Sur le Rhin, le transport fluvial chargé au tiers pour ne pas risquer de racler le fond

Le Rhin.

Depuis l’écluse de Gambsheim, dans l’est de la France, où transitent chaque année 20 millions de tonnes de marchandises, Vincent Steimer contemple une péniche néerlandaise chargée seulement au tiers de sa capacité pour ne pas risquer de racler le fond du Rhin.

Reflet du manque de pluie depuis avril, “cet étiage (l’abaissement naturel d’un cours d’eau) commence tôt dans l’année, alors que le fleuve peut de moins en moins compter sur la fonte printanière des neiges alpines pour se renouveler”, souligne le directeur des unités territoriales de Voies navigables de France (VNF).

Au Centre d’alerte rhénan, véritable tour de contrôle de la navigation, les débits mesurés en divers endroits s’alignent sur des écrans et sont deux fois inférieurs à la normale, à 500 mètres cube/seconde en moyenne, des valeurs habituellement observées en automne.

Pourtant, les vastes écluses continuent de remplir leur rôle d’ascenseurs à bateau, en assurant toujours au moins trois mètres de fond. “On arrive à gérer car on est dans la partie canalisée du Rhin”, précise Céline Ohresser, responsable adjointe du service développement chez VNF, devant l’ouvrage monumental au double sas de 24 mètres de large et 270 mètres de long.

Les difficultés de navigation sont en aval, comme au bac de Seltz, qui relie la ville française de Seltz à l’Allemande Plittersdorf, à une dizaine de kilomètres plus au nord, où des langues caillouteuses strient le cours du Rhin et des pieux métalliques, normalement immergés, dévoilent leurs dehors rouillés.

Troisième autoroute

L’image se répète souvent là où le fleuve a libre cours. De quoi inciter les capitaines de bateaux marchands à la prudence, comme Chantal de Boeck, capitaine du Zunga, une péniche flamande rutilante, qui transporte à peine 950 tonnes de cellulose sur les 4.000 qu’elle peut normalement supporter.

“On pense qu’on va perdre du travail, c’est pas bon pour les chargeurs qui paient le prix fort”, s’inquiète la quinquagénaire depuis le pont du bateau, même si la demande post-Covid soutient pour l’instant le trafic. “Certains réfléchissent à d’autres solutions, comme le train ou la route”.

Colonne vertébrale de l’Europe de l’Ouest, le Rhin serpente sur 1.233 kilomètres le long de la frontière franco-allemande puis à travers l’Allemagne, avant de se jeter dans la mer du Nord.

Avec 50 à 70 passages par jour, il n’y a pas encore de baisse de fréquentation à Gambsheim. “Sans le Rhin, on serait sans doute obligé de construire une troisième autoroute dans le bassin rhénan“, rappelle Mme Ohresser, pour qui les difficultés actuelles ne remettent pas en cause le transport fluvial.

“C’est un mode de transport résilient économiquement car il permet de massifier tout au long de l’année. On avait retrouvé les mêmes tonnages après 2018, les clients étaient revenus”, alors que cette année-là, l’étiage avait duré plus de 100 jours.

En attendant, les difficultés d’acheminement s’accumulent. En Suisse, où le Rhin prend sa source, l’approvisionnement compliqué par voie fluviale a décidé Berne à puiser dans ses réserves de produits pétroliers jusqu’à la rentrée au moins. Les stocks obligatoires ont été réduits de 6,5%, a annoncé la semaine dernière l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE).

Même problème en Allemagne, où la sécheresse risque de compliquer encore les stratégies de substitution au gaz russe par le charbon, avant l’hiver: environ un tiers de cette ressource est convoyé sur le Rhin, selon la banque d’investissement Berenberg.

Alors que l’Institut fédéral d’hydrologie prédit un étiage qui continuera à baisser en août, le lobby industriel BDI vient d’enjoindre au gouvernement Scholz d’adopter un “plan de résilience” aux crises pour les périodes sèches à venir, avec des investissements dans des navires adaptés aux basses eaux.

Autre option face à la crise: jouer sur les stocks, en attendant une voie d’eau plus porteuse ou un transport plus compétitif. A Strasbourg, deuxième port fluvial de France après Paris, où 35.000 conteneurs transitent chaque mois, la mosaïque de caisses métalliques reste en moyenne désormais près de cinq jours à quai contre 48 heures habituellement.

“Chargeurs et stockeurs choisissent les modes de transport les plus adaptés à la période”, note Claire Merlin, directrice générale du port de Strasbourg, qui dispose d’un terminal relié au train. “L’enjeu pour nous c’est de développer le transport ferroviaire plutôt que de mettre des boîtes sur la route”, résume-t-elle.

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