Dette galopante, économie assoupie, gouvernance opaque… La Wallonie est-elle la nouvelle Grèce?

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Dette galopante, économie assoupie, gouvernance opaque… Les similitudes entre la Wallonie de 2021 et la Grèce de 2010 semblent très inquiétantes. Heureusement, en s’appuyant sur des exemples tels qu’Odoo, la qualité des universités ou même la récente réforme de la politique de l’emploi, la Wallonie a aussi des arguments pour nous inciter à l’optimisme.

“La Wallonie est dans une situation financière pire que la Grèce en 2010”, avait lancé début octobre le président de la N-VA, Bart De Wever. La comparaison intègre évidemment cette dose de provocation qu’affectionne le bourgmestre d’Anvers. Mais elle repose aussi sur des éléments objectifs quant à la situation budgétaire et économique de la Wallonie, sur des pratiques comparables de clientélisme politique et même sur la montée de partis d’extrême gauche.

“Je ne rejoins pas la comparaison avec la Grèce, je refuse d’y souscrire, objecte toutefois l’économiste Geert Noels (Econopolis), l’une des voix les plus écoutées par le monde patronal flamand. Il y a des problèmes structurels qui sont indéniables et qui persistent, mais cela ne veut pas dire que l’on peut généraliser en disant que c’est la Grèce. Il faut quand même constater qu’il y a plusieurs Wallonie même si, bien sûr, à la fin, c’est une même entité dont la situation budgétaire n’est pas très rose.” Entre Waterloo et Namur, avec un petit détour par l’Aéropole de Gosselies, on retrouve en effet des axes économiques parmi les plus performants d’Europe.

30 milliards d’euros

L’endettement actuel de la Wallonie (dette consolidée).

La dette file vers les 50 milliards…

La comparaison provocatrice de Bart De Wever mérite donc de vraies nuances. Et en outre, il y a une série d’éléments, du succès des biotechs à l’épopée d’Odoo, qui doivent permettre de sortir la région de l’ornière économique. En attendant, la Wallonie y est quand même bien empêtrée.

La loi de financement protège la Région contre des chocs macroéconomiques. Elle ne la protège pas du tout contre des chocs financiers.”

Jean Hilgers (BNB)

L’indicateur le plus alarmant est sans doute aujourd’hui l’endettement de la Région. Il frôle désormais les 30 milliards d’euros (dette consolidée) et les projections du groupe d’experts appelés à la rescousse par le gouvernement wallon conduisent à une dette de 48,5 milliards d’euros à l’horizon 2030, soit 280% de ses recettes. Cela correspond à un endettement proportionnellement supérieur à celui de la Belgique d’avant le plan global du milieu des années 1990, a expliqué devant le Parlement wallon le président de ce groupe d’experts, Jean Hilgers. Directeur à la Banque nationale de Belgique, l’homme juge la situation “préoccupante”, notamment parce que ce mouvement “n’a pas vraiment de fin”. “On aurait pu tirer la tendance au-delà de 2030, on n’aurait pas encore stabilisé le phénomène”, assure-t-il

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… sans compter la dette “implicite”

D’ailleurs, même si par un miracle du plan de relance Get Up Wallonia, la reprise wallonne s’avérait supérieure à la moyenne belge, l’impact budgétaire serait limité. D’une part parce qu’une bonne partie des recettes profiterait au niveau fédéral (impôt des sociétés, TVA). D’autre part parce que si le revenu par habitant se rapprochait de celui de la Flandre, la Wallonie verrait le mécanisme de solidarité prévu dans la loi de financement, raboté en conséquence (il lui apporte 650 millions actuellement). Un redressement économique ne suffirait donc pas à sortir la Région de l’ornière budgétaire. D’autant que la dette de la Fédération Wallonie-Bruxelles (10 milliards, soit 100% de ses recettes) constitue, rappelle Jean Hilgers, “une dette implicite de la Région wallonne”. Autre menace: celle des pouvoirs locaux et en particulier le financement des pensions de leur personnel. “Trouvera-t-on une solution fédérale (les pensions relèvent à ce jour toujours du fédéral, Ndlr) ou restera-t-on dans le cadre de la tutelle régionale sur les pouvoirs locaux? interroge Benoît Bayenet, président du Conseil central de l’économie et membre du groupe d’experts sur la dette wallonne. Faut-il réintégrer ce débat dans la discussion générale sur l’avenir des pensions, au niveau fédéral donc?”

Pour l’heure, la charge de la dette régionale pèse 600 millions d’euros, ce qui reste soutenable sur un budget de 15-16 milliards. Cette charge a toutefois continué à augmenter au fil des ans, en dépit de la baisse des taux. “L’effet volume fait plus que compenser l’effet valeur, lié à la baisse des taux”, résume Jean Hilgers. A l’horizon 2030, cette charge d’intérêt atteindrait 1 milliard d’euros. Mais si les taux devaient augmenter de 400 points de base, elle filerait jusqu’à… 5 milliards, ce qui ne serait plus du tout soutenable. “La loi de financement protège la Région contre des chocs macroéconomiques. Elle ne la protège pas du tout contre des chocs financiers, commente Jean Hilgers. Il n’y a pas de mécanisme de solidarité, il n’y a rien: chacun assume son propre risque.”

La BCE ou l’Union européenne peuvent intervenir pour un Etat souverain, comme elles l’ont fait avec la Grèce, mais pas pour une région.”

Benoît Bayenet (Conseil central de l’économie)

Elle serait d’autant plus esseulée que les mécanismes financiers européens n’ont guère prévu l’éventualité où une entité décentralisée d’un Etat de la zone euro viendrait à faire défaut. “La BCE ou l’Union européenne peuvent intervenir pour un Etat souverain, comme elles l’ont fait avec la Grèce, mais pas pour une région, pointe Benoît Bayenet. Rien n’est prévu pour une entité décentralisée en Belgique, en Italie, en Espagne ou ailleurs. A priori, personne ne peut donc venir à leur secours. Or, on a vu, dans le cadre des inondations, à quel point il est compliqué pour l’Etat fédéral de venir soutenir de manière directe une entité en difficulté. Le risque est là aussi…”

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Soutenable malgré tout?

Malgré ce tableau peu engageant, les experts assurent que la dette wallonne peut encore rester sous contrôle. Ils recommandent de réaliser un effort structurel de 1% des recettes (soit 150 millions dans le budget 2022) pendant les 10 prochaines années. “Cela génère un infléchissement de la dette après trois, quatre ans, précise Jean Hilgers. Cela permet de créer des marges de manoeuvre pour l’avenir, certes pas de manière spectaculaire, mais sérieuse.”

Le gouvernement s’est engagé à suivre cette recommandation (qui représentera un effort cumulatif de 900 millions d’ici la fin de la législature!) sans toutefois préciser comment il allait s’y prendre. Un certain scepticisme plane quant à sa capacité à procéder aux arbitrages entre les trois composantes de la majorité arc-en-ciel et à ranger tout le monde derrière un intérêt général admis de tous.

Bétonner l’effort de 1%

“Que faites-vous dans votre ménage quand il y a de tels problèmes budgétaires? interroge le président de l’Union des classes moyennes Pierre-Frédéric Nyst. Vous établissez les priorités, vous tentez d’augmenter les recettes et de diminuer les dépenses. Le problème, c’est que les priorités du MR ne sont pas celles du PS ni d’Ecolo. Résultat: nous arrivons sous le niveau de flottaison. Sur ce point, la comparaison avec la Grèce me paraît pertinente…”

“A cet égard, le budget 2022 me semble un très mauvais signal, abonde l’économiste Didier Paquot, de l’Institut Destrée. Ce budget affiche un déficit courant de plus d’un milliard, hors des impacts covid et inondations. Depuis 2015, les dépenses ont explosé. Il faut casser cette dynamique. Arrêter de dépenser plus que ses recettes, ce n’est pas de l’austérité, c’est de la bonne gestion.” Le ministre wallon des Finances Jean-Luc Crucke (MR) souhaite bétonner le désendettement en inscrivant l’effort structurel de 1% des recettes dans une règle d’or, qui serait votée par le Parlement wallon et s’imposerait dès lors à chacun des 10 prochains budgets, quels que soient les gouvernements successifs.

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