Le Royaume-Uni, entre l’esclavage et le chaos

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L’accord sur le Brexit, conclu avec l’Europe et avalisé dans la douleur par le gouvernement de Theresa May, réduit tellement le rôle de la nation britannique qu’il a provoqué un vaste chaos politique. Et les incertitudes sont plus grandes que jamais.

Après des mois d’intenses négociations avec la Commission européenne, Theresa May, Première ministre britannique, avait bouclé la semaine dernière un accord qui devait déboucher sur une sortie douce et ordonnée du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Mais la réception de ce texte a été telle que l’incertitude quant à la manière dont le pays divorcera de l’Union européenne est plus grande que jamais. Certes, le gouvernement britannique a, le 14 novembre dernier, avalisé le texte, après cinq heures de discussions dramatiques. Pour emporter la conviction, il a fallu que le ministre de la Santé Matt Hancock avoue qu’en cas de Brexit dur, il ne pourrait assurer l’approvisionnement de médicaments et garantir que personne ne trépasserait dans ce chaos.

Cet accord obtenu à l’arraché a toutefois été mis à mal quelques heures plus tard, avec la démission de quatre ministres et secrétaires d’Etat. Parmi eux, Dominic Raab, le ministre chargé du Brexit, et Shailesh Vara, responsable de l’Irlande du Nord. Ils ont expliqué notamment ne pas ” pouvoir soutenir ” les termes de ce texte. Cinq ministres eurosceptiques sont restés au sein du gouvernement, mais avec la ferme intention de jouer de leur position au sein du gouvernement pour amender le document.

Le texte avalisé fait du Royaume-Uni un simple vassal de l’Union européenne.

Mais que contiennent ces 585 pages qui doivent acter le divorce entre Londres et Bruxelles et qui suscitent tant de réactions ? Beaucoup d’éléments, mais surtout un panel de mesures qui doivent garantir, après le Brexit, la poursuite des échanges sans obstacles entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni. Une thématique devenue cruciale au cours des négociations, alors qu’elle n’avait jamais été abordée lors de la campagne pour le référendum. Pour garantir la fluidité des échanges et l’absence de frontière en ” dur ” entre l’Irlande du Nord et l’Eire, le Royaume-Uni a ainsi accepté de rester dans l’union douanière avec l’Union européenne le temps de négocier les nouveaux traités commerciaux. Cette période de transition durera deux ans, mais pourra être prolongée une fois. Et si les négociations de cette union douanière, de temporaire, devenaient définitives ? Et si l’Irlande du Nord, partie du Royaume-Uni, ne sortait pas de l’Union, devrait-elle continuer à respecter scrupuleusement les règles européennes comme avant ? Les inquiétudes sont grandes. Terrible pour les tenants du Brexit : le pays restera sous la juridiction de la Cour européenne de justice pendant cette période de transition qui se terminera le 31 décembre 2020, voire 2021, voire encore, comme l’a suggéré Michel Barnier, le négociateur en chef de la Commission européenne, 2022. Imbuvable pour les Brexiters : pendant cette période, le Royaume-Uni devra s’acquitter de sa facture à l’égard de l’Union comme avant, cela représente pour le pays une dépense de 40 milliards de livres sterling au minimum, sinon plus en cas de prolongation de la période de transition.

Ce qui a été conclu la semaine dernière n’est que le début d’un long processus de reconstruction après divorce. Le projet d’accord est en effet très précis en ce qui concerne la période de transition et les sujets les plus sensibles, comme le sort des citoyens de l’Union au Royaume-Uni et des citoyens britanniques dans l’Union, la facture que le Royaume-Uni devra payer ainsi que la frontière irlandaise. Mais il est très vague sur le futur des relations entre Britanniques et Européens, des relations qui doivent être redéfinies par de nouveaux traités sur le commerce, la défense, la sécurité, la coopération technologique, etc.

Tout est à rebâtir

On comprend donc la colère des Brexiters, mais aussi des Remainers (ceux qui ont voté pour le maintien dans l’Union) : ils voient leur pays passer de membre à part entière de l’Union à simple état vassal, toujours tenu de suivre les décisions de la Cour européenne de Justice sur les matières les plus importantes, toujours tenu de contribuer au budget, mais n’ayant plus aucune voix au chapitre. ” Aucun pays démocratique n’a jamais accepté d’être lié par un régime aussi large, imposé de l’extérieur, sans contrôle démocratique sur les lois qui seront appliquées “, s’insurge Dominic Raab, le ministre démissionnaire en charge du Brexit. L’ancien ministre des Affaires étrangères Boris Johnson, féroce partisan du Brexit, estime que le texte fait de son pays un simple vassal de l’Union européenne. Et l’alternative à cela, c’est le chaos et la possibilité que des Britanniques meurent parce qu’ils ne pourraient plus être soignés convenablement, car le Brexit doit être acté pour le 19 mars prochain. Un délai qui rend illusoire la négociation d’un nouveau traité, voire la tenue d’un autre référendum que de toute façon la majeure partie de la classe politique britannique rejette aujourd’hui.

Pour Theresa May, qui s’arc-boute et tient ses positions, les jours qui viennent sont ceux de tous les dangers. L’accord qui a été conclu doit encore franchir bien des obstacles avant de devenir réalité. Il doit être approuvé par les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 Etats membres restants, qui devraient se réunir en sommet dans quelques jours, le 25 novembre. Il doit passer par le Parlement européen. Mais l’obstacle le plus dangereux est sans doute celui du Parlement britannique, qui devra se prononcer dans le courant du mois de décembre, à moins que les opposants à Theresa May ne réussissent à faire voter une motion de défiance à l’encontre de la Première ministre. Si cela devait être le cas, on repartirait de la case départ…

Le Royaume-Uni, entre l'esclavage et le chaos

Boule de démolition

Inutile de dire que l’on suit tout cela de très près dans les chancelleries européennes, et plus spécialement chez nous. Car comme le rappelle l’assureur-crédit Atradius, ” la Belgique pourrait être, après le Royaume-Uni et l’Irlande, la troisième économie la plus lourdement touchée dans le cas d’un Brexit dur, qui conduirait à une baisse de 0,3 % du PIB belge ( voir le graphique ci-contre), ce qui se traduirait pour notre pays par une perte de plus de 1,3 milliard d’euros “.

Christophe Cherry, responsable pour la Belgique et le Luxembourg chez Atradius, appelle donc de ses voeux la poursuite de l’Union douanière entre Londres et le Continent. ” Si l’on suit l’accord, la perspective d’une union douanière au moins jusque 2021 est rassurante, dit-il. Car un Brexit dur serait une mauvaise nouvelle, tout d’abord pour les entreprises britanniques. L’économie du pays souffre déjà. Nous le remarquons dans l’augmentation du nombre de faillites (spécialement dans le commerce de détail et le secteur de la construction) et l’augmentation des demandes pour l’assurance-crédit. ”

Et Christophe Cherry d’ajouter : ” Nous sommes étonnés du manque de préparation des entreprises britanniques par rapport à l’éventualité d’un Brexit dur. Un tel événement constituerait une difficulté majeure pour nos exportateurs et pour l’économie européenne. Un Brexit dur n’aurait pas trop d’impact en 2019, car l’économie européenne devrait bénéficier dans cette hypothèse d’une série de reports d’investissements sur le continent, qui auraient dû se faire au Royaume-Uni. Mais 2020 constituerait pour l’économie européenne une année très difficile car elle devrait alors affronter tous les effets néfastes d’une sortie non ordonnée du Royaume-Uni. ”

Les employeurs britanniques soutiennent eux aussi à bout de bras ce projet d’accord : ” Nous essayons d’atteindre un accord qui respecte les résultats du référendum et minimise les dommages pour notre économie “, souligne John Allan, le patron de la chaîne de supermarchés Tesco et le porte-parole du patronat britannique. Cet accord, surtout, évite de devoir affronter cette ” boule de démolition ” que constituerait l’absence de deal, ajoute-t-il.

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