Quand le climat s’impose dans les assemblées générales des grandes entreprises
Engagez-vous… sur le climat! Longtemps cantonnées à des discussions de coulisses, les préoccupations environnementales ont, sous la pression croissante d’investisseurs notamment activistes, de plus en plus droit de cité dans les assemblées générales, poussant les entreprises elles-mêmes à prendre les devants.
Sur le modèle du “say on pay”, le “say on climate”, proposé par plusieurs entreprises européennes de premier plan cette année, consiste à soumettre au vote consultatif de ses actionnaires sa politique de réduction des émissions carbone.
“Clairement, le climat est un risque systémique pour les économies, et donc il est important que les actionnaires puissent avoir une bonne connaissance des stratégies de transition des entreprises et puissent s’exprimer sur cela”, analyse auprès de l’AFP Caroline Le Meaux, du gestionnaire géant d’actifs Amundi.
“Enfin, on montre que le climat est devenu une thématique structurelle et indispensable à débattre au moment de l’AG”, abonde Aurélie Baudhuin, chez Meeschaert AM.
Lancée par le fonds activiste du milliardaire britannique Christopher Hohn, The Children’s Investment Fund Management (TCI), et popularisée par sa fondation du même nom (CIFF), cette initiative a reçu le soutien de nombre de gestionnaires d’actifs et investisseurs institutionnels, en quête d’une plus grande transparence et de références communes sur la problématique climatique.
D’autant plus dans des pays, comme la France, où le dépôt d’une résolution sur le climat relève d’un véritable parcours du combattant, contrairement aux pays anglo-saxons où il est plus aisé, mais reste très minoritaire.
– Parcours du combattant –
“Par rapport au nombre de résolutions sur lesquelles nous votons, il y a très peu de résolutions d’actionnaires qui ont trait au climat”, rappelle Mme Le Meaux, qui précise que le phénomène s’amplifie néanmoins.
Environ la moitié des 43 résolutions liées au climat pour 2021 et 2022 ont été déposées par des actionnaires en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et au Japon, selon Catherine Salmon, chez ISS.
Pour pouvoir déposer une résolution d’actionnaires en France, il faut détenir au moins 0,5% du capital de l’entreprise, avant de passer sous les fourches caudines du conseil d’administration, seul à même de décider si la résolution relève bien de la compétence de l’assemblée générale et peut être inscrite à son ordre du jour. Ce qui est très rare dès lors que le sujet est considéré comme touchant de trop près à la stratégie de l’entreprise.
En France, la première date de l’an dernier, à l’AG de Total, note Mme Baudhuin, qui a piloté la coalition d’investisseurs à l’origine du dépôt de cette résolution externe contraignante, car passant par une modification des statuts du groupe, qui a reçu 16,7% de votes favorables.
Elle demandait au géant pétrolier d’intégrer, dans son rapport annuel, sa stratégie “d’alignement avec l’Accord de Paris”, soit la limitation du réchauffement climatique nettement en dessous de 2°C d’ici la fin du siècle, en prenant en compte dans ses objectifs de réduction “toutes les émissions de CO2 directes et indirectes”, précise-t-elle.
Plutôt que de se voir imposer une nouvelle résolution, le géant pétrolier français a, cette année, décidé de reprendre la main en soumettant à l’approbation de ses actionnaires sa stratégie climatique, tout comme Vinci, Atos, Nestlé ou encore Glencore et Shell.
Total entend “atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050”, précise le conseil d’administration dans son rapport publié en amont de l’AG du 28 mai.
– Vers un “say on climate” récurrent ? –
Vinci avait été “un peu pris de court” l’année dernière par la requête de TCI Fund Management qui lui a demandé mi-mars “d’inscrire des résolutions sur les questions environnementales” à l’AG de début avril, explique à l’AFP Isabelle Spiegel, directrice de l’environnement du géant français des BTP.
Cette année, “on s’est dit qu’au moment où on lance notre ambition environnementale, il faut vraiment qu’on prenne les devants”.
Reste à savoir quelle forme doit prendre ce “say on climate”.
Mme Le Meaux, d’Amundi, appelle à des résolutions davantage “normalisées” afin de mieux comparer les entreprises entre elles.
En octobre, plus d’une centaine d’investisseurs internationaux, dont Amundi, ont demandé aux entreprises d’adopter le format standardisé par la Science Based Targets Initative (SBTi), qui inclut l’ONU et des ONG de référence dont WWF.
Une approche collaborative plutôt qu’antagoniste à laquelle ont tout intérêt les entreprises, face au resserrement attendu des réglementations et la hausse probable des prix du carbone, l’Europe, les Etats-Unis et de nombreux pays visant la neutralité carbone en 2050.
– La donnée, “nerf de la guerre” –
Les gestionnaires de fonds et leurs clients ne sont pas épargnés: “on a un besoin de visibilité de la part des émetteurs pour que les investisseurs institutionnels puissent eux-mêmes répondre à leurs obligations réglementaires”, souligne Gilles Moëc, d’Axa IM.
Aussi, plus on aura d’informations de la part des entreprises “sur leur trajectoire de décarbonation”, “plus ce sera facile de construire des portefeuilles” et in fine “d’offrir aux épargnants des produits qui soient fiables”, observe l’expert, pour qui la donnée est vraiment “le nerf de la guerre”.
“Une entreprise qui ne prend pas le virage environnemental aujourd’hui est une entreprise qui risque d’être à côté de son marché” face à une demande croissante pour des produits verts, juge Alexis Masse, le président du Forum pour l’investissement responsable (FIR), promoteur de l’initiative “say on climate” en France.
Cette dernière ne fait toutefois pas l’unanimité.
“Certains fonds de pension américains considèrent que la stratégie climat est du ressort du conseil d’administration et non de l’AG des investisseurs. S’ils ne sont pas d’accord avec la stratégie climat de la société, ils privilégient le vote contre le management”, explique Marie-Sybille Connan, chez Allianz Global Investors.
En outre, le “say on climate” ne peut s’appliquer dans certains pays, notamment en Allemagne. Quant à l’Asie, selon elle, la pratique reste rare.
Or “l’enjeu climatique est global et mettre la pression sur certaines entreprises dans certains pays et non sur l’ensemble ne permettra pas de résoudre le problème critique du réchauffement climatique”, estime-t-elle.
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