Il faut sauver l’entrepreneuriat

Tobias Lütke, fondateur et directeur général de Shopify, la plateforme de création de boutiques en ligne © PG

Et si à votre réveil, demain, toute la musique avait disparu ? Imaginez la planète dépourvue de cette richesse. Serait-ce la fin du monde ? Non. Mais ce n’est pas le monde pour lequel j’ai signé. Maintenant, remplacez ” musique ” par ” entrepreneuriat “. Et si à votre réveil, un jour, l’entrepreneuriat était mort ?

Bien que la culture des start-up bénéficie à présent d’une plus grande visibilité, l’entrepreneuriat connaît un déclin depuis plusieurs décennies. Depuis 1978, le nombre de nouvelles entreprises aux Etats-Unis a diminué de près de moitié, selon (le think-tank américain) Brookings Institution. Presque tous les pays industrialisés ont enregistré des baisses similaires.

L’entrepreneuriat ne s’éteindra pas en 2019, mais il est en danger. Il n’y a pas si longtemps, toutes les villes offraient des possibilités de création de petites entreprises. Chaque quartier avait besoin d’un boucher, d’un boulanger, d’un fabricant de bougies. Puis sont venues les grandes surfaces, et tout a changé. Il y a moins de place pour l’entrepreneuriat traditionnel quand la grande distribution domine les mondes physique et numérique.

D’autres obstacles existent. L’obtention d’une autorisation est nécessaire pour de nombreux types d’entrepreneuriat. Aux Etats-Unis, Mark Zuckerberg a pu lancer Facebook sans rien demander, mais il n’aurait pas pu couper des cheveux sans le feu vert des autorités.

Je sais à quel point il est difficile de monter une entreprise. C’est un processus solitaire. Et fondamentalement irrationnel. On travaille 100 heures par semaine pour soi pour éviter de travailler 40 heures par semaine pour quelqu’un d’autre. Mais c’est ce que les entrepreneurs ont de merveilleux. Ils ne veulent pas forcément conquérir le monde, mais juste créer leur activité à eux. Ils aspirent à l’indépendance.

Si les commerçants qui utilisent Shopify adorent leur activité, c’est qu’ils sont libres de prendre leurs propres décisions. Combien d’entre nous aimeraient jouir d’une telle indépendance si ce n’était pas si dur ? Pensez à ceux qui ont afflué vers San Francisco en 1849. Au moment de la ruée vers l’or, était-il vraiment question d’or ? Non, il était question de chance à saisir. Il suffisait d’une pioche, et on était couvert d’or.

Pour préserver l’entrepreneuriat, nous devons simplifier les démarches. Pour garder des villes dynamiques et stimuler l’emploi, chaque intervenant – administrations publiques, banques, fournisseurs de technologies – doit réduire les obstacles que rencontrent les entrepreneurs.

Nous devons aussi élargir notre définition de l’entrepreneuriat au-delà des stéréotypes de la Silicon Valley. Les immigrants qui essaient de joindre les deux bouts pour leurs familles sont aussi au nombre des entrepreneurs. Quand je suis arrivé d’Allemagne au Canada, j’ai lancé un magasin de snowboards en ligne appelé Snowdevil parce que je ne pouvais pas obtenir de permis de travail. En définitive, le logiciel que j’ai conçu pour ce magasin est devenu Shopify. Les taux d’entrepreneuriat ont beau reculer, les entreprises détenues par des immigrants aux Etats-Unis augmentent : elles sont passées de 14% en 2007 à 16% en 2016, selon le bureau national des statistiques aux Etats-Unis (United States Census Bureau). Sur les 500 premières entreprises du classement du magazine Fortune, pas moins de 43% ont été fondées par des immigrants ou leurs enfants.

Il est grand temps d’éliminer les obstacles à la création d’entreprise et de protéger les nouveaux entrepreneurs.

Les femmes qui viennent de devenir mères et souhaitent passer plus de temps à la maison comptent aussi parmi les entrepreneurs. Dans notre enquête annuelle, les femmes sont 75% de plus que les hommes à confier que le travail à domicile est leur principale motivation dans le lancement d’une entreprise. Les individus qui revendiquent un ” genre non binaire ” (qui ne se considèrent ni homme ni femme) ont une probabilité quatre fois supérieure de devenir entrepreneurs, car ils rencontrent des difficultés à trouver un emploi ailleurs. L’entrepreneuriat n’est pas toujours une passion. Il relève parfois d’une nécessité.

L’entrepreneuriat est un vieux métier. Nous ne pouvons pas le laisser disparaître. Mais nous sommes sur la bonne voie. Les technologies telles que la réalité augmentée, par exemple, engendrent de nouvelles catégories d’entrepreneuriat ; démarrer une entreprise est plus accessible avec les nouvelles plateformes technologiques.

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