La croissance verte? Un pari impossible pour les économistes décroissants

Est-il possible de faire croître l’économie tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre ? Certains économistes remettent en question la possibilité d’un tel découplage et prônent la décroissance pour préserver la planète.

Aujourd’hui, la croissance du produit intérieur brut (PIB) résume souvent la réussite de la politique économique d’un gouvernement. Défini comme la somme des valeurs ajoutées de la production sur un territoire donné, le PIB a été inventé en 1934 aux États-Unis et est devenu le standard pour mesurer la richesse des pays après la Seconde Guerre mondiale.

Il n’a jamais mesuré le bien-être des individus, mais son élévation est toujours jugée désirable par la majorité des responsables politiques, y compris écologistes.

Pour les partisans de la décroissance au contraire, il faut avant tout veiller à ne pas épuiser les ressources naturelles, une idée défendue dès 1971 par l’économiste et mathématicien américain d’origine roumaine Nicholas Georgescu-Roegen.

“Nous devrions nous concentrer sur des choses qui comptent plutôt que sur un résultat comme le PIB qui donne une mesure fausse du bien-être de la société”, estime Tim Jackson, professeur de développement durable à l’université de Surrey, en Grande-Bretagne et auteur du livre “Prospérité sans croissance”.

Si la sobriété énergétique est devenue un objectif très largement partagé, ceux qui veulent étendre la frugalité à l’ensemble de l’économie restent marginaux, au moment où les États débattent à l’ONU des solutions à apporter au réchauffement climatique, dont les conséquences dévastatrices à venir ont de nouveau été soulignées par le Giec dans son dernier rapport.

“Les défenseurs de la croissance verte se trompent parce qu’ils laissent en place le PIB et sa structure en tant qu’objectif et laissent entendre que découpler notre empreinte écologique par des moyens techniques suffira à atteindre nos objectifs climatiques”, critique Tim Jackson.

Mais “quand vous regardez les projections, cela paraît être un objectif extrêmement difficile à atteindre. Et, en pratique, l’objectif d’augmenter le PIB prend le pas sur celui de rester dans des limites environnementales d’émissions de carbone”.

Pour le Français Vincent Liegey, ingénieur et auteur de plusieurs essais sur la décroissance, “on n’arrive pas à avoir à l’échelle planétaire un système de croissance qui réduise de manière significative son empreinte en matière de biodiversité ou de tirage sur les ressources, qui peuvent être les terres agricoles, l’eau, les minerais, les énergies d’une manière générale et en premier lieu les énergies fossiles qui représentent 80% de ce que nous consommons”.

Redistribution massive

Abandonner l’objectif de croissance aurait des implications profondes pour les politiques économiques.

“Une société de croissance sans croissance est extrêmement problématique, c’est pour ça qu’il faut bien faire la différence entre récession et décroissance“, souligne M. Liegey, qui veut “revoir en profondeur nos besoins fondamentaux et y répondre de manière soutenable et juste”.

Pour gaspiller moins de ressources, “toutes les marchandises devraient être produites de manière à pouvoir être utilisées le plus longtemps possible”, estime Daniel Deimling, professeur de gestion à l’université de Heilbronn en Allemagne, l’un des rares de sa discipline à vouloir appliquer les principes de la décroissance aux entreprises.

Mais “si un produit est durable, cela signifie que la croissance sur ce marché atteint assez rapidement sa limite”, et si le principe est élargi à l’ensemble de l’économie, “cela signifierait que nous perdrions massivement des emplois”, raisonne M. Deimling, qui défend en conséquence une baisse importante du temps de travail et une plus grande sobriété des consommateurs.

Une décroissance assumée poserait sans doute des problèmes d’acceptabilité, notamment pour les populations défavorisées.

“Ça ne fonctionnera qu’avec une redistribution massive, grâce à des taux d’imposition qui doivent être au moins aussi élevés que durant l’après-guerre”, affirme l’économiste allemand Ulrich Thielemann, qui rappelle que les États-Unis avaient dans les années 50 un taux d’imposition pouvant aller jusqu’à 90% des revenus.

Vincent Liegey, qui vit à Budapest et est inspiré notamment par l’économiste hongrois Karl Polanyi, abonde: “Quand le marché devient trop prégnant et va à l’encontre de la justice sociale et des enjeux environnementaux, il faut que le politique reprenne en main le marché et que l’on mette en place des redistributions extrêmement fortes”, en posant des limites.

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