Du show au business

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Elle est désormais seule, depuis la disparition de René Angelil. Pendant 30 ans, ils ont bâti un empire, aujourd’hui géré d’une main de fer par la diva. Changement d’image et de collaborateurs, Céline Dion endosse en pleine lumière ses habits de femme d’affaires. Histoire d’une métamorphose.

En un peu plus d’un an, elle s’est séparée des collaborateurs mis en place par son mari, elle s’est hissée dans le Top 50 des femmes les plus fortunées d’Amérique, elle a sorti un album en français, en prépare un second en anglais, tout en poursuivant une double carrière. A la rentrée, elle lance une nouvelle marque lifestyle et s’affiche comme rarement dans les médias : loin de l’image de veuve éplorée qui menait le cortège funèbre de son René Angelil, Céline Dion se révèle. Voici comment et pourquoi.

Une femme d’affaires qui sort de l’ombre

” Je ne suis pas une superstar, je suis Céline. ” La formule est imparable, à l’image de l’empire financier et musical bâti depuis maintenant 30 ans par la chanteuse qui a fait le ménage parmi les collaborateurs fidèles. Sans que cela entame, bien au contraire, le business Céline Dion : en 2016, elle a empoché plus de 42 millions de dollars, devenant la 43e femme la plus riche d’Amérique. Un pactole qui vient s’ajouter à une solide fortune de 400 millions de dollars, que l’artiste supervise dans l’ombre via sa société fondée en 1982 : Les Productions Feelings. Car depuis ses 18 ans, la star produit elle-même ses disques, ses clips, ses spectacles, ses tournées mondiales, la distribution de produits dérivés et la réalisation d’albums d’autres artistes, dont le chanteur Garou à ses débuts. Une mainmise sur chaque aspect de sa carrière, que la chanteuse gère presque exclusivement avec ses proches. Son frère Michel Dion, deux de ses soeurs et Patrick Angelil, fils d’un mariage précédent de René Angelil, ont rejoint très tôt l’entreprise familiale, ” où la vie privée et professionnelle sont intiment liés “, explique sa biographe officielle Elisabeth Reynaud, auteur de Céline et René : Un amour invincible (éditions Les 2 Salamandres). Ou comment circonscrire au sein d’un cercle d’intimes un business très fructueux.

Aujourd’hui seule en son royaume, Céline Dion s’est séparée en avril de son manager Aldo Giampaolo, nommé par René Angelil en 2014, sans ambition avérée de le remplacer. A moins que cela ne soit un jour par son fils René-Charles, encore âgé de 16 ans. ” Elle est exigeante, perfectionniste et surtout elle décide de tout, que cela soit en musique ou en affaires “, confie Elisabeth Reynaud. D’autant que s’ajoute aux Productions Feelings, la propriété du golf privé Le Mirage, du restaurant Schwartz à Montréal, la gestion d’une société immobilière, Renlec Management, grâce à laquelle elle a gagné, depuis le début de l’année, 38,5 millions de dollars, uniquement avec la vente de sa villa à Jupiter’s island, en Floride. Au rang des divas les plus fortunées, Barbra Streisand et Beyoncé ne peuvent que s’incliner.

Une double carrière habilement menée

Quand on est une marque globale, on sait s’adapter à ses marchés : au coeur du business de Céline Dion, il y a cette double carrière habilement menée entre les pays francophones et les Etats-Unis. L’an dernier, pour sa tournée mondiale, la chanteuse dévoilait ainsi deux spectacles au storytelling finement rodé et taillé sur mesure pour chaque public concerné. Dans la salle du Colosseum à Las Vegas, que René Angelil lui a fait construire pour 95 millions de dollars, la star endosse ses habits de madone pop : pas de classiques signés Jean-Jacques Goldman, mais des tubes interprétés en anglais et une scénographie adaptée à l’extravagance de la ville américaine, mêlant robes fendues et jeux de lumières. Chaque soir, Céline Dion y réaffirme son statut d’icône insaisissable. Car la chanteuse s’adresse à des spectateurs de passage, venus plus pour le show que pour la musique. ” Là où elle revendique aux Etats-Unis son statut de diva américaine, à la distance assumée, elle a noué un lien plus intime en Europe et au Canada, où ses publics se composent davantage de passionnés, ajoute Elisabeth Reynaud. Ils ont le sentiment de faire partie de sa famille, car elle se livre à eux sans fard. D’où l’osmose émotionnelle qui s’est créée au fil de ses spectacles. ”

Au-delà de leurs spécificités marketing, ce qui relie ses spectacles joués entre l’Europe et l’Amérique est le vent de nouveauté, sinon de modernité, insufflé depuis peu par la reine de Las Vegas. La chanteuse a changé de styliste, s’entourant de Law Roach, d’ordinaire plus habitué à habiller Ariana Grande, la coqueluche des adolescentes. Sur sa nouvelle tournée, Céline Dion apparaît en baggy, T-shirt blanc et Perfecto pailleté, osant même le jogging pour mieux s’affirmer en femme de son époque. Des bouleversements sur scène et en coulisses, que l’on doit à l’arrivée d’une équipe formée à l’école du Cirque du soleil : son conseiller artistique n’est autre que Gilles Ste-Croix, l’un des fondateurs du géant circassien, tandis que le compositeur Scott Price est à la direction musicale, et se sépare de quatre de ses musiciens historiques. Car attentive à la concurrence et à la jeune génération, la chanteuse entend bien renouveler son image, surtout à Las Vegas, la source des profits. En contrat jusqu’en 2019, elle a joué en octobre son 1.000e concert. Ces shows, qui lui ont rapporté plus de 350 millions de dollars depuis 2003, ont contribué à créer près de 7.000 emplois indirects et à l’augmentation de 3 % du tourisme. En 2011, Air Canada a même multiplié ses liaisons entre les villes du Québec et Las Vegas, preuve que Céline Dion attire à Sin City plus qu’aucun autre artiste en résidence.

Une nouvelle approche de la concurrence

C’est pour mieux toucher ce double public que la star a toujours sorti deux albums à quelques mois d’intervalle : l’un en anglais, l’autre en français. Là encore, la Canadienne y joue une petite musique bien différente : l’intime pour le Canada et la France, les grands tubes pop pour les Etats-Unis.

Sur son dernier disque Encore un soir, paru en août 2016, elle faisait le choix de ballades personnelles, introspectives. En puisant dans la mémoire collective avec. Sous la plume du fidèle Goldman, Céline Dion fredonne Encore une heure/Encore une larme de bonheur, le public s’émeut et applaudit, hissant le disque numéro 1 des ventes au Canada, en Suisse et en Belgique. En France, 217 000 exemplaires s’écoulent en une semaine, soit l’un des meilleurs démarrages enregistrés pour une artiste depuis neuf ans.

” Son prochain album en anglais sera davantage commercial, avec des sons très actuels. Très différent donc de son disque français “, indique le producteur Humberto Gatica, actuellement en studio avec l’artiste. Seul un premier single, Recovering, a pour le moment été dévoilé, signé par Pink, une valeur sûre de la musique pop. Fatiguée d’enregistrer ses albums en coup de vent, entre deux avions, la star souhaite prendre son temps pour mieux réussir sa reconquête d’un public plus jeune en Amérique, faisant notamment appel à la chanteuse SIA, auteure du tube planétaire Chandelier. ” Au fil des années, elle est devenue très protectrice de sa musique “, déclare Humberto Gatica, contredisant les on-dit selon lesquels Céline Dion ne serait qu’une simple interprète. Surtout depuis l’enregistrement, en 1997, de son tube My Heart Will Go On, bande-son oscarisée du blockbuster Titanic, sur laquelle elle fut ” forcée ” de poser sa voix, sans pour autant en aimer le morceau. Reste que là où Céline était autrefois attentive aux goûts de René, elle l’est aujourd’hui tout autant avec ceux de son fils, plus enclin à écouter du Beyoncé que les classiques de la famille Dion. Un nouveau tandem dévoilé lors de la tournée européenne, où le jeune homme est venu rapper aux côtés de sa mère. Un virage pop qui se concrétisera prochainement en studio et une transition naturelle que Céline Dion justifie au Journal de Montréal avec des mots bien à elle : ” On ne peut rester dans le deuil jusqu’à ce que la rose sèche et qu’elle se transforme en cendres “.

Une marque lifestyle qui s’impose

Sur les marches de l’Opéra Garnier, dans une longue robe noire Balmain, Céline Dion révélait en juin dernier sa mue stylistique. Ce soir-là, sur Instagram, elle postera des ” Team Céline “, ” #balmainxoperadeparis ” ” #RENAISSANCE “, comme pour afficher aux yeux du monde sa nouvelle image d’icône glamour. Alors que le merchandising autour de son nom se limitait autrefois à quelques produits dérivés, Céline Dion lance sa propre griffe lifestyle. Une ligne qui se déclinera en sacs à main, bagages, pochettes mais aussi lunettes de soleil, produits de voyage et accessoires de mode, distribués en partenariat avec le groupe québécois Bugatti. ” Dans un marché mondial, un artiste doit tout combiner : sa musique, ses concerts, ses tournées, son site, ses réseaux sociaux. Lancer une collection de produits art de vivre est une évolution naturelle “, annonçait un des collaborateurs de Céline Dion. Et la star de préciser : ” Je veux que mes fans sachent que je pourrais porter toutes les pièces de la collection “. Une première pour la chanteuse qui n’avait dévoilé jusqu’ici qu’une ligne de parfums avec le groupe Coty, lui ayant rapporté plus de 850 millions de dollars depuis 2003, année qui coïncide avec le lancement de ses shows à Las Vegas. Elle a désormais ” une dimension plus luxe, plus audacieuse. Elle n’hésite pas à jouer davantage de son image “, note sa biographe Elisabeth Reynaud. Elle est ainsi arrivée avec une coiffe à plumes et une robe déstructurée de Rei Kawakubo/Comme des Garçons pour son tout premier Met Gala, avant de fouler, quelques jours plus tard, le tapis rouge des Billboard Awards dans une robe aux immenses manches gigot blanches et au décolleté plongeant.

Une médiatisation accrue qui l’éloigne de l’ancien modèle érigé par René Angelil. Car longtemps, l’homme d’affaires ” a façonné son image ” par la discrétion. ” Il était beaucoup dans le contrôle, il choisissait pour elle les médias, donnait des renseignements au compte-gouttes “, explique Jacqueline Cardinal, titulaire de la chaire de Leadership à HEC Montréal. Son mentor avait un talent rare pour nouer des contacts avec les personnes susceptibles de jouer un rôle dans sa carrière et pour empêcher la diffusion d’articles compromettants. Mais, après des funérailles médiatisées, la chanteuse a multiplié les interviews télévisées, jusqu’à accepter de devenir jurée invitée dans l’émission The Voice aux Etats-Unis. Une mise en scène assumée de sa vie privée, puisque la star étudie même, en collaboration avec son directeur artistique Gilles Ste-Croix, une comédie musicale, déclinée en français et en anglais, sur sa carrière et sa vie avec René… ” Le guide, c’est Céline, c’est elle le leader, la diva, et je suis à son service “, a-t-il confié à La Presse, précisant que le show pourrait tourner à Broadway, là même où un spectacle rendait déjà hommage, il y a deux ans, aux plus grands tubes de l’icône pop. Avec ou sans René, the show must go on

CÉCILIA DELPORTE/ LES ÉCHOS WEEK-END DU 7/7/2017

En 2016, elle a empoché plus de 42 millions de dollars, devenant la 43e femme la plus riche des Etats-Unis.

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