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“Tout le monde est d’accord de baisser l’ISOC. Et pourtant, on n’y parvient pas”
Plus le temps passe et plus la réforme de l’impôt des sociétés devient une forme de caricature de ces sommets d’absurdité que peut parfois atteindre le fonctionnement politique de notre pays. Tenez-vous bien : les quatre partis de la coalition fédérale semblent incapables de prendre une décision avec laquelle ils sont pourtant tous d’accord !
Et ce n’est pas l’opposition qui les ennuie, sur le coup elle est même aussi très largement demandeuse d’une diminution du taux facial de l’Isoc pour le ramener dans la moyenne européenne. Non, le problème, ce sont les monnaies d’échanges politiciennes. Et oui, pour avoir le droit de prendre une mesure avec laquelle tout le monde est d’accord, il faut d’abord offrir une compensation à l’un ou l’autre partenaire…
Ce travers de la politique belge avait déjà été mis en exergue il y a une quinzaine d’années par le professeur de sociologie des organisations Alain Eraly (ULB), dans Le pouvoir enchaîné, un passionnant ouvrage basé notamment sur son expérience de chef de cabinet d’Hervé Hasquin, alors président du gouvernement bruxellois. Manifestement, nos dirigeants – à supposer qu’ils aient lu le livre – n’en ont pas tiré les leçons qui s’imposaient.
Ce dysfonctionnement provient, entre autres, de la profonde méfiance entre les partis. Au sein d’une coalition, on raisonne en silos et rarement en équipe. En l’occurrence, le CD&V redoute que l’aura d’une réforme ambitieuse de l’impôt des sociétés rejaillisse uniquement sur le seul ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA), initiateur du projet il y a plus d’un an maintenant. Alors, il veut la coupler à d’autres mesures moins populaires au sein de l’électorat nationaliste, à savoir une taxation des plus-values. Ce que, bien entendu, refuse la N-VA.
Qui gagnera le bras de fer ? A priori pas l’économie belge, en tout cas. Le baromètre EY de l’attractivité de la Belgique auprès des investisseurs internationaux a été publié récemment. Il indique un tassement de notre pays, au regard de ses proches voisins. La première explication avancée reste le taux élevé de la fiscalité sur les bénéfices des entreprises (devant les lacunes en matière d’innovation et les difficultés de mobilité). Un taux qui risque de devenir rédhibitoire si le Royaume-Uni et la France concrétisent les diminutions annoncées chez elles.
Il y a donc urgence. Et c’est peut-être ce qui explique le besoin soudain du président du CD&V Wouter Beke de rappeler ce que son parti dit depuis le début mais que personne ne semblait entendre jusqu’ici : le CD&V exige de ” l’équité fiscale “, ce qui ne veut pas nécessairement dire une taxation des plus-values. Il est prêt à analyser les contre-propositions de ses partenaires. A eux, maintenant, de sortir du bois, s’ils veulent effectivement débloquer le dossier de la réforme de l’Isoc. Cela pourrait se concrétiser dans les prochaines semaines lors du conseil des ministres entièrement consacré à l’économie et à la digitalisation. En espérant que la discussion sur ” la compensation ” n’occulte pas celle sur la réforme en elle-même. Celle-ci ne se limite en effet pas à une baisse de taux, même si cet élément peut avoir un impact psychologique fort sur le climat d’investissement. Une réforme bien pensée de l’impôt des sociétés doit envisager les niches fiscales à préserver ou non, les types d’investissements ou d’entreprises à éventuellement favoriser sur le plan fiscal, le sort des entreprises digitales aux activités peu localisables, etc. Cela mérite bien d’oublier durant quelques heures la culture des ” compensations politiciennes “.
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