La quête de transparence des prix de l’immobilier

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L’idée de rendre publiques toutes les données relatives aux transactions immobilières fait son chemin. Une manière de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Dans un marché immobilier parfois très opaque, tant pour les acheteurs que pour les vendeurs, ces informations pourraient sans doute faire évoluer certaines pratiques.

Elles proviennent du SPF Economie, des notaires, de l’agence immobilière Trevi, des géomètres- experts de Bruxelles ou encore du bureau d’évaluation immobilière de Crombrugghe & Partners. Et sont publiées dans la presse trimestre après trimestre. Parfois sans recul, parfois avec analyse, comme nous tentons de le faire dans ce supplément.

Le marché immobilier est inondé de statistiques en tous genres depuis de longues années. De quoi informer et éventuellement orienter le candidat acquéreur ou l’investisseur. Sauf que toutes ces sources ont un point commun : les limites de la précision de leurs informations, chaque baromètre ayant ses défauts et ses qualités. Car si ces statistiques permettent de dessiner les tendances d’une Région, d’une commune voire d’un quartier, elles ne permettent toutefois pas de refléter suffisamment précisément la valeur d’un bien, tant certains éléments font défaut (localisation, caractéristiques du bien, état de rénovation, etc.). ” Ce qui est réellement problématique, estime l’économiste Roland Gillet, professeur à la Sorbonne (Paris 1) ainsi qu’à l’ULB (Solvay) et expert au niveau international. Chaque bien est unique, généraliser les prix est donc un exercice délicat. Donner une meilleure information me paraît donc être primordial et d’intérêt public. ”

Cette transparence n’aura rien de révolutionnaire : il est déjà possible d’avoir une idée du prix de la maison de vos voisins. Ici, on veut juste affiner les informations.

Pour tenter de dissiper le brouillard autour de l’information qui circule dans l’immobilier, de plus en plus d’acteurs souhaitent rendre publiques les données relatives aux transactions immobilières. Un procédé déjà en vigueur dans certains pays tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas et, plus récemment, la France. Pour ce dernier, un site officiel (1) rassemble désormais les données fournies par les notaires lors de l’enregistrement des transactions immobilières. En quelques clics sur une carte, un particulier peut savoir à quel prix s’est vendue l’habitation de son voisin (hors frais de notaire et honoraires de l’agence immobilière). Un outil qui va encore s’affiner (année de construction, état du bien, etc.) mais qui reprend déjà les transactions enregistrées ces cinq dernières années – aller au-delà ayant été jugé peu représentatif du marché par le gouvernement français. ” Leur plateforme est en open source, explique Pietjan Vandooren, fondateur de Rockestate, société spécialisée dans les data, et qui milite pour la transparence de ces données. Elle pourrait donc être aisément transposée à moindre frais chez nous si le gouvernement belge le décide. L’achat d’une habitation est pour beaucoup de gens l’opération financière la plus importante de leur vie. Des informations structurées sur les prix des transactions d’autres propriétés pourraient rendre le marché immobilier plus transparent et plus équitable. Dans les chiffres qui circulent actuellement, il manque la granularité recherchée par un acheteur ou un vendeur. Bien entendu, il est utile de connaître le prix de vente moyen d’une maison à Bruxelles. Mais si vous êtes sur le point d’acheter une maison à Ixelles, vous voulez surtout savoir à quel prix des maisons similaires dans les environs immédiats ont été vendues. D’où l’intérêt pour les citoyens que le gouvernement rende ces données publiques. ”

Précisons qu’il est déjà possible de consulter l’historique des transactions immobilières si on se déplace au Bureau de sécurité juridique, qui réunit le bureau de l’enregistrement et le bureau des hypothèques. Mais seuls les spécialistes s’y rendent. Et il s’agit d’informations payantes.

La confiance fluidifie le marché

Des experts réclament en fait depuis de longues années la mise en place d’un indice objectif des prix de l’immobilier en Belgique. Christian Lasserre, l’ancien directeur académique de l’Executive Master en immobilier à l’Université Saint-Louis, en avait fait l’un de ses fers de lance. Roland Gillet, lors de son bref passage comme conseiller de Charles Michel, alors Premier Ministre, avait remis le dossier à l’agenda. ” Sans trahir de secret, qui pourrait ne pas être favorable à davantage de transparence et à une meilleure information pour les particuliers “, répond l’économiste quand on lui demande la réaction du gouvernement de l’époque.

Plus récemment, le député bruxellois Christophe De Beukelaer (cdH) a pris le relais au niveau politique, interpellant Sven Gatz (Open Vld) au Parlement bruxellois et sollicitant son collègue Georges Dallemagne pour faire de même au niveau fédéral auprès du ministre des Finances Alexander De Croo (Open Vld). ” Il y a une certaine ouverture sur la question, reconnaît le député bruxellois. Rendre ces données publiques nécessiterait toutefois l’adoption d’une nouvelle loi, que nous sommes en train de rédiger. Cette transparence est réellement importante car elle peut garantir des prix plus justes en fournissant au citoyen lambda les informations dont disposent les professionnels de l’immobilier : les notaires, les banques, les promoteurs, etc. L’Etat peut décider que ce privilège permettant d’avoir un accès prioritaire aux biens les plus avantageux n’a plus lieu d’être et y mettre un terme. ” Et Pietjan Vandooren d’ajouter : ” Le lobbying de ces acteurs pour préserver leurs acquis est important. Tant les notaires que les agents immobiliers ou les promoteurs ne peuvent plus avoir un coup d’avance sur les particuliers. Les transactions immobilières sont encore trop opaques “.

Du côté des notaires, on joue en tout cas la carte de la transparence. ” Si l’Etat nous le demande, nous sommes clairement ouverts à rendre les transactions publiques, lance le notaire Renaud Grégoire, porte-parole de la Fédération royale du notariat belge. Tout ce qui facilite l’accès à la propriété doit être renforcé. Nous sommes dans une société qui réclame de plus en plus de transparence en matière de prix. Si on connaît le prix de votre voiture, pourquoi pas celui de votre maison. Si cet outil est mis en place, il va susciter de la curiosité pendant un an ou deux et puis cela se tassera. Toutefois, si le marché immobilier est aujourd’hui occulte, ce n’est pas sur les prix mais sur les manières de procéder. ”

L’écueil de la vie privée

Et Roland Gillet d’ajouter : ” Il ne fait aucun doute que les décisions d’achat et de vente sont facilitées quand l’information est libre et accessible. Quand le marché est opaque, le vendeur a tendance à se protéger en fixant un prix trop élevé. Mais si on parvient à rassurer les deux parties que le prix est juste, on facilite la vente. Augmenter la confiance améliore la fluidité du marché “. Ce qui pourrait donc, à terme, même augmenter le nombre de transactions.

Cette transparence possède bien évidemment ses avantages et ses inconvénients. La protection de la vie privée semblant être l’écueil plus important. ” Je pense que, dans ce cas-ci, les dommages sur la vie privée n’équivalent pas les dommages que créent la discordance actuelle d’informations que connaît le marché, lance Christophe De Beukelaer. Cette transparence n’aura rien de révolutionnaire : il est déjà possible d’avoir une idée du prix de la maison de vos voisins. Ici, on veut juste affiner les informations. ” De quoi mettre en péril, par ricochet, le métier d’agent immobilier ? Leur connaissance du marché et les spécificités d’une vente immobilière ne devraient pas les mettre en danger. D’autant que chaque bien est différent. Tant aux Etats-Unis qu’au Royaume-Uni, deux pays où la transparence est de mise, les agents occupent par exemple une place prépondérante. Aux Etats-Unis, 95 % des ventes passent par eux. ” Ils devront toutefois se réinventer quelque peu “, ajoute Pietjan Vandooren.

(1) https://app.dvf.etalab.gouv.fr/

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