Trouver une idée fantastique, persuader les investisseurs de vous donner de l’argent pour la développer, et devenir millionnaire en un clin d’oeil. C’est le schéma classique de la start-up. Mais il ne correspond pas toujours à la réalité. Témoignage de Yves Hiernaux, CEO de BeeBole.
Lorsque nous pensons aux start-up, nous imaginons immédiatement de petites structures dans le milieu des technologies, développant à la pelle des idées ou des solutions innovantes, avec un important potentiel de croissance sur une très courte période. Jusqu’à un certain point, BeeBole, la société que j’ai créée, il y a 10 ans, avec mon ami Mic Cvilic, correspond à cette idée. Mais je n’ai jamais considéré BeeBole comme une start-up… et c’est sans doute pour cette raison que j’ai pu la développer en un business florissant.
Le problème avec le monde des start-up
Pour vous planter le décor, ma société se situe dans la niche “réellement” compétitive des timesheets (NDLR : outils de gestion du temps de travail), avec une solution logicielle SaaS (Time Tracking Software as a Service), qui permet aux entreprises de gérer les tâches liées aux RH et au management. Cela dit, lorsque nous avons créé BeeBole il y a 10 ans, le modèle SaaS venait de décoller. À l’époque, j’habitais Bruxelles, où la communauté entrepreneuriale, en plein essor, avait un message qui ne me plaisait tout simplement pas.
Ce message, que nous entendons encore aujourd’hui dans l’univers des start-up, est de se focaliser sur la capacité d’organiser des levées de fonds de plusieurs millions et de faire quelque chose d’extraordinaire avec l’argent ainsi récolté. L’histoire est toujours la même : trouver une idée fantastique, persuader les investisseurs de vous donner de l’argent pour la développer, et devenir millionnaire en un clin d’oeil. Souvent, nous ne savons même pas ce qu’il advient de ces entreprises une fois qu’elles ont réuni les capitaux désirés, et beaucoup finissent par échouer parce qu’elles ne savent pas comment transformer ces millions en quelque chose qui a une vraie valeur.
Dans le même ordre d’idées, dans la communauté des start-up (ou même dans les médias qui couvrent ce sujet), on entend rarement parler de petites entreprises qui, comme la nôtre, ont adopté une approche différente et sont devenues finalement rentables. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une histoire sexy… Au lieu de cela, lorsque nous avons lancé notre start-up, tout le monde rêvait d’une idée fantastique qui changerait leur vie et ferait de leur entreprise un success-story instantanée.
Le succès du jour au lendemain
L’idée d’être couronné de succès immédiatement a toujours été une sorte de mirage pour moi. En réalité, durant la première année de BeeBole, je me souviens d’avoir lu un article sur le CEO de MailChimp, à l’époque où sa société était un des joyaux du monde des start-up. Dans cet article, il exprimait qu’il trouvait comique d’entendre dire que MailChimp avait connu un succès immédiat alors que, pour en arriver là, cela lui avait pris 7 ans et 4 versions différentes de sa plate-forme de marketing.

Donc lancer une société avec l’idée que cela va être une réussite du jour au lendemain est juste une idée complètement fausse. En fait, il y a deux erreurs fondamentales dans cette approche. Tout d’abord, il n’existe pas de “super idée”. Il y a actuellement tellement de personnes, tellement de potentiels entrepreneurs que cette “idée” existe probablement déjà quelque part. Plutôt que de se torturer les méninges en essayant de trouver cette “super idée”, il est préférable d’avoir un projet, de l’améliorer et d’essayer de le rendre bien réel.
La deuxième erreur est de démarrer une société avec l’unique objectif de gagner soudainement des millions : c’est comme jouer à la loterie… Il ne s’agit pas de vous, mais plutôt de créer une entreprise viable. Je crois fermement que démarrer une entreprise avec de mauvais objectifs peut lui être fatal. Si vous n’êtes là que pour les millions, vous vous trompez de route.
L’entreprenariat, un mode de vie
Pour être honnête, je n’ai jamais rêvé d’être entrepreneur ou même d’avoir ma propre société. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu aller à l’université et devenir ingénieur. D’ailleurs, j’ai fini par décrocher un diplôme d’ingénieur en informatique. Et démarrer ma propre boîte ne m’avait jamais traversé l’esprit, tout simplement parce que les universités en Belgique n’enseignent pas l’entreprenariat. La croyance est que si vous décrochez un poste d’enseignant rattaché à une université, ou si vous décrochez un doctorat en philosophie, vous forcerez le respect, mais devenir un entrepreneur n’est pas quelque chose qui inspire.
C’est mon associé Mic Cvilic qui m’a fait changer d’avis et m’a montré le potentiel qu’il y avait à être entrepreneur. Et je ne regrette certainement pas ce choix. La liberté que vous avez en étant votre propre patron est quelque chose que j’apprécie énormément. Pour moi, l’entreprenariat n’est pas synonyme d’idées à plusieurs millions de dollars mais plutôt une définition de la liberté, mettre sur pieds ma propre société, et être le seul maître à bord pour prendre les décisions.
Etre entrepreneur nécessite aussi de contrôler mon temps de bien des façons. Je le vois ainsi plus comme un mode de vie plutôt que comme quelque chose qui me rendra riche, et pour être honnête je n’ai jamais vu ce message dans l’univers des start-up.
Chez BeeBole, nous avons établi dès le début une culture de télétravail, voire de travail à distance. En fait, lorsque nous avons créé la société, je vivais en Inde, et pour moi, il était très important de maintenir ce style de vie. Plus tard, si l’un d’entre nous voulait passer une semaine à la montagne (et j’adore la montagne !), nous voulions être certains que partir et y aller soit possible, et nous l’avons fait ! Je peux voyager avec ma famille et travailler de là-bas. La seule chose dont j’ai besoin, c’est d’une bonne connexion.

A court de liquidités
La croissance de votre entreprise, depuis le premier jour jusqu’au point de rentabilité, exige beaucoup de travail. Vous devez non seulement avoir un bon produit, être à l’écoute de vos clients, adapter ce produit en fonction de leurs desideratas, et répéter tout le processus. Et durant tout ce temps, vous devrez aussi faire face à des revers et à des difficultés… Il n’y a qu’une seule chose qui puisse vous aider à tenir le coup et à y parvenir : la résilience !
Vous devez rester concentré et considérer les revers comme faisant partie du processus. Par exemple, lorsque nous avons créé BeeBole, nous avons décidé de nous autofinancer, ce qui est beaucoup plus difficile à faire. Nous n’avons pas aimé l’idée d’attirer des investisseurs extérieurs parce que nous voulions garder le contrôle de l’entreprise et de ses objectifs.
Au bout de 2 ans, nous sommes tombés à court de liquidités, j’ai donc décidé de retourner dans le monde de la consultance. Ce fut l’un de mes moments les plus difficiles, surtout parce que je n’avais pas envie de recommencer ce type de travail. Cependant, je savais que je devais le faire afin de pouvoir continuer à soutenir notre entreprise.
Durant cette période, j’ai essentiellement travaillé en double shifts. J’avais pris pour habitude de travailler comme consultant durant mes heures de boulot et de travailler le soir pour BeeBole. Au bout de la troisième année, je voyais le bout du tunnel ! BeeBole était en pleine croissance et j’ai finalement vu que nous pouvions atteindre la rentabilité. Cette troisième année a été véritablement épuisante, mais je ne me souviens pas qu’elle ait été particulièrement difficile. Le fait que quelque chose soit épuisant ne signifie pas automatiquement que c’est difficile. Je crois que notre propre approche du travail qui décidera si c’est le cas ou pas.
De plus, votre attitude est plus importante que l’argent. Si vous avez besoin d’argent, vous pourrez toujours trouver des investisseurs ou un emploi durant la journée, et travailler le soir pour vous. Si vous êtes résilient, et que vous voulez y arriver, vous trouverez des solutions ! Pour moi, la résilience est la base de toute chose.
Tout ira bien
Je n’ai jamais pensé que BeeBole pourrait échouer. Je suis une personne très optimiste et cette idée ne m’a donc jamais traversé l’esprit. Il faut souligner que la croissance a été constante. En 11 ans, nous n’avons jamais eu un moment où celle-ci s’est arrêtée. Cela m’a permis de continuer à avoir confiance et d’avancer, parce que nous pouvions voir réellement que nous faisions bien les choses.
Evidemment, à un moment donné, vous pouvez faire face à des problèmes, voire une grosse crise. D’après mon expérience, il y a souvent un grand nombre de petits problèmes qui surviennent… Parfois, il faut juste lâcher prise. Au lieu de vous concentrer sur toutes ces petites choses négatives, vous devez vous concentrer sur le positif et aller de l’avant.
Je n’ai jamais eu de sentiments négatifs vis-à-vis de BeeBole non plus. Quand un problème surgissait, je n’ai jamais essayé de blâmer l’entreprise ou qui que ce soit d’autre d’ailleurs. Chaque fois que j’ai été confronté à un défi, je posais la même question : que puis-je faire pour améliorer cette situation ?
En fin de compte, je pense que BeeBole peut être considérée comme une startup qui a réussi mais sans histoire hollywoodienne. En effet, notre entreprise y est parvenue en allant à l’encontre de l’approche “standard” de la scène des start-up. Nous avons évité les pièges “classiques” qui menacent les start-up, tout en adoptant l’entrepreneuriat comme mode de vie. Nous avons ajouté à ce mode de vie énormément de travail, de concentration et de résilience et au final les résultats ont été excellents.
Yves Hiernaux, CEO de BeeBole