Pourquoi la dette américaine inquiète à nouveau

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Démocrates et républicains sont incapables de s’entendre sur un plan de réduction de la dette américaine qui vient d’atteindre 15.000 milliards de dollars. Les raisons et les conséquences de ce blocage.

La crise de la dette en Europe a presque fait oublier que les Etats-Unis rencontrent eux-aussi de grandes difficultés sur leur dette. Les bourses européennes ont clôturé en forte baisse ce jeudi. Paris (-3,4%, sous les 2.900 points), Francfort (-3,5%), et Londres (-2,6%) ont lourdement chuté dans le sillage de Wall Street qui perdait plus de 2% en fin d’après-midi. Les démocrates et les républicains devaient s’entendre sur un plan d’économies de 1.200 milliards d’euros sur dix ans pour contenir leur énorme dette. Mais après deux mois de négociations, ils étaient encore loin d’un accord à quelques heures de la fin des négociations prévue lundi soir.

Le Congrès avait en effet mis sur pied une commission chargée de décider d’un plan de réduction de la dette. Formée de douze élus du Congrès – six républicains et six démocrates -, la “super-commission” avait pour but de soulager une dette abyssale qui vient de dépasser les 15.000 milliards de dollars (vous pouvez la voir évoluer en temps réel sur le site www.usdebtclock.org). Les six démocrates ont proposé un plan de 2.900 milliards comprenant 1.300 milliards de hausses d’impôts, les six républicains ont quant à eux opté pour un plan de 2.200 milliards d’euros avec “seulement” 200 milliards de hausses d’impôts. Sans jamais parvenir à un consensus.

Pourquoi un tel blocage ?

Ce blocage intervient à moins d’un an des élections présidentielles, prévues en novembre 2012. “On est complètement rentré dans le débat politique en vue de 2012, surtout avec l’aile droite du parti républicain qui a pris beaucoup de pouvoir dans le parti”, estime Christine Rifflart, économiste à l’OFCE. “Et les républicains ont tout intérêt à jouer la fermeté vis-à-vis de Barack Obama pour dire qu’il est hors de question de laisser filer les déficits”.

Car ce sont bien ces républicains qui ont bloqué le processus. “Ils ont maintenu leur ligne de conduite dans les négociations et ont été très inflexibles sur la question des revenus”, explique Thomas Julien, économiste chez Natixis. Les démocrates ont bien tenté une conciliation en proposant une baisse des dépenses supplémentaire sur le programme de santé Medicaid, mais la concession a été jugée insuffisante par le camp adverse. Et même la proposition républicaine d’augmentation des impôts était en fait très limitée. “La hausse de 200 milliards était en fait basée sur des prévisions de croissance qui auraient amené mécaniquement à une hausse des recettes fiscales de cet ordre là”, decrypte Thomas Julien.

Malgré l’échec des négociations, les deux partis vont dorénavant chercher à en tirer les bénéfices, analyse Richard Cowan, correspondant de Reuters à Washington. “Les démocrates diront que c’est une preuve de plus que les républicains veulent épargner les riches du fardeau de la dette, et les républicains diront que les démocrates ont encore échoué à prendre en main les coûts de plus en plus élevés que représente la santé dans le pays”.

Que va-t-il arriver maintenant ?
Le Congrès avait retenu l’éventualité d’un désaccord entre les deux partis. C’est donc un plan d’économies de 1.200 milliards d’euros qui va s’appliquer. Dans le détail, la moitié des coupes sera concentrée sur l’ensemble des dépenses de l’Etat. Les programmes sociaux, le salaire des fonctionnaires, le programme de santé Medicaid, les dépenses d’infrastructures et d’investissement seront notamment touchés. “Au lieu d’y aller de manière consensuelle, on va couper à la hache dans les programmes sociaux. Cela va être assez violent pour les Etats et les municipalités”, craint Christine Rifflart. La seconde moitié du plan portera sur les dépenses militaires, un choix déjà jugé inacceptable par le secrétaire à la Défense. Léon Panetta estime que “des coupes de cette magnitude seraient dévastatrices” pour le budget de la Défense.

Un nouveau danger pour la note des Etats-Unis ?

Lors de la dégradation du triple A américain par Standard and Poor’s en août, l’agence de notation avait pointé le blocage politique entre démocrates et républicains sur le plafond de la dette. Elle pourrait mettre à nouveau la pression sur les Etats-Unis, estime Christine Rifflart. “Surtout qu’elle avait ajouté une perspective négative à sa dégradation. On peut tout à fait penser que l’agence puisse durcir le ton en menaçant d’une nouvelle dégradation”.

Cela dit, il serait surprenant que l’agence dégrade à nouveau les Etats-Unis. “Dans la mesure où Standard and Poor’s anticipait ce blocage dès le mois d’aout, qu’il y a un plan de secours prévu en cas de désaccord entre les deux partis, et que la croissance aux Etats-Unis n’a pas été catastrophique au troisième trimestre, elle pourrait ne pas passer à l’acte”, estime l’économiste. De plus, les Etats-Unis restent très épargnés par la panique des marchés et représentent toujours une valeur refuge à l’heure où la zone euro est très chahutée. Les taux d’intérêt sur la dette américaine restent à des niveaux très bas (2% sur la dette à dix ans) malgré la perte de son triple A.

Ali Bekhtaoui

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