Le saint placard

Frédéric Martel, " Sodoma ", éditions Robert Laffont, 638 pages, 23 euros. © pg

C’est un véritable barouf qu’a créé le livre-enquête de Frédéric Martel. D’abord par sa sortie mondiale dans une vingtaine de pays, traduit en huit langues. Ensuite par son sujet, à savoir les révélations sur l’homosexualité de la majorité des hauts dignitaires de l’Eglise en poste à Rome. Cette somme de plus de 600 pages aurait pu n’être qu’une délation malsaine et libidineuse si elle ne s’établissait sur un certain nombre de faits attestant ce grand secret (de polichinelle, diront certains) qui influence la gouvernance du catholicisme mondial. Pour le démontrer, Frédéric Martel, sociologue et journaliste-producteur à France Culture, a reproduit une méthode que les lecteurs de ses précédents ouvrages connaissent bien ( Mainstream, Smart, Global Gay) : quatre ans d’investigation, un nombre impressionnant d’entretiens (près de 1.500) et un style qui lorgne sur le modèle anglo-saxon de la narrative non-fiction, ce qui transforme l’enquête en un passionnant page-turner.

Le Vatican est le dernier bastion à libérer.

Vase clos

Sodoma est avant tout l’histoire d’une hypocrisie, celle d’une institution morale qui prône la chasteté de ses responsables mais se ne l’applique pas, et qui condamne lourdement des orientations sexuelles qui ne lui sont pas étrangères. Dans sa première partie, consacrée à l’actuel pape François, l’auteur décrit une curie romaine vivant en monde clos. Le lecteur l’accompagne dans sa découverte d’une homosexualité librement vécue (85% du personnel clérical serait gay à Rome, et nombreux ceux qui vivraient avec leur ” beau-frère veuf “). A l’ombre de Saint-Pierre, les jeux de séduction se déroulent dans un luxe outrancier. Et participent aux jeux politiques : ” Dans un système organisé, on a souvent du sexe pour avoir du pouvoir “, résume Frédéric Martel qui décrit dans ses pages les manoeuvres d’un prélat qui préférera révéler publiquement l’homosexualité d’un de ses coreligionnaires pour le décrédibiliser auprès de la hiérarchie vaticane et des fidèles. Certes, le journaliste reconnaît en François, jésuite adepte de la théologie de la libération, une sincère volonté à lâcher la bride sur la condamnation des homosexuels, mais le nid de crabes que constitue la curie l’en empêcherait, de peur que ne soit révélé le placard (doré) qu’est le Saint-Siège. Un mensonge sur lequel l’Eglise contemporaine s’est construite.

Figure tragique

Car non content de dresser cet état des lieux, Frédéric Martel revient dans les chapitres suivants sur l’attitude de l’Eglise à l’égard de l’homosexualité sous les pontificats de Paul VI, de Jean-Paul II et enfin de Benoît XVI. Avec une certaine ” subversion dans l’écriture “, ce dernier apparaît comme ” une figure tragique ” incapable de gérer les scandales à répétition sur les abus sexuels sur mineurs par des prêtres. Mais le 265e évêque de Rome aurait ainsi démissionné (fait rarissime) suite à un rapport édifiant sur le mode de vie de l’aristocratie pontificale : ” Ratzinger n’était pas un homme de gestion, il a laissé faire des gens autour de lui qu’il n’aurait pas dû choisir pour le conseiller “.

Aux critiques et aux accusations de calomnies, Frédéric Martel répond calmement : ” Je démontre tout au long du livre comment le Vatican a toujours menti, il est logique qu’il me traite ici aussi de menteur. J’ai les enregistrements des entretiens, parfois des photos des rencontres. “

Mais l’ultime hypocrisie que renferme Sodoma, c’est la lâcheté d’une caste ecclésiastique, protégée dans les ors de Rome et qui, selon Frédéric Martel, laisse seuls avec leurs tourments les prêtres à travers le monde n’ayant pas la possibilité de vivre pleinement qui ils sont. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. En cela, l’épilogue, hommage à un prêtre atteint du sida, que le journaliste a connu dans sa jeunesse, s’avère particulièrement touchant. Miséricorde, qu’il disait !

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