Jeffrey Epstein et le rasoir d’Ockham

Amid Faljaoui Rédacteur en chef de Trends-Tendances

Les théories de la conspiration sont très séduisantes. Aujourd’hui, ce sont les Américains qui se posent des questions sur Jeffrey Epstein, un milliardaire américain qui s’est suicidé dans une prison pourtant réputée être extrêmement bien surveillée !

Comme ce financier était accusé d’avoir organisé des rencontres sexuelles sur son île avec des filles mineures, la machine conspirationniste s’est mise en marche. Avec d’autant plus de facilité que Jeffrey Epstein avait des contacts au plus haut niveau politique et économique : des célébrités comme Bill Clinton, Donald Trump ou le prince Andrew le connaissaient bien et certains d’entre eux sont venus sur son île, d’après la presse américaine. Bref, le suicide en prison de Jeffrey Epstein serait un nouveau scandale car il arrangerait beaucoup de monde très haut placé.

Face à ces théories du complot, il faut faire comme le très avisé commentateur américain James Altucher : prendre du recul. D’abord, la presse affirme qu’Epstein gérait un fonds spéculatif… mais c’est probablement faux. Pourquoi ? Parce que gérer un tel fonds nécessite de lever des fonds de manière régulière auprès d’importants investisseurs. Pour y arriver, il faut mettre en place des équipes marketing, opérer des due dilligence, etc. Bref, mettre en place un staff assez conséquent. Le hic, dans cette histoire, c’est que personne jusqu’à présent n’a participé à des levées de fonds pour le compte du fonds de Jeffrey Epstein.

Le fonds spéculatif de Jeffrey Epstein n’aurait été qu’une couverture. D’après le raisonnement de James Altucher, le fonds en question serait plutôt une sorte de club privé, genre ” Club Epstein “.

Par ailleurs, pour être milliardaire à la tête d’un fonds spéculatif, il aurait fallu gérer au moins 5 milliards de dollars pendant une décennie. Là encore, les documents financiers de Jeffrey Epstein montrent que son ” fonds ” ne gérait que 559 millions de dollars. Ce fonds était-il un vrai fonds ? James Altucher en doute car il sait d’expérience que les règles de la SEC, le gendarme financier américain, imposent au fonds de dévoiler tous les investissements de plus de 100 millions de dollars. Et cela, tous les trois mois. Or, ici encore, pas de trace de ce genre d’investissement…

Donc, comme le fait remarquer avec malice James Altucher, ce financier milliardaire n’était sans doute pas milliardaire, ni vraiment financier. Mais les documents officiels ne parlent-ils quand même pas de 559 millions de dollars… ? C’est justement ici que la réalité serait sans doute plus simple que ce que les conspirationnistes veulent croire : le fonds spéculatif de Jeffrey Epstein n’aurait été qu’une couverture. D’après le raisonnement de James Altucher, le fonds en question serait plutôt une sorte de club privé, genre ” Club Epstein “. En gros, si vous avez beaucoup de sous et que votre moralité peut prêter à discussion, je peux vous proposer de verser de l’argent dans mon soi-disant fonds. L’intérêt ? Vous avez accès en toute sécurité et en toute confidentialité à mon île privée et aux soirées avec les jeunes filles qui s’y trouvent. En plus, je m’arrange pour y organiser des activités intellectuelles (des speeches d’orateurs réputés, par exemple) pour donner une certaine respectabilité au séjour.

Le calcul est simple : si l’adhésion au club Epstein (pardon, au ” fonds spéculatif “) était de, par exemple, 20 millions (de l’argent de poche, pour ces gens), il suffisait de 30 membres pour atteindre 600 millions de dollars. Soit le montant du fameux fonds spéculatif qui n’en serait pas un, si l’on suit toujours James Altucher. Mais quel est l’intérêt pour les ” membres ” de verser 20 millions pour s’offrir ce genre d’amusements que la morale réprouve et qu’ils peuvent s’offrir eux-mêmes ? Réponse : la discrétion. Si vous êtes, par exemple, un cheikh du Moyen-Orient et que vous vous éclipsez 10 fois par an en Thaïlande, vous risquez d’attirer l’attention. En revanche, si vous allez voir un respectable gestionnaire d’un fonds spéculatif et assister à une conférence, personne n’y prêtera attention.

Tout le raisonnement de James Altucher se base sur ” le rasoir d’Ockham ” utilisé par les philosophes. Selon le principe du rasoir d’Ockham, lorsque plusieurs hypothèses sont en compétition, il faut privilégier la plus simple. Par exemple, quelqu’un affirme que le père Noël existe : d’un côté, il est impossible de démontrer scientifiquement que c’est faux ; de l’autre, pour justifier son existence, il faut accepter que le père Noël utilise des technologies inconnues à l’heure actuelle ou qu’il ait des capacités surhumaines. Il est donc plus sage d’opter pour la réponse la plus simple : ce sont les parents qui apportent les cadeaux. Voilà comment la théorie du rasoir d’Ockham aide James Altucher à décrypter le scandale Epstein, y compris le mystère qui entoure son suicide. Bien entendu, la méthode du rasoir d’Ockham n’est pas infaillible, mais elle a au moins un mérite : faire réfléchir.

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