Le gaz et le casier judiciaire de Merkel

Amid Faljaoui, directeur de de trends-tendances © AMID FALJAOUI, DIRECTEUR DE TRENDS-TENDANCES

Les jeunes se sont souvent désintéressés de l’Europe et quand j’évoque l’Europe, je ne vise pas notre continent ou sa population. Je pense plutôt à l’Europe institutionnelle. Nous en avons tous fait l’expérience à l’occasion de l’une ou l’autre discussion. Lorsqu’on disait à ces jeunes que l’Union européenne nous avait évité la guerre en réconciliant des anciens ennemis mortels comme la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ces mêmes jeunes avaient tendance à hausser les épaules, vu que la guerre, c’était toujours ailleurs qu’en Europe: en Syrie, en Libye, au Mali, au Yémen ou plus loin encore en Asie.

C’est amer à avaler: un élu écolo allemand est aujourd’hui obligé d’augmenter les émissions de CO2 pour éviter que ses compatriotes ne puissent pas se chauffer cet hiver.

Avec la guerre à nos portes en Ukraine, les mêmes ont compris que la parole des plus anciens n’était pas vide de sens. L’Ukraine nous rappelle que la paix n’est pas une situation garantie, elle reste fragile, il faut donc la chérir. D’ailleurs, l’Europe a encore montré son utilité la semaine dernière. La Commission européenne a été chargée de nous éviter un hiver sans gaz en jouant la carte de la coopération, exactement comme du temps du covid avec l’achat groupé de vaccins.

A vrai dire, nous n’avons pas le choix, la Russie a déjà réduit la livraison de gaz à 12 pays de l’Union européenne. Momentanément dit-elle, et pour des raisons techniques. Mais personne n’est dupe et les Allemands sont passés en mode alerte de niveau 2 sur une échelle de 3. Et donc, oui, l’Europe est entrée dans une course contre la montre pour atteindre un niveau de stock en gaz de 80% d’ici le 1er novembre. Pour l’instant, les stocks sont à 55%, ce qui signifie que cet été, la Commission européenne aura pour mission de tout faire pour nous permettre de nous passer du gaz russe.

La mission est d’autant plus urgente que Poutine pourrait décider d’un moment à l’autre de diminuer encore davantage ses livraisons de gaz. Et le président russe risque de le faire d’autant plus facilement que la hausse des prix lui a déjà permis largement de compenser la baisse des livraisons de ces dernières semaines. Pour l’Europe, cette indépendance énergétique est aussi cruciale pour ses entreprises. Motif? Si l’Allemagne n’a plus de gaz pour faire tourner ses usines, le pays entrera en récession. Et quand l’Allemagne tousse, c’est l’Europe qui souffre de pneumonie!

Pour le reste, l’Histoire retiendra que si l’ancienne chancelière Angela Merkel a été très populaire en Allemagne et ailleurs, ses compatriotes voient aujourd’hui qu’elle a clairement manqué de vision. Après la catastrophe de Fukushima en 2011, elle a décidé de fermer toutes les centrales nucléaires. Ce choix, plébiscité par la population, l’Allemagne le paie maintenant au prix fort avec la guerre en Ukraine. Car même si Merkel a parié sur les énergies renouvelables, elle a parallèlement trop misé sur le gaz russe.

Résultat? Aujourd’hui, le numéro 2 du gouvernement allemand, Robert Habeck, un écolo pur jus, doit faire appel aux centrales au charbon pour compenser le gaz russe. C’est amer à avaler: un élu écolo allemand obligé d’augmenter les émissions de CO2 pour éviter que ses compatriotes ne puissent se chauffer cet hiver. C’est donc ça l’héritage de Mme Merkel. Mais c’est aussi un rappel vivifiant pour inciter nos politiques à ne pas légiférer sous un coup de sang. L’ancien doyen de la faculté de droit de Paris disait qu’il ne fallait jamais légiférer par “anecdotes”. L’appel ne sera pas entendu car, hélas, l’immédiateté est devenue la norme. La faute principale en incombe aux réseaux asociaux qui forcent les politiques à être en campagne électorale permanente. Pour Merkel, on ne pourra plus parler de bilan, mais de casier judiciaire.

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