Enquête Durabilité: il faut investir largement
Electrification du parc automobile, incitation aux déplacements à vélo et installation de panneaux solaires: en matière de durabilité, les entreprises cueillent d’abord les fruits à portée de leur main. Mais un avenir au ciel dégagé exige bien d’autres mesures qui nécessiteront de vrais investissements.
L’entreprise de demain se construit aujourd’hui. Mais quelle est la solidité des fondations si personne n’est capable d’identifier les mesures à prendre, maintenant et à l’avenir? C’est l’une des observations les plus remarquables de l’enquête de Trends- Tendances sur la résilience et la durabilité. “Ces résultats ne me surprennent pas, déclare David Veredas, économiste spécialiste du développement durable à la Vlerick Business School. Les entreprises commencent seulement à passer à un mode de pensée durable. Elles suivent la même trajectoire que celle empruntée lors de leur processus de numérisation. Il y a sept ans, quiconque demandait comment une entreprise allait affronter le nouveau monde du digital obtenait aussi le plus souvent une réponse dédaigneuse ou évasive.”
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En outre, nous vivons une époque économiquement incertaine. “Les prix de l’énergie battent tous les records, l’inflation poursuit sa hausse et les entreprises doivent faire face à d’énormes augmentations de frais de main-d’oeuvre à cause de l’indexation des salaires, explique le professeur d’économie Koen Schoors (UGent). Pendant ce temps, les marchés se contractent et une récession se profile. Les entreprises ne savent pas comment réagir à ces signaux contradictoires.”
Cette incertitude peut déclencher deux réactions, poursuit le professeur. Ceux qui ont déjà investi dans les énergies renouvelables en récoltent aujourd’hui les fruits. Cela leur apporte une certaine tranquillité d’esprit et rend possibles de nouveaux investissements. A l’inverse, ceux qui ne l’ont pas encore fait peuvent se trouver en telle situation de stress qu’ils en reportent leurs investissements. “Mais cette décision ne serait pas sage parce que les énergies renouvelables nous rendent beaucoup plus résistants aux crises.”
Pour être à l’épreuve du futur, et donc plus durable, il ne suffit toutefois pas de diminuer ses coûts énergétiques. D’autres initiatives doivent être prises. Par exemple, utiliser les matières premières de manière circulaire. Ou repenser certains produits et processus et les politiques de ressources humaines. Pourtant aujourd’hui, la hausse des frais liés à la main-d’oeuvre pousse d’abord les chefs d’entreprise à se jeter sur leur calculatrice. “Il est tentant de reporter ou d’annuler certains investissements, constate Geert Janssens, économiste en chef d’Etion, association flamande d’entreprises engagées. Il s’agit certes d’une stratégie de survie, mais surtout d’une pensée à court terme. Parce que ce réflexe peut en fait aussi signifier la fin de l’entreprise. Le message, c’est, au contraire, de plutôt procéder à un large investissement.”
Bien sûr, les entreprises qui ont déjà pris des mesures pour être davantage durables ont surtout choisi les fruits les plus faciles à cueillir: un parc automobile plus écologique, des vélos, des panneaux solaires… “Des mesures qui sont toutes subsidiées d’une manière ou d’une autre, remarque David Veredas. Or, pour être vraiment résiliente face à l’avenir, l’entreprise doit déployer une véritable stratégie de durabilité. Contrairement à ce que montre votre enquête, je crois en la nécessité pour chaque entreprise de nommer un vrai responsable de la durabilité. De préférence quelqu’un qui fasse partie du comité exécutif, car ce n’est qu’à ce niveau-là qu’il pourra avoir un impact réel. Et dans un monde idéal, un tel responsable relèvera du directeur financier parce que le climat est un investissement et non un coût, puisque le retour sur investissement peut être constaté immédiatement.”
Une structure comme Etion dispose d’un programme pour aider les entreprises et les entrepreneurs à se lancer dans ces démarches. “Nous revenons à l’essentiel, explique Geert Janssens. Quel est votre objectif? Quel type d’entreprise êtes-vous? Ce n’est que lorsque vous aurez répondu à ces questions que vous pourrez mettre en oeuvre une bonne stratégie menant à la neutralité carbone et la durabilité. C’est un exercice difficile car les entreprises doivent parfois développer un nouveau modèle commercial ou adapter leur produit. Le passé ne permet pas de mesurer l’avenir. Mais cela, tout le monde ne le comprend pas.”
Octroi de crédits
En outre, n’oublions pas que sous l’impulsion de l’Europe, les banques ont récemment commencé à prendre en compte les critères de durabilité ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) lors de l’octroi de crédits aux grandes entreprises. Et les PME, soit la plupart des entreprises belges, suivront bientôt… Or, une étude récente du professeur David Veredas, commandée par ABN Amro, montre qu’elles en tireront elles aussi des avantages. “Les PME devront convaincre leurs fournisseurs et leurs clients de rejoindre la voie du durable encore plus que les grandes entreprises, explique l’économiste. Mais plus elles deviendront durables, plus elles pourront contracter des prêts à moindre coût. Le concept du ‘cradle to cradle’ (recyclage des produits à l’infini, Ndlr) gagne en importance. Chaque producteur devient coresponsable de l’ensemble du processus d’un produit ou d’un service, jusqu’à la fin de son cycle de vie. Cela crée beaucoup d’opportunités.”
“Les entreprises doivent prendre des mesures dès maintenant, confirme Geert Janssens. Celles qui ne prennent pas le train en marche risquent de se retrouver hors jeu. Si elles ratent des commandes ou des contrats parce qu’elles ne sont pas durables, ou ne peuvent plus obtenir de crédit ou doivent payer davantage d’intérêts, elles pourraient finir très vite très mal.”
Règlement
Reste que selon l’enquête de Trends-Tendances, le tableau est moins sombre aux yeux des CEO qu’à ceux des salariés. Des CEO qui affirment également qu’ils ne reculent pas devant les investissements nécessaires à la durabilité de leur entreprise, mais ce dont doutent davantage leurs employés… “Cela suggère que les dirigeants ne communiquent pas suffisamment sur leurs projets, déclare Geert Janssens. Or, on sait que des employés qui sont impliqués dans un tel processus font habituellement preuve de plus d’engagement et se battent vraiment pour leur entreprise. Nous soutenons donc fortement l’entrepreneuriat participatif où les membres du personnel deviennent copropriétaires du processus de changement, partageant éventuellement les bénéfices ou même le capital. Les bonnes performances deviennent alors un facteur de motivation intrinsèque, car ces employés s’identifient aux objectifs de l’entreprise.”
Ceci étant, le fait que les cadres soient théoriquement plus sensibles aux mesures à prendre peut également s’expliquer par la réglementation en vigueur. La problématique du climat est comme une faille dans le bon fonctionnement du marché. Le gouvernement doit donc intervenir pour permettre cette transition. “Un bon exemple est le Green Deal européen, assure l’économiste d’Etion. Il fournit un cadre permettant à tous les pays européens d’agir simultanément. Maintenant que les émissions de CO2 ont un prix, via la taxe sur le carbone, les entreprises sont obligées de réagir pour les réduire. Sinon, elles seront en situation de désavantage concurrentiel. Mais ce prix, un marché autorégulateur ne se l’aurait jamais imposé de lui-même.”
“Ici, le gouvernement agit comme un catalyseur du marché, confirme Koen Schoors. La réglementation garantit la normalisation: si vous savez quelles conditions vous devez remplir, vous savez aussi ce qu’elles provoqueront à long terme.”
On le voit, les chefs d’entreprise, les employés et les gouvernements sont de plus en plus nombreux à suivre cette voie vers la durabilité. Reste à savoir si les actionnaires, pour lesquels les rendements priment encore souvent sur le reste, en font autant et s’ils soutiennent ces développements. “Les actionnaires principalement spéculatifs ont freiné le renouvellement et l’innovation pendant un certain temps, concède David Veredas. Mais maintenant que les objectifs climatiques doivent être communiqués dans les rapports annuels, c’est en train de changer. Car cette mesure facilite les contrôles.”
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