“La crise turque est d’abord un conflit géopolitique”

Recep Tayyip Erdogan © AFP/Turkish Presidential Press Service/Kayhan Ozer

L’économiste Deniz Ünal du Centre d’études prospectives et d’informations internationales explique pourquoi la livre turque a perdu la moitié de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année.

Quelle est l’origine de cette crise qui secoue la Turquie?

Comme beaucoup de pays émergents, la Turquie est en difficulté en raison de l’augmentation des taux d’intérêt américains. Mais elle a également un endettement privé très important, de l’ordre de 450 milliards de dollars, environ 60 % du PIB. En comparaison, l’endettement public est assez faible (moins de 30 % du PIB). Le pays, qui souffre d’un manque d’épargne, finance donc sa croissance par des investissements étrangers. Et comme les investissements sont désormais plus attractifs aux Etats-Unis, en raison de la remontée des taux, la Turquie se trouve dans une situation difficile. En outre, depuis le coup d’Etat manqué de 2016, ce pays fonctionne sous le régime de l’état d’urgence. L’opacité des institutions n’y renforce pas la confiance des investisseurs.

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La chute de la livre s’est aggravée quand, le 10 août, Donald Trump a annoncé des taxes sur l’aluminium et l’acier turc. Mais le contentieux avec les Etats-Unis n’est pas récent.

Non, il y a notamment la tentative du coup d’Etat de 2016, attribuée en partie au réseau de Fethullah Gülen. Les Turcs estiment que les Etats-Unis, où vit Gülen, auraient été au courant et auraient ” laissé faire “. En Syrie, les Etats-Unis appuient aussi les combattants kurdes, que la Turquie considèrent comme des terroristes. Ankara a en outre voulu acheter à ses alliés de l’Otan des missiles Patriot, ce qui lui a été refusé. Le pays s’est alors tourné vers la Russie. En représailles, les Etats-Unis ont appliqué des sanctions sur les F35 qui auraient dû être livrés à l’aviation turque. Et puis, la Turquie est très dépendante du pétrole iranien et s’est engagée dans de grands projets de pipeline avec la Russie et l’Iran. Elle a donc dû contourner l’embargo prononcé en 2011, en payant en or, et non en dollars, ses livraisons. Néanmoins, les Etats-Unis ont condamné et emprisonné le directeur général adjoint d’une banque publique turque, au terme d’un procès épique. Et en dernier lieu, il y a l’affaire de l’évangéliste Andrew Brunson, accusé par la Turquie d’avoir fait passer des membres du PKK à l’étranger.

Dans ce contexte, comment réagit le pays ?

Il construit des relations multipolaires. Il se tourne, pour se financer, vers la Russie, la Chine et des pays comme le Qatar, qui vient de signer avec Ankara un accord de swaps de devises. L’objectif est d’utiliser d’autres monnaies que le dollar dans ses transactions. La Russie et la Chine travaillent aussi en ce sens, remettant en cause l’actuel système monétaire international. Vous voyez donc que ce n’est pas une crise comme la vivent d’autres pays émergents. C’est un conflit géopolitique, sur fond de crise économique.

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