Réconciliation

Lionel Duroy, " Nous étions nés pour être heureux ", éditions Julliard, 240 pages, 20 euros.

Les familles ont leurs guerres et leurs armistices. C’est le cas de celle de Paul qui en cette belle journée a décidé de se retrouver. L’homme est en effervescence : il reçoit chez lui neuf frères et soeurs, ses enfants et les leurs, ainsi que deux ex-femmes. Orages en perspective. L’homme a bâti sa carrière d’écrivain sur ses écrits relatant ses jeunes années et celles de son entourage. Le foyer était nombreux mais pas heureux : un père négligent, brûlant la chandelle par les deux bouts, rendant même les débuts de mois difficiles, une mère psychologiquement instable… Des années que certains membres de la famille auraient voulu laisser derrière eux. Ils n’ont pas supporté leur vie et l’ont encore moins étalée au grand public.

Jamais je n’aurais imaginé qu’on puisse avoir honte de notre enfance.

Si l’écriture a libéré et épanoui Paul, elle fut perçue par les siens comme une trahison, source d’années de disputes et de distance. Mais l’heure est à la réconciliation. Un terme qu’utilise volontiers Lionel Duroy quand on le rencontre pour parler de son nouveau roman, Nous étions nés pour être heureux. ” Tout le monde est de bonne volonté. J’avais en effet le souci de la réconciliation, confirme l’auteur. On marche sur du cristal, on espère que les liens ne vont pas une nouvelle fois se briser. Paul n’est pas maître de la situation. A tout moment quelque chose de grave peut se passer. Chacun fait attention à ce qu’il dit. ”

Les habitués des livres de Lionel Duroy savent que l’auteur français a nourri beaucoup de ses écrits de son histoire familiale, parfois avec violence. Ce nouvel ouvrage ne déroge pas à la règle, y compris dans sa part de fiction. ” En réalité, c’est un roman, affirme-t-il. Il est vrai que mes frères et soeurs sont revenus vers moi. S’il y a une lumière qui jaillit de cette histoire, elle vient de là. C’est toutefois un rêve de romancier de tous les réunir après les avoir vus chacun. ‘Filmer’ cette scène-là et la livrer au public revient à leur dire que je les aime tellement. La fiction n’est pas une façon de se protéger. Quand je me mets à écrire, je ne suis pas un fonctionnaire de police qui consigne tout ce qui s’est passé. ” La sincérité réside pour lui ailleurs. ” En réalité, la fiction est au plus près de la vérité en ce qu’elle restitue un certain nombre d’émotions telles que vous les avez vécues. Et je crois qu’en cela, je suis absolument juste. ”

Malgré son calme apparent, la journée n’est pas de tout repos. Frères et soeurs se disent les choses, les ressentis s’expriment. Mais aucune voix plus haute que l’autre, aucun cri, très peu d’énervement, comme si la sérénité de ce décor de jardin ensoleillé avait adouci l’amertume de cette trahison. ” Nous sommes tous traumatisés par les hurlements de notre mère, touchée par la folie, souffle Lionel Duroy. Personne ne veut entendre de cris. ” Sans chapitres, comme écrit d’une traite, ce livre se dévore comme la vision d’un long plan séquence cinématographique par son rythme et sa capacité à capturer l’instant. Par son habileté à nous tenir en haleine, Nous étions nés pour être heureux trouve ses rebondissements dans les questions sensibles portant notamment sur les conséquences qu’a l’écriture de l’intime sur les êtres qui nous sont proches. Les soeurs de Paul ont ainsi souffert de voir ressurgir dans sa littérature la honte de leur enfance pauvre. Un impact que Lionel Duroy a lui-même mis du temps à concevoir. Et quand elles demandent à Paul ce qui le pousse à écrire sur leurs années sombres, sa réponse brille par sa simplicité : ” Je dis que je dois écrire, parce qu’il me semble indispensable de nommer tout ce qui survient dans la vie “. Avec ce livre lumineux qui démontre aussi que les querelles s’effacent avec les générations, Lionel Duroy clôt un cycle – ” Je pense que je n’écrirai plus sur ma famille, elle m’a fait un très beau cadeau en me revenant “. L’envie d’écrire, elle, ne l’a pas quitté, nous voilà rassurés.

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