Rien ne l’arrête

“Cette fois, il va trop loin ! ” Le sous-titre de Geluck pète les plombs résonne comme une sentence, une admonestation. En effet, Philippe Geluck n’en est pas à sa première incartade. Déjà dans Geluck se lâche et Geluck enfonce le clou, le dessinateur avait laissé quelque peu son Chat de côté (un best of sort toutefois en cette fin d’année) pour compiler dessins et textes plus trashs et décalés, où l’on retrouve la plume acide de ces temps où l’artiste déroulait en radio (notamment) un humour piquant et absurde.

Dans cette troisième livraison de ses ” textes et dessins indéfendables “, il nous dit aller aussi loin – si pas davantage – que dans ses livraisons à Siné mensuel, périodique satirique de son défunt ami Siné. ” Les dessins ne sont pas ceux que je pourrais publier dans la plupart des journaux ou la presse traditionnelle, reconnaît-il. Mais ça m’intéresse de me frotter à l’exercice. ” Un exercice qui joue avec les limites, y compris dans les textes qui ont retenu plus particulièrement notre attention. On l’a déjà vu frôler l’apostasie avec plusieurs dessins ayant trait à un islam radical. Ici, son premier texte est une lettre au pape, suite d’une première missive qu’il avait réellement envoyée au Saint-Père. La réponse reçue du Vatican ne l’ayant pas convaincu, il demande au souverain pontife de revêtir un sombrero lors d’une prochaine apparition en signe d’accusé de réception de son courrier.

Colère et légèreté

Il est comme ça Geluck, à retourner toutes les situations à la rigolade, comme on retourne une chaussette. C’est ce qui fait sa patte. Le danger est de ne pas le lire jusqu’au bout, comme dans ce texte qui s’en prend à la violence faite aux femmes. Un poème qui, lu à moitié, le fait passer pour le pire des salauds mais qui, à la dernière strophe, dénonce. Ultime pirouette, il le ponctue d’un dessin où il se fait passer pour un infâme macho. Second degré oblige, l’auteur ne cesse de nous déconcerter. ” Certains textes très propres sur eux sont bien sûr ironiques. Ils abordent des thématiques parfois graves mais avec légèreté. ”

Il n’empêche, on ressentira ici et là une certaine colère de l’auteur envers les empêcheurs de ” rire ” en rond, mais il s’y prend toujours avec adresse. ” C’est ce qui est beau avec l’humour, l’absurde, le surréalisme. L’humoriste se cache derrière le rire, forcément. Mais de tous les temps, la farce et la satire ont permis de dire des choses qu’on ne pouvait exprimer autrement. Ce n’est pas de la lâcheté, c’est de l’habileté. ”

Kurt et la grand-mère

Au milieu de ce florilège, un texte nous interpelle, il s’intitule Tout est vrai. Geluck y relate la fin d’une amitié pendant la Seconde Guerre mondiale qu’entretenait sa grand-mère avec une famille allemande. La chute de l’histoire est tragique, mais comporte ce décalage qui occasionne une fois encore le sourire. Pourquoi nous livre-t-il ces faits réels ? ” Je suis un impatient. Ce texte vient d’une idée que j’ai eue l’année dernière en vacances. J’ai écrit Tout est vrai… en pensant que ça pourrait être un bon titre de bouquin. Et en prenant des notes, je me suis dit que je pourrais raconter l’histoire de mon grand-père dans les tranchées, comme ce fameux Noël 1914 où les adversaires ont fraternisé avant de se tirer à nouveau dessus le lendemain. J’ai ainsi pas mal d’histoires de famille, importantes mais aussi très légères comme des souvenirs de vacances. Des petits sketches en somme. Cette histoire de ma grand-mère aurait pu être le coeur de cet ouvrage. Mais je n’ai pas pu patienter. Elle ouvre peut-être une narration plus personnelle. ”

En attendant le livre familial, on ose aussi rire des innommables brèves de Kurt disséminées dans l’album. Ce personnage imaginaire pourrait être un lointain cousin du Docteur G., glissant sous la ceinture et le moralement correct en quelques mots. Ecologie, questions migratoires, populismes (Trump & co) : rien n’échappe au verbe et au trait de Philippe Geluck. Une liberté dont on lui sait gré.

Philippe Geluck, ” Geluck pète les plombs “, éditions Casterman, 144 pages, 20 euros.

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