Roi vert et guerre par procuration
Le roi vert est en pleine forme. Le roi vert, c’est le dollar bien entendu. Il est au plus haut par rapport aux devises émergentes et également par rapport à l’euro. Et si la devise de l’Oncle Sam est en pleine forme, c’est parce qu’elle est considérée comme la valeur refuge par excellence. La guerre en Ukraine a même renforcé son attrait aux yeux des investisseurs. Mettez-vous quelques secondes à la place d’un investisseur international. Pour lui, la situation est limpide: les Américains sont en train d’affaiblir durablement la Russie. C’est un rival en moins sur l’échiquier planétaire, ce qui leur permet de garder leurs forces pour contrer l’essor de la Chine. Well done…
La bonne forme du dollar montre que les investisseurs ont déjà choisi le vainqueur de cette guerre en Ukraine. Et ce sont les Etats-Unis.
Les Américains nous rappellent au passage une leçon immuable en géopolitique: ne jamais ouvrir deux fronts en même temps! Raison pour laquelle les Etats-Unis mènent cette guerre par procuration. Mais en plus d’affaiblir durablement la Russie, les Américains en ont aussi profité pour mettre l’Europe sous une forme de tutelle énergétique et sous le parapluie militaire américain. Bien entendu, comme en plus, le dollar offre un taux d’intérêt plus élevé qu’en Europe, vous comprendrez pourquoi il a repris du poil de la bête à l’égard de l’euro.
En clair, ce que nous dit cette envolée du dollar, c’est que la guerre par procuration des Etats-Unis va surtout profiter aux Américains! D’ailleurs, c’est ce que dit André Kaspi, professeur émérite à la Sorbonne à mes confrères de Marianne, pour qui “cette guerre en Europe est une excellente affaire pour les Etats-Unis”, notamment lorsqu’il faudra reconstruire l’Ukraine. Nombre d’experts pensent que la politique de Joe Biden consiste à acculer Poutine pour qu’il s’enlise en Ukraine et que cela le dissuade de retenter le même coup de force ailleurs.
L’idée n’est pas mauvaise en soi: ce serait une sorte de remake du scénario que les Américains ont appliqué en Irak avec Saddam Hussein. Mais le seul souci avec ce scénario, du moins s’il est exact, c’est qu’il interdit toute négociation avec les Russes. Or, comme l’écrivent mes confrères de Marianne: “Si la Russie ne peut plus gagner, elle n’acceptera jamais de perdre. Et la sécurité en Europe est suspendue à cette évidence”.
Sommes-nous conscients de cela? Ou en sommes-nous encore à nous demander “si nous ne sommes pas coupables de ne pas ruiner immédiatement notre économie en cessant tout achat de gaz russe”, dixit Marianne. Mais bon, ce n’est qu’une interrogation, pas très audible en ces temps de médias policés. Il y a aussi moyen de voir les choses autrement. Mes confrères du quotidien L’Echo ont eu la bonne idée d’interviewer Mikhaïl Chichkine, l’un des plus grands écrivains russes et opposant notoire à Vladimir Poutine. Selon lui, les sanctions économiques prises par l’Europe seront efficaces car la “Russie est dans l’état économique de l’Allemagne en 1944, c’est-à-dire au bord du gouffre. Elle ne produit rien. Au lieu d’investir dans le pays, les oligarques ont placé leur argent dans des clubs de foot, des bateaux et des villas”. Et il ajoute: “Pour battre l’armée russe, il faut gagner économiquement”. En effet, “si l’armée s’effondre, le pays s’effondre également car le seul pouvoir en Russie est le pouvoir militaire. Sans victoire, les soldats russes ne seront plus motivés. Ils vont refuser de se battre. C’est déjà le cas d’ailleurs”.
Là encore, ce n’est qu’une thèse, celle d’un opposant notoire à Poutine. Mais la bonne forme du dollar montre que les investisseurs ont déjà choisi le vainqueur de cette guerre en Ukraine. Et ce sont les Etats-Unis.
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