Les combattantes

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Jeanne a un cancer. La nouvelle est une énième punition pour celle qui n’a pas pu sauver son enfant de la maladie. Quand Matt, son mari, la quitte, sa culpabilité est d’autant plus renforcée. Ou bien est-ce elle qui le quitte, ne supportant pas qu’il ne voie plus en elle que la malade – état auquel elle semble inexorablement réduite – à qui Matt ne parvient pas adresser les mots de réconfort ? Séances de chimio, chute des cheveux : les épreuves se succèdent dans un ordre préétabli. Le soutien, Jeanne le trouve en salle de soins, auprès de Brigitte, la liberté incarnée, Assia, sa compagne tantôt agressive tantôt empathique, et Mélody, qui a bien des combats à mener. Jeanne, ” la bourgeoise “, dénote dans le groupe : ” Je savais peu d’elles. Je n’avais rien demandé. Une fois encore, l’impression dérangeante d’avoir été appelée d’une fenêtre et d’être montée faire la fête sans poser de question “. Leur amitié va les pousser à un acte incroyable : le braquage d’une bijouterie de la place Vendôme, afin de pouvoir récupérer contre rançon l’enfant de Mélody, retenu par la famille du père. Le plan est soigneusement ficelé, l’aventure n’en demeure pas moins risquée. Elles n’ont de toute façon rien à perdre.

Le cancer ne s’attrape pas, c’est lui qui vous attrape.

Récit de guerre

Le décor planté, l’histoire ainsi résumée, on se dit que Sorj Chalandon s’engage sur des terrains sur lesquels il ne nous a pas habitués. Dans ses précédents romans, le journaliste avait plutôt l’habitude de nous parler des conflits qu’il a couverts pour le quotidien Libération : la guerre d’Irlande ( Mon traître, Retour à Killybegs) ou celle du Liban ( Le quatrième mur). Une joie féroce a, lui, les traits d’un polar aux accents sociaux et intimes forts. Mais pour son auteur, il ne fait aucun doute que ce n’est que le champ de bataille qui a changé. ” Jeanne est en guerre “, insiste-t-il. ” Je suis entrée en brouillard comme au part au combat, en me rêvant avril “, lui fait-il dire. Lui-même a été confronté à la maladie. ” Quand ma femme a appris qu’elle avait un cancer, je me suis dit ‘elle est en guerre’. Je me suis mis à écrire comme si je faisais un reportage, sans savoir que 11 jours plus tard, le médecin m’appellerait pour diagnostiquer à mon tour un cancer. C’était aussi ma guerre, pas celle des Irlandais ou des Libanais, la mienne. Ecrire pendant la maladie, c’était un bonheur, une joie féroce : chaque mot, chaque phrase, chaque page constitue une victoire. ” Tous les deux sont aujourd’hui en rémission, terme presque guerrier lui aussi.

Douce lumière

Au départ, le récit était prévu à la troisième personne, mais à travers le personnage de Jeanne, Sorj Chalandon se place en acteur et observateur attentif, se glissant dans une peau qu’il a appris à revêtir. ” Dans mes premiers romans, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas de femmes, sinon des ombres de femmes, comme si je n’avais pas de raison technique de les mettre en place. En accompagnant mon épouse dans la maladie, j’ai donc voulu ici des résistantes et des combattantes. ” Et ce quatuor d’avoir en commun, en plus de la maladie, des destins maternels plutôt chahutés. Brigitte aurait par exemple voulu construire une relation avec son fils. Las, ses années de prison l’ont éloigné d’elle. ” Il fallait que pour trois d’entre elles ( Jeanne, Brigitte et Mélody, Ndlr), le mot ‘enfant’ soit une douleur. ”

Malgré ce contexte assez sombre, où le cancer laisse l’avenir incertain, on ressort d’ Une joie féroce l’esprit empli d’une certain lumière douce, de celle qui guide nos ” braqueuses ” dans leur acte fou. Une sensation étrange que nous laisse en bouche également son titre, lumineux lui aussi, rayonnant tout autant de hargne et de volonté. Sorj Chalandon étonne il est vrai par ce roman qui nous confronte à la maladie, à la lutte qu’elle implique et à ces ” raisons impératives “, qui nous poussent à commettre l’impensable. Un terrain miné sur lequel il faut courir pour survivre.

Sorj Chalandon, ” Une joie féroce “, éditions Grasset, 320 pages, 20,90 euros.

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