Quand les moindres désirs d’Engie Electrabel sont exaucés

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Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Pour Engie, un gros contrat est le meilleur moyen de laisser au gouvernement les mauvaises surprises liées à une explosion éventuelle de coûts du démantèlement des centrales nucléaires belges.

La semaine dernière, le gouvernement fédéral a signé un chèque en blanc à Engie Electrabel, le principal exploitant des centrales nucléaires belges. En échange de la prolongation de l’exploitation des centrales nucléaires de Doel 4 et Tihange 3, le gouvernement est disposé à plafonner la facture du démantèlement des centrales et du stockage géologique des déchets nucléaires. Si le prix de revient est supérieur à un montant restant à régler, c’est le gouvernement – et donc le contribuable belge – qui le paiera. Or, la chance est réelle que cela soit le cas. En matière nucléaire, la facture se compte en milliards et dépasse rapidement le budget initialement prévu. Cette faveur accordée à Engie est également en contradiction avec le principe du “pollueur-payeur”, que l’Europe impose aux exploitants de centrales nucléaires.

Facture

En plafonnant la facture maximale, le gouvernement s’assure de mettre Engie à sa botte. Depuis un certain temps déjà l’incertitude autour de la facture du passif nucléaire fait grogner Paris. Des craintes qui sont loin d’être infondées puisque le gouvernement belge retarde sans cesse la décision concernant la manière dont il souhaite voir stockés, de manière permanente, ces déchets. Ce flou transforme le calcul déjà difficile de la facture finale en une véritable séance de divination.

L’entreprise veut se débarrasser de ce risque et renvoie à l’accord conclu par les exploitants des centrales nucléaires allemandes. Le gouvernement allemand y a repris les engagements nucléaires à des conditions assez favorables pour les producteurs. Le gouvernement allemand couvre ainsi le risque que l’élimination coûte plus cher que prévu. Il y a de fortes chances qu’Engie Electrabel obtienne un accord similaire ou même meilleur. Et cela serait aller un pont trop loin. Le gouvernement peut et doit fournir à Engie plus de clarté sur la facture finale, mais le risque de coûts supplémentaires doit rester à la charge des opérateurs. Si elle fait des concessions sur ce point, la Belgique paiera un prix beaucoup trop élevé pour le renforcement nécessaire de son approvisionnement énergétique. Pour une telle concession, la Belgique pourrait demander de garder plus de centrales nucléaires ouvertes plus longtemps, et plus longtemps que dix ans.

C’est d’autant plus regrettable qu’une telle situation aurait pu être évitée. Jusqu’à il y a deux ans, Engie Electrabel partait du principe que les centrales nucléaires les plus jeunes seraient prolongées pour une plus longue période, sans que le gouvernement ne s’y oppose. Le gouvernement Michel, et les gouvernements qui l’ont précédé ont manqué là l’occasion de prolonger l’exploitation des centrales nucléaires à des conditions favorables.

Depuis que le gouvernement De Croo a confirmé la loi de sortie du nucléaire la situation a changé et les rapports de force se sont inversés. D’autant plus que, depuis, l’énergie nucléaire ne s’inscrit plus dans la stratégie d’Engie qui s’oriente désormais vers des activités moins risquées telles que les énergies renouvelables et l’exploitation de réseaux énergétiques. Ce changement de cap a posé les bases d’une position nettement plus confortable pour la compagnie lors des négociations, surtout en sachant que la Belgique aurait probablement encore besoin des centrales nucléaires.

Maintenant que la Belgique doit effectivement aller à toquer à la porte Engie Electrabel, Paris peut fixer les conditions. Et ce, même si la France peut faire bon usage de l’énergie nucléaire belge, étant donné les problèmes actuels des centrales nucléaires françaises. La Belgique paie ainsi au prix fort ses années de manque de vision et de retard dans l’approvisionnement énergétique.

Nouvelle loi

D’autant plus que ce prix peut encore augmenter. La semaine dernière, une loi qui assure une meilleure protection de la provision servant à financer le passif nucléaire a été publiée au Moniteur belge. Jusqu’à récemment, Synatom, société de provision nucléaire et la filiale d’Engie qui gère ce pot d’épargne, était autorisée à prêter 70 % des provisions déjà constituées à Engie Electrabel. Les spécialistes décrivent ce prêt comme un crédit de caisse à Engie Electrabel, sans garantie. La nouvelle loi impose à Engie Electrabel de rembourser intégralement ces prêts d’ici à 2030. La Nuclear Utilities Commission se voit également conférer le pouvoir d’empêcher Engie Electrabel de devenir une coquille vide.

Aujourd’hui, il n’est pas clair dans quelle mesure cette loi sera maintenue. La nouvelle loi prévoyait également, par exemple, que les exploitants resteraient responsables des coûts supplémentaires liés au démantèlement des installations et à l’élimination des déchets. Mais on ne trouve nulle trace de ce passage lors de la publication vendredi dernier au Moniteur belge.

La déclaration d’intention entre Engie et le gouvernement comporte d’autres points faibles. Qui, par exemple, interviendra si la provision ne rapporte pas un rendement suffisant pour équilibrer le financement ? Ce risque d’investissement sera couvert par le gouvernement ou Engie Electrabel ? Et à quel prix les centrales nucléaires seront-elles transférées à la nouvelle société ? Quelle sera la rémunération d’Engie Electrabel en tant qu’exploitant des centrales nucléaires ? Pour Engie, un gros contrat est le meilleur moyen de laisser une grande partie des risques au gouvernement. Ces détails ont donc tout intérêt à être réglés en faveur du gouvernement.

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