Pétrole: le torchon brûle entre les producteurs de l’Opep+
Les 23 membres de l’Opep+, qui s’étaient quittés vendredi sur un constat de désaccord, vont tenter lundi de débloquer l’impasse et de trouver un accord sur leur production d’or noir à partir d’août.
Parviendront-ils à calmer la grogne des Emirats, pressés d’augmenter leur production, qui ont dénoncé dimanche un projet d’accord “injuste”? Voilà la principale question du sommet ministériel, qui doit reprendre par visioconférence à 13H00 GMT (15H00 à Paris et à Vienne, au siège du cartel), entre les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs dix alliés. Un plan est sur la table: celui d’augmenter chaque mois la production de pétrole de 400.000 barils par jour entre août et décembre, soit un total de 2 millions de barils quotidiens remis sur le marché d’ici la fin de l’année.
Cette stratégie s’inscrit dans ce qui a fait la force de la politique du cartel depuis le mois de mai: rouvrir petit à petit le robinet d’or noir après l’avoir serré de manière très forte au début de la pandémie face à une demande moribonde. Avec un certain succès au niveau des prix, du point de vue des vendeurs: les deux références du pétrole brut, le Brent et le WTI, oscillent aux alentours de 75 dollars, une hausse impressionnante de 50% depuis le 1er janvier, et du jamais vu depuis octobre 2018. Si un consensus a semblé se dessiner sur cette proposition, c’est en revanche une extension de l’accord jusqu’à fin 2022 qui coince.
Demande d’équité
L’alliance Opep+ s’était engagée en avril 2020, au moment où la première vague de Covid-19 frappait durement la demande d’or noir, à retirer volontairement du marché 9,7 millions de barils par jour puis à les réintroduire progressivement d’ici à la fin du mois d’avril 2022. Mais cette échéance paraît désormais courte au rythme actuel de réouverture des vannes, plusieurs fois ralenti devant les soubresauts de la crise sanitaire: l’alliance laisse encore sous terre ce mois-ci 5,8 millions de barils chaque jour.
D’où un étalement envisagé jusqu’à décembre 2022, une option qui inquiète Abou Dhabi. “Les Emirats sont prêts à prolonger l’accord si nécessaire mais demandent que les volumes de production de référence soient revus (à la hausse) afin de s’assurer qu’il soit équitable”, a souligné dimanche le ministre l’Energie des Emirats Souheil al-Mazrouei, cité par l’agence WAM. Ce seuil arrêté à la date d’octobre 2018 correspond pour les Emirats à 3,17 millions de barils par jour. Il ne reflète effectivement pas la pleine capacité de production du pays, qui est montée à plus de 3,8 millions de barils par jour en avril 2020, à la veille des coupes drastiques du cartel.
Voie étroite
C’est cette divergence qui a fait capoter le premier cycle de réunions du cartel jeudi dernier, puis de nouveau le lendemain, au sein d’un groupe davantage habitué aux prises de bec entre les deux poids lourds, la Russie et l’Arabie saoudite. “C’est tout le groupe contre un seul pays”, a réagi le ministre saoudien Abdelaziz ben Salmane interrogé par Bloomberg TV, tout en appelant dans une autre interview, sur la chaîne Al-Arabiya, à “un peu de rationalité et un peu de compromis” avant la réunion de lundi. “La perspective d’une absence d’accord, voire d’une sortie des Emirats de l’Opep, s’est considérablement accrue”, a averti dans une note Helima Croft, analyste de RBC, tant il semble difficile pour l’alliance d’accorder ce passe-droit sans ouvrir une boîte de Pandore.
L’analyste de Seb, Bjarne Schieldrop, esquissait lundi deux scénarios: une forte hausse des prix si, faute d’accord, le groupe décidait de prolonger les coupes actuelles ou au contraire une chute si chacun devenait libre d’augmenter sa production, sans plus aucun quota. En attendant, le marché ne s’affolait pas: les cours du brut étaient proches de l’équilibre en début de séance européenne. L’Opep+ fait de surcroît face à une équation complexe, entre une reprise bien réelle de la demande mais qui reste fragile, un retour probable à moyen terme des exportations iraniennes et des prix élevés qui provoquent le mécontentement de certains gros importateurs comme l’Inde. L’alliance est toutefois habituée au roulis. Elle a notamment su dépasser en début d’année dernière un désaccord profond entre Moscou et Ryad qui avait débouché sur une courte mais intense guerre des prix.