Le blues des chauffeurs routiers britanniques
“Je suis divorcé, et malheureusement, c’est à peu près la norme pour les routiers”, raconte Dean Arney, chauffeur de camion depuis près de 40 ans, qui souffre comme d’autres de conditions de travail pénibles au moment où le Royaume-Uni fait face à une pénurie de conducteurs
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“Mon fils m’a posé des questions sur le métier, il pensait prendre la route à son tour. Je lui ai conseillé de ne pas le faire“, ajoute ce Britannique, perché dans sa cabine depuis l’arrêt routier d’Ashford, point de passage entre Londres et l’Eurotunnel. Il décrit des conditions de travail dures, une vie de famille difficile, et des salaires encore insuffisants. “Les chauffeurs ont dû supporter des salaires bas, des locaux vétustes, les vols fréquents des cargaisons…”, commente Steven Evans, ancien chauffeur, patron d’une entreprise de transport à Liverpool et qui a dû reprendre lui-même la route – face aux pénuries – pour rendre service à un ami.
Pour certains vétérans britanniques d’un métier où l’âge moyen approche 58 ans, ce choc du marché, qui se traduit par des pénuries de biens et d’essence à travers le Royaume-Uni, pourrait presque être une bonne nouvelle et générer une revalorisation des salaires. Selon Steven Evans, les patrons tentent aujourd’hui à tout prix de séduire les conducteurs pour les convaincre d’accepter des semaines de six jours et des journées qui durent jusqu’à 15 heures. “Normalement, je payais mes chauffeurs 1.000 livres (environ 1.200 euros) par semaine, c’est monté à 1.400 livres (1.650 euros)”, estime-t-il.
Dean Arney dépeint une situation moins rose: il se dit moins payé aujourd’hui que dans les années 1990. En habitué des voyages en Europe, il se montre très sévère avec les infrastructures britanniques, comme la plupart de ses collègues.
– Porte arrachée, repas chers –
“Les parkings nous font payer pour passer la nuit, et le matin, vous vous réveillez avec votre porte coulissante arrachée, votre cargaison et votre essence volée. Et les gérants ne veulent rien savoir”, raconte-t-il. “Cela peut arriver en Europe mais c’est un vrai problème ici”. Autre raison de préférer le continent: “En France, vous pouvez vous payer un repas complet, entrée-plat-dessert, pour 10 ou 11 euros“.
Au Royaume-Uni, il faut débourser entre 7 et 10 livres (8 à 12 euros) pour seulement “les classiques : des lasagnes et des frites, ou une tourte à la viande”, compare Steven Abbott, chauffeur lui aussi. À 35 ans, M. Abbott choisit de faire des trajets courts, qui lui permettent de rentrer chez lui chaque soir. “J’ai déjà vu des douches dans des arrêts où l’eau dégouline, il faut la récupérer à deux mains pour s’éclabousser, on ne peut pas faire ça cinq nuits sur sept”, décrit-il encore.
Plusieurs entreprises lui ont proposé des contrats mieux rémunérés où il passerait la majorité des nuits sur la route, “je gagnerais 10.000 livres de plus par an, mais je ne verrais pas mes enfants grandir”, résume-t-il.
Face au manque de routiers, le gouvernement britannique multiplie dernièrement les initiatives, proposant des milliers de visas temporaires, faisant intervenir l’armée et assouplissant des réglementations. Mais pour l’instant, seules 27 demandes de permis de travail pour transporteurs d’essence ont été déposées.
“Cette mesure, bien que positive, est prise tardivement et sans attrait clair car elle semble très temporaire et aussi parce que les conducteurs non britanniques ont de bonnes opportunités hors du Royaume-Uni”, estime Luis Gomez, président du groupe européen de transport XPO Logistics, interrogé par l’AFP. Il souligne que si la pénurie de chauffeurs frappe tout le continent, elle est particulièrement développée outre-Manche, avec un manque de 400.000 conducteurs en Europe dont 100.000 uniquement au Royaume-Uni.
Marian et Mariana-Loredana Aivanesei sont tous deux conducteurs : le couple roumain alterne au volant de leur camion, quatre heures chacun entre l’Europe et l’Afrique du Nord. Temporairement bloqués à Ashford par un problème administratif, ils n’envisagent pas un instant de postuler pour un visa. “Cela voudrait dire s’installer ici, payer un loyer britannique”, et ce pour quelques mois, commente Marian.
“On nous dit que les chauffeurs étrangers sont là pour prendre notre travail. Eh bien, je ne vois pas quels Britanniques ont envie de garder le leur“, résume Steven Evans.
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