. Il n’avait jamais dépassé ce niveau depuis le début des années 1990, sauf durant la crise de 2008. Le S&P500 a également réalisé un exploit : depuis sa création, il n’avait jamais baissé de plus de 10% en 6 jours. Quant à l’indice du “Dow Jones Industrial Average”, il a chuté de plus de 12%, soit la plus forte baisse hebdomadaire depuis début octobre 2008, en pleine crise financière, semaine durant laquelle il avait chuté de 18%.

Ces statistiques sont incontestables, tout comme il est incontestable que le Coronavirus et la crise financière de 2008, dont la faillite de la banque Lehman Brothers avait constitué le paroxysme, ne sont pas comparables sur le plan économique. L’incertitude était beaucoup plus grande en 2008, année durant laquelle le secteur bancaire avait littéralement explosé. Au lendemain du 15 septembre 2008, personne ne pouvait prédire quelles allaient être les banques capables de trouver les liquidités suffisantes pour survivre au choc. Le Coronavirus n’est pas un virus qui ébranlera le système capitaliste.

D’après les dernières estimations de l’OMS, le Coronavirus n’est pas significativement plus contagieux que le SARS. La rougeole l’est environ 6 fois plus. Quant au taux de mortalité du Coronavirus, il est proche de 2%, soit 5 fois moins élevé que le SARS. Sa progression a néanmoins surpris tout le monde car elle fut beaucoup plus rapide durant les 25 premiers jours que celle enregistrée par l’épidémie du SARS en 2003. Là se situe le plus gros échec de la Chine sur les plans sanitaire et économique. La construction en urgence d’hôpitaux masque mal les conditions d’hygiène douteuses qui prévalent dans les banlieues de ces gigantesques métropoles ; les Chinois ont également continué à voyager trop longtemps.

Il subsiste que, sur base logarithmique, le Coronavirus enregistre désormais une progression marginalement décroissante, contrairement à la pandémie du H1N1 qui avait continué d’enregistrer une croissance exponentielle pendant plusieurs mois et causé plus de 250.000 morts. Au stade actuel, il y a peu de pays à risque : la Chine, la Corée du Sud, l’Iran, et le Japon. Mais le Coronavirus nous fait peur car il frappe à notre porte. Dans ces circonstances, la psychologie joue souvent un rôle plus important que les fondamentaux économiques.

D’ici la fin mars, la situation en Chine devrait revenir à la normale. 22 des 26 boutiques que possède Hermès en Chine sont désormais ouvertes. C’est également le cas pour la trentaine d’usines de Valéo. Quant à Safran, elle évoque le retour au travail de plus de 75% de ses effectifs.

La croissance économique chinoise en 2020 sera sans doute plus proche des 5% que des 6% attendu ; dans le même temps, les autorités chinoises réactivent leurs plans de relance qu’elles avaient mis en place lorsque les tensions commerciales étaient fortes. En 2019, l’assouplissement budgétaire a représenté environ 2% du PIB et la Banque Centrale a abaissé les réserves obligatoires de 2p%. Si le soutien politique se poursuit durant la seconde moitié de 2020, voire au-delà, la reprise cyclique post-épidémique pourrait conduire la Chine à jouer le rôle de moteur de croissance durant le reste de l’année, surtout si le prix du baril de pétrole reste bas. Dans le cas contraire, l’impact sur des économies comme la France pourrait se traduire par une chute de la croissance attendue plus proche de 40 points de base que de 10. Ce serait un trimestre perdu. En réalité, ce n’est plus l’évolution de l’épidémie en Chine qu’il faut scruter avant tout. La dernière véritable incertitude est de savoir dans quelle mesure les Etats-Unis seront affectés. Si la progression n’est pas exponentielle, cette crise sanitaire ne se transformera pas en pandémie.

Il y a un enjeu stratégique plus fondamental. L’ampleur des conséquences de la propagation du Coronavirus doit conduire l’Europe à une prise de conscience de sa dépendance à la production chinoise. Sanofi réfléchit déjà à réimplanter en Europe des sites de production de principes actifs. Cette épidémie est une occasion d’approfondir notre réflexion sur les équilibres de la mondialisation et l’autonomie de nos leviers de croissance.

Si le mouvement de déglobalisation doit se poursuivre et conduire à un rapprochement encore plus prononcé des lieux de consommation et de production, ce ne seront pas nécessairement les entreprises qui en subiront les conséquences les plus désagréables ; certes, elles pourraient subir une hausse des coûts mais elles tenteront de maintenir leur marge en répercutant cette hausse en partie dans les prix. Cette inflation structurelle plus forte, on l’attend depuis plus de 10 ans. Il ne faudrait pas non plus qu’elle se manifeste trop vite car la faiblesse des taux reste la meilleure alliée des marchés boursiers.

Mikael PETITJEAN, Chief Economist (Waterloo Asset Management), Professeur de finance (IESEG & Louvain School of Management).

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