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Nucléaire: salut en de kost…
Dire au revoir au nucléaire dans la situation actuelle, c’est glisser un morceau de savon sous nos chaussures et risquer de nous faire mordre le tarmac.
A l’expression “salut en de kost”, les Bruxellois ajoutent avec malice “en bruin ziep onder a schoone”. Cela résume assez bien la situation énergétique du pays: dire au revoir au nucléaire dans la situation actuelle, c’est glisser un morceau de savon sous nos chaussures et risquer de nous faire mordre le tarmac, tant l’impréparation face à cette décision prise il y a près de 20 ans est flagrante, et pour tout dire inexcusable.
C’est le gouvernement arc-en-ciel qui avait décidé en 2002: on allait démanteler les centrales nucléaires entre 2015 et 2025 et suppléer aux réacteurs produisant, quand tout va bien, la moitié de notre électricité. Pendant 20 ans, malgré cette décision formelle, on a débattu, attendu et décidé à nouveau… Et aujourd’hui, la sortie du nucléaire en 2025 se retrouve dans le dernier accord gouvernemental, qui précise toutefois que l’on fera encore le point fin 2021. Procrastination, quand tu nous tiens!
Nous voilà donc quasimentau même stade qu’en 2002, avec encore trop peu d’énergies renouvelables (elles ne représentent cette année que 11,7% de la consommation, ce qui fait que nous ratons déjà l’objectif de 13% fixé par l’Europe), sinon que nos centrales survivantes ont 20 ans de plus, que le nucléaire n’est plus trop d’actualité (en 2040, les deux tiers des réacteurs encore actifs aujourd’hui dans le monde seront éteints) et que le marché s’est profondément modifié. Il s’est morcelé, à la fois dans la production, la distribution et la consommation.
Nous avons frôlé le black-out à l’hiver 2018. Aujourd’hui, nous nous débattons encore dans la crise sanitaire. Ce n’est donc vraiment pas le moment de nous mettre un “bruin ziep onder a schoone”.
Elia, le gestionnaire du réseau électrique, avait averti en juin 2019: la sortie du nucléaire créera dans cinq ans un besoin de production structurel de 3,9 gigawatts. Même si on maintenait en service les deux réacteurs nucléaires qui peuvent encore l’être, il manquerait encore 1,9 gigawatt. Or, pas question de trop compter sur des importations pour pallier ce manque. Car en France ou en Allemagne, on sort du nucléaire et du charbon. Les capacités de production de nos voisins ne seront pas vraiment excédentaires. Nous devons donc refaire notre retard et peaufiner le “mécanisme de rémunération de capacité” qui doit permettre d’attirer les investisseurs dans les centrales au gaz qui vont remplacer les réacteurs. Ce mécanisme permet en effet aux possesseurs de centrales d’être rémunérés en tant qu’offreurs de capacité, que leurs centrales tournent ou non. La Commission européenne n’est pas contre l’idée mais, toujours soucieuse quand il s’agit d’aides d’Etat, elle a lancé une enquête.
Or, les enchères pour les nouvelles centrales doivent se tenir en octobre 2021. Si elles devaient être retardées, le gouvernement avait prévu de pouvoir retourner encore au nucléaire le temps de régler le problème. Mais Engie nous rappelle qu’un réacteur ne se prolonge pas d’un claquement de doigts. Le groupe veut savoir avant la fin de l’année s’il doit prévoir de réinvestir – on parle d’une facture de 0,5 à 1 milliard d’euros quand même – pour prolonger ses centrales. Sinon, il préparera leur fermeture définitive pour 2025.
Voilà le topo. La prudence, qui est, disait Jean de La Fontaine, mère de la sûreté, voudrait donc que l’on oublie un moment les symboles écologiques et que dès aujourd’hui, nous nous réservions ces capacités nucléaires pour quelques années encore. Ce n’est pas cette prolongation qui remettrait en cause les choix énergétiques du pays. Mais elle nous donnerait le temps pour les mettre, enfin, correctement en oeuvre. Sinon, cela risque de nous coûter très cher, comme citoyen et comme consommateur. Pour ceux qui l’auraient oublié, nous avons frôlé le black-out à l’hiver 2018. Aujourd’hui, nous nous débattons encore dans la crise sanitaire. Ce n’est donc vraiment pas le moment de nous mettre un “bruin ziep onder a schoone”.
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