Rouvrir les yeux

Antoine Renand, " Fermer les yeux ", éditions Robert Laffont, 464 pages, 19,90 euros. © PHOTOS PG

La France de province a de quoi séduire dans la littérature de genre. Après le mystérieux Les Abattus de Noëlle Renaude que nous évoquions dans ces mêmes pages voici quelques semaines. Antoine Renand a choisi son Ardèche natale – une région de ” paysages très beaux et très inquiétants à la fois “, nous dit-il – pour y planter le décor de son deuxième roman. ” Je voulais filmer cette province, le mystère et le secret d’une nature qui fascine par sa beauté “, dit-il. Filmer, car Fermer les yeux était un scénario au départ. Comme le film qu’il aurait pu devenir, le livre s’ouvre en 2005 sur un village assombri par la disparition d’une fillette, enfant d’un couple de restaurateurs appréciés. L’adjudant Dominique Tassi est sur le coup avec ses collègues. Ici, tout le monde se connaît, ce qui teinte l’enquête d’une charge émotionnelle pesante. Mais Tassi a un autre poids sur la conscience, celui d’avoir conduit la voiture dont l’embardée a causé la mort de sa petite fille. L’alcool bien sûr, en plus de la fatigue. L’alcool encore quand il découvre en contrebas d’une route, Gabin Lepage, un jeune marginal du village, tenant dans ses bras le corps sans vie de la disparue. S’ensuivent un interrogatoire psychologiquement musclé, des aveux contresignés et une condamnation lourde. Dossier clos… ou pas.

Dans la région où nous sommes, les grands carnivores sont plutôt rares, n’est-ce pas ?

Plus de 10 ans après, l’homme obtient une révision de son cas, sur la base de nouveaux éléments, la combativité de son avocate et l’opiniâtreté de celui-là même qui lui avait arraché des aveux, le gendarme Tassi. Aidé d’un auteur à succès, Nathan, spécialiste des serial killers et lui aussi marqué par une histoire intime des plus violentes, celui-ci va remuer ciel et terre et enquiquiner toute une hiérarchie qui espérait voir cet ex-alcoolique couler sa retraite paisiblement.

Fermer les yeux met en parallèle plusieurs récits et temporalités : le procès de Gabin Lepage extrêmement médiatisé, l’enquête parallèle de Tassi et Nathan et les détours intimes des deux membres de ce duo aux allures filiales comme si le vieil enquêteur voulait prendre à témoin la nouvelle génération de son erreur de jugement qui aurait jeté en prison un innocent. Antoine Renand a la mécanique du thriller bien ancrée dans son écriture, l’enquête est une chose, son déroulé une horlogerie fine, n’hésitant pas à nous dévoiler rapidement quelques éléments cruciaux. ” Je suis plus intéressé par la personnalité du coupable que par sa traque, indique l’auteur. Dans mes livres, j’aime que l’on suive des personnalités très noires évoluer dans la société. ” Dans son premier roman L’Empathie, il nous avait déjà placé dans la tête d’un assassin, nous confrontant à ses angoisses et ses doutes, ce goût pour défier celles et ceux qui le pourchassent. Il joue avec les rapprochements entre le chasseur et la proie, le lecteur tremblant de voir ainsi les confrontations naître et s’évaporer aussi vite avant le duel final.

Avec Fermer les yeux, il jette aussi un froid sur l’attitude de la justice qui n’aime pas se remettre en question. Quand une affaire est bouclée, on passe à la suivante, pas le temps de tergiverser. ” On a vu ça dans l’affaire Patrick Dils ( condamné à perpétuité pour homicides en 1989, il ne sera reconnu innocent qu’en 2002, Ndlr) “, rappelle Antoine Renand.

D’une écriture axée fortement sur les dialogues, ne s’embarrassant pas de longues descriptions, Antoine Renand joue avec délectation de cette zone de gris capable de faire trembler les fondations de notre jugement. Il sème le trouble dans l’esprit du lecteur face à des personnages sur le fil du rasoir. Ici, pas de victime totale.

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