Trajectoire d’un parfait loser

Titiou Lecocq, " Honoré et moi ", éditions L'Iconoclaste, 256 pages, 18 euros.

On n’attendait pas vraiment Titiou Lecoq sur ce terrain. La journaliste, auteure d’essais féministes drôlement bien ficelés ( Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale, 2017), se lance cette fois sur les pavés glissants de la biographie littéraire. Et non des moindres, puisque la jeune femme a jeté son dévolu sur un monstre de la littérature française, Honoré de Balzac (1799-1850). Rien que ça ! Il fallait toutefois un angle d’attaque original qui ne soit pas une redite des centaines de travaux universitaires et exégèses déjà existants. ” Il existe un Balzac intime, humain, fatigué, écrit-elle, qu’on pourrait nommer le plus gros poissard de l’histoire littéraire, et qui m’émeut et m’interroge infiniment plus que la figure du demi-dieu. ”

C’est l’histoire d’un homme qui voulait gagner de l’argent et qui est resté fauché toute sa vie.

L’auteur des plus de 90 écrits qui composent La Comédie humaine, l’oeuvre d’une vie, n’aurait en effet pas vraiment connu de son vivant le succès que la pérennité lui a assuré. Particulièrement dépensier, Balzac n’a cessé de se faire poursuivre par ses créanciers. ” Sa personnalité me fascine, nous explique Titiou Lecocq. Son rapport à l’argent témoigne d’un étonnant refus de la réalité, une manière de déroger aux règles. ” Mais cette attitude de rebelle est une lame à double tranchant. Tout au long de sa vie, le fils de néo-aristocrate, témoin de la débacle napoléonienne et de la Restauration, poursuivra la reconnaissance du public et de ses pairs. Mais cet inlassable travailleur se montrait particulièrement inconsistant quand il s’agissait de modérer ses ardeurs pécuniaires.

L’argent, le sel de ses chefs-d’oeuvre

L’homme aimait les fastes et la mode autant qu’il ambitionnait de révolutionner la littérature du 19e siècle. A posteriori, on se dit qu’il a atteint ce dernier but. Mais au prix de combien d’échecs de son vivant ? Il s’essaye au théâtre. Insuccès. Se frotte au roman historique avec Les Chouans. Bide. Et même si les largesses parentales l’encouragent les premières années, son manque de sens des affaires lui joue des tours. Titiou Lecocq y voit toutefois les marques d’un visionnaire. L’achat d’une imprimerie en faillite pourrait être qualifié par les économistes d’intégration verticale. Manquant de crédits, il imagine un système d’abonnement – génial sur le papier – mais là encore, le monde n’est pas prêt. ” Il a compris le système dans sa totalité. C’est le romancier de l’argent et de la spéculation. Des thèmes dont ne parlait jamais la littérature à l’époque. ” L’argent, Balzac en a fait le sel de ses chefs-d’oeuvre : Eugénie Grandet, Le Père Goriot. Face à Victor Hugo, le ” poète national ” qu’il admirait, Honoré de Balzac a été considéré comme l’écrivain qui ne s’intéressait qu’à la vie matérielle. Pourtant, paraphrasant Georges Sand, Titiou Lecocq estime que ce qu’écrit Balzac ne peut que pousser à la révolte, faisant de lui un auteur profondément politique.

Et féministe ? ” Je n’irais pas jusque-là mais je le pensais beaucoup moins progressiste “, répond l’auteure, rappelant sa dénonciation du viol conjugal dans ses romans. Que retient-elle encore de Balzac ? ” Ce livre est sans doute celui qui m’est le plus intime. La vie de Balzac vous oblige à vous questionner sur ce qu’est une vie réussie. C’est quoi, le bonheur ? Quel homme adulte et hétérosexuel ose dire ‘je veux être aimé’ ? ” Après avoir épluché bilans comptables, comptes-rendus de procès, correspondance et littérature spécialisée, Titiou Lecocq a tiré une biographie intelligente teintée d’humour pop. Le romancier tourangeau sort ainsi du placard, les poches vides certes, mais s’il a laissé ses héritiers directs régler ses dettes, il nous lègue un énorme appétit de la vie.

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