Les voitures autonomes vont bouleverser les modèles économiques

La Sedric de Volkswagen S'il n'est plus nécessaire de les équiper d'un volant et de pédales, les véhicules autonomes peuvent revêtir des formes plus diversifiées. Comme ces nacelles dans lesquelles les passagers se font face. © PG/ VOLKSWAGEN

Les constructeurs automobiles, les sociétés technologiques et les exploitants de VTC (véhicule de transport avec chauffeur) se battent tous pour tirer leur épingle du jeu.

Vous voulez acheter une voiture 100 % autonome ? Préparez-vous à attendre encore une décennie. Les véhicules sans chauffeur seront d’abord vendus non pas aux particuliers, mais aux exploitants de parcs de taxis robots, et ce pour deux raisons.

Premièrement, les capteurs Lidar (télédétection par laser) sont encore trop coûteux ; installés sur des voitures de série, ils représenteraient plus de la moitié de leur coût total. C’est moins problématique pour les véhicules autonomes utilisés comme taxis, parce qu’ils circuleront – et produiront donc des revenus – toute la journée, tandis que les voitures privées ne roulent que 5 % du temps.

Deuxièmement, il est beaucoup plus facile de garantir la sécurité et la fiabilité des voitures autonomes lorsque leur rayon de déplacement est limité aux endroits cartographiés avec une grande précision, comme les centres-villes. Donc, votre premier trajet en voiture autonome, vous le parcourrez dans un véhicule loué avec une appli, et non dans le vôtre.

Le projet Waymo – anciennement Google Car – teste actuellement un service de taxis sans chauffeur dans une banlieue de Phoenix (Etats-Unis) et espère lancer un service commercial dans l’année. Uber exploite des taxis sans chauffeur dans certains quartiers de Phoenix et de Pittsburgh. Les clients qui appellent un taxi ont parfois la surprise d’être pris en charge par une voiture autonome supervisée par un ingénieur (Uber leur laisse la possibilité d’opter pour un taxi normal s’ils le souhaitent). La start-up Voyage offre des services de taxis robots à The Villages, une communauté de retraités à San Jose, et bientôt dans une autre localité de Floride. La start-up française Navya fait circuler un bus navette autonome à huit places dans le centre-ville de Las Vegas, sur un parcours de 1 km jalonné de trois arrêts. Elle exploite aussi des navettes dans plusieurs autres villes du monde, tout comme sa rivale Easymile, également française. Nikolaus Lang, du Boston Consulting Group (BCG), prédit que le déploiement à large échelle de véhicules autonomes commencera très probablement par des services de taxis robots fonctionnant par géorepérage dans certains quartiers de villes telles que Singapour ou Dubaï, avant de se propager pendant plusieurs années.

Vendeurs de trajets

Il faudra sans doute attendre longtemps avant que les véhicules autonomes soient capables de circuler hors de zones délimitées par géorepérage. Dans l’intervalle, le déploiement de taxis robots bon marché en milieu urbain pourrait encourager de nombreux jeunes citadins à renoncer définitivement à la propriété automobile, dont ils se détournent d’ailleurs de plus en plus. D’après un récent rapport du BCG, la conjonction des services de VTC et de la technologie de conduite autonome ” ébranle profondément, comme jamais depuis un siècle, le modèle économique des constructeurs automobiles “. C’est pourquoi ces derniers se ruent sur les services de VTC et de partage de voitures et qu’ils poursuivent leurs propres programmes de voitures autonomes. A l’avenir, lorsque les véhicules autonomes se seront généralisés et la propriété devenue facultative, ils vendront des trajets plutôt que des voitures.

Cette évolution recèle un énorme potentiel pour eux. D’après la banque Morgan Stanley, le marché automobile mondial représente environ 2 trillions de dollars par an, alors que le marché du transport de personnes pèse 10 trillions de dollars. Mais elle les expose aussi à de nouveaux concurrents : les sociétés de technologie et les réseaux de VTC. Certains constructeurs automobiles ont lancé leurs propres services de mobilité, tandis que d’autres préfèrent exercer des activités de gestion de parcs de véhicules en offrant des capacités aux exploitants de VTC qu’ils facturent au kilomètre. Certains fabriqueront même des parcs de véhicules ” produits blancs ” qui porteront le nom d’une ville ou d’un réseau de VTC plutôt que leur propre marque.

Votre premier trajet en voiture autonome, vous le parcourrez dans un véhicule loué avec une appli, et non dans le vôtre.

Les parcs de taxis robots circulant 24 h sur 24 produiront des revenus prévisibles qui attireront les investisseurs institutionnels. Pour David Lesne, de la banque UBS, il serait logique que les fabricants automobiles, dont les départements du financement sont déjà actifs dans la gestion des parcs de véhicules, se transforment en gestionnaires d’actifs de ces parcs.

Les grilles tarifaires proposées aux utilisateurs changeront également. Dans certaines villes, Uber teste déjà des abonnements offrant un certain nombre de courses ou de kilomètres pour un prix donné, à l’image des formules d’opérateurs de télécoms prévoyant une certaine quantité d’appels, de SMS et de données.

Reste à connaître l’incidence des voitures autonomes sur le nombre de véhicules vendus à travers le monde chaque année, qui est actuellement d’environ 80 millions. Com- me la plupart des voitures sont à l’arrêt 95 % du temps, le passage à des taxis robots partagés qui circulent 24 h sur 24 pourrait réduire considérablement le nombre de véhicules sur les routes. UBS s’attend à ce que le parc mondial de véhicules diminue de moitié d’ici 2030. D’un autre côté, si les taxis automatisés sont utilisés 50 % du temps au lieu de 5 %, ils devront être remplacés beaucoup plus rapidement, estime Johann Jungwirth, responsable du service numérique de Volkswagen. A moins d’augmenter considérablement la durée de vie des véhicules, le nombre de nouveaux véhicules nécessaires chaque année augmentera donc.

La fonction définit la forme

Le changement n’affectera pas seulement les constructeurs automobiles, mais aussi les voitures. La plupart des véhicules autonomes d’aujourd’hui sont des voitures ordinaires modifiées de manière à rouler d’elles-mêmes. Mais s’il n’est plus nécessaire de les équiper d’un volant et de pédales, ils pourraient revêtir des formes et des tailles beaucoup plus diversifiées. La Sedric de Volkswagen et la F015 de Mercedes-Benz ressemblent à des nacelles dans lesquelles les passagers se font face. Les voitures autonomes du futur devront peut-être être compartimentées pour encourager les passagers à les partager avec des inconnus, prévoit Karl Iagnemma, de la start-up nuTonomy, tandis que des familles pourront faire appel à un véhicule capable de les accueillir au complet.

Tout cela est de mauvais augure pour les concessionnaires. Comme la plupart d’entre eux sont à peine rentables et qu’ils gagnent leur vie grâce à leurs plans de financement et leurs services, un recul, fût-il léger, de la propriété automobile en faveur des taxis robots partagés pourrait les frapper durement. Les réparateurs et les fabricants de pièces détachées en pâtiraient eux aussi, car les véhicules autonomes réduiront le nombre d’accidents. Les assureurs seront également affectés par une baisse de la propriété automobile privée et du nombre d’accidents.

Les chauffeurs de taxis, de fourgonnettes de livraison et de camions sont les plus directement menacés par les véhicules autonomes. Uber et Lyft prétendent que, dans les années à venir, ils auront toujours besoin de conducteurs humains sur certaines routes, mais les métiers de la conduite seront sans doute redéfinis plutôt que supprimés. Les livreurs pourraient être utilisés pour manutentionner les paquets volumineux au domicile des clients. Les chauffeurs de camion pourraient devenir des superviseurs de cohortes de véhicules sur les autoroutes. Et les véhicules autonomes créeront de nouveaux emplois pour les superviseurs à distance de parcs de véhicules et les dépanneurs.

Par The Economist.

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