“L’Agence fédérale de contrôle nucléaire pourrait encore décider de ne pas prolonger les réacteurs”

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Pour Julien Blondeau, expert en énergie et professeur de thermodynamique à la VUB, un rebondissement n’est pas à exclure dans le dossier de prolongation des réacteurs nucléaires décidée la semaine dernière par la Vivaldi. Les discussions s’annoncent âpres entre Engie et le fédéral, sans compter l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) qui aura aussi son mot à dire.

Les négociations entre le fédéral et Engie pour la prolongation des réacteurs de Doel 4 et Tihange 3 au-delà de 2025 risquent d’être difficiles, selon vous ?

Il y a deux aspects, l’un technique et l’autre économique. Engie a déjà prévenu depuis longtemps qu’il était trop tard pour prolonger les réacteurs. On peut les comprendre, car prolonger une centrale, cela nécessite de nombreuses discussions avec l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) qui surveille cela de très près. Les employés de Tractebel doivent justifier que tel ou tel équipement – nécessaire ou non à la sécurité – peut encore fonctionner pendant autant d’années. C’est un peu comme votre voiture, on vous dit que vous pouvez encore rouler 100.000 kms, mais qu’après il faudra changer la courroie. Dans une centrale, à part quelques équipements clés comme la cuve, la plupart des éléments peuvent être changés. Les centrales qui sont prolongées sont en fait démantelées et remplacées pièce par pièce au cours de leur vie. Il faut d’abord justifier quels équipements pourront encore tenir le coup pendant 10 ans et quand les autorités indépendantes responsables de la sécurité des installations ont des doutes, il faut les changer. Une étude de dimensionnement doit être commandité, il faut recommander des équipements si nécessaire,… Cela ne se fait pas en 6 mois. Ce travail demande du personnel, des rapports et des études qui doivent être relus et avalisés. Ici, le timing de deux ans est serré. Même dans le cas où il ne faut rien remplacer, il faut quand même justifier ce qu’il faut garder. Cela demande un effort énorme d’étude détaillée. Il y a du pain sur la planche !

Le coût des travaux de mise en conformité des réacteurs est estimé à 1 milliard d’euros : qui va payer ?

Au niveau économique, il y aura aussi des coûts, il faut allouer du personnel pour réaliser les études de faisabilité, acheter les équipements, les combustibles… Les coûts de ces changements reviennent à l’exploitant. Le contre-argument du gouvernement, c’est que pour l’instant, avec les centrales nucléaires amorties, le coût de production de l’électricité nucléaire est beaucoup moins élevé que le coût du marché qui tourne autour des 40 euros/Mwh. La marge va dans la poche d’Engie. C’est toujours un peu biaisé dans les études de dire que si on prolonge les réacteurs cela n’a pas d’impact sur le coût de l’électricité. Non, car c’est la dernière centrale qui se met en route qui détermine le prix. Mais, en attendant, toutes celles derrière qui tournent à un coût moins élevé se mettent la différence dans la poche. Quand les centrales au gaz tournent, le renouvelable et le nucléaire ont un bénéfice significatif. La marge va dans la poche du producteur. Est-ce que la négociation avec le gouvernement va être de dire : vous investissez, mais on vous laisse la marge ou vous investissez, mais on vous taxe une partie de la marge comme une rente ? Vu que les discussions arrivent très tard, le gouvernement est dans une position difficile en termes de négociations.

Le coût du démantèlement des autres réacteurs est aussi un point d’interrogation…

Le démantèlement des autres réacteurs va aussi jouer. Le coût de leur démantèlement est un point d’interrogation. Est-ce que le budget estimé pour le fonds SYNATOM (NDLR : une garantie nécessaire au démantèlement futur des centrales en Belgique) est correct ? Les politiques disent que le démantèlement ne coûtera pas un euro à la communauté et aux autorités, j’ai l’impression que là derrière, il y a une discussion sur cette incertitude. Dans des domaines aussi spécifiques, il y a des incertitudes sur les coûts. Que se passera-t-il s’il y a une tuile pendant le démantèlement, si, par exemple, ça coute deux fois plus cher que prévu de décontaminer le béton ? La question fondamentale est de savoir si les x milliards de prévus vont suffire ? Et si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que l’état va prendre à son compte la différence ? Et si Engie doit tout payer, va-t-elle menacer de tout arrêter ?

Il pourrait donc encore y avoir un rebondissement dans ce dossier ?

Oui, il pourrait y avoir un rebondissement technique. Si Engie ne fait pas l’effort de faire les études de faisabilité, si l’ n’accepte pas la prolongation, les réacteurs ne pourront pas être prolongés. J’ose espérer que le gouvernement a eu des contacts informels et qu’il a quand même eu une semi-confirmation que c’était possible de le faire.

On se retrouve dans une situation bicéphale. D’un côté, l’Etat peut mettre en place des moyens légaux pour que les centrales soient prolongées, mais, de l’autre côté, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire doit aussi vérifier tout le travail de l’exploitant. Chaque calcul est envoyé aux autorités, cela prend un temps fou ! Bien heureusement, car on ne rigole pas avec le nucléaire. Il faut savoir aussi que cet organisme n’est pas toujours le plus rapide pour analyser ce genre de détails. Que se passera-t-il si les études ne sont pas faites assez rapidement et que l’AFCN décide que tel équipement ne peut plus fonctionner ?

Car il est garanti que si elle décide de ne pas prolonger les réacteurs, les centrales s’arrêteront. Toutes les études pour l’instant ont été réalisées pour justifier que les centrales nucléaires du pays fonctionnent pendant 40 ans. Les prolonger de même 1 mois, c’est hors de question. L’Agence fédérale de contrôle nucléaire n’acceptera jamais cela, elle a toujours été intransigeante, notamment sur l’histoire des bulles d’hydrogène dans les cuves, ce serait sa responsabilité que le moindre équipement craque. Elle se moque de l’agenda politique et de l’approvisionnement, sa mission est avant tout d’assurer la sécurité des installations.

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